Captain Marvel 1


Déferlant sur les écrans avec la puissance de frappe habituelle de son studio père, la nouvelle et quasi-première super-héroïne du Marvel Cinematic Universe, Captain Marvel (Anna Boden & Ryan Fleck, 2019), surprend son monde avec une double origin-story mieux fagotée que la moyenne. Un avis qu’on ne garantit pas sans spoilers.

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Vers l’infini et au-delà ?

Qu’on le veuille ou non, depuis bientôt vingt années et la sortie triomphale du génial Spider-Man de Sam Raimi (2001) le genre du film de super-héros impose sa contribution à l’histoire du cinéma, la grande, devenant, sinon le dominant, l’un des genres les plus prolixes et rentables de l’industrie. Fleuron de cette domination, le studio Marvel tire son épingle du jeu en mutant les enjeux de la production cinématographique actuelle aux contacts des nouvelles réalités du marché audiovisuel, avec l’explosion de l’industrie de la série-télévisée, redonnant au bon vieux feuilleton cinématographique – rappelons que Feuillade les avaient institutionnalisés dès 1910 avec ses Fantômas – une nouvelle génération d’héritiers. L’ambition derrière l’immense projet du Marvel Cinematic Universe est de constituer, autour de ce catalogue démentiel de personnages, un univers sans fin, si dense qu’il puisse se régénérer et se ré-inventer constamment. Pourtant, dix ans après Iron Man (Jon Favreau, 2008) long-métrage inaugural par lequel tout a commencé – on vous incite à aller écouter le nouveau podcast de nos amis de Debriefilm où ils remontent le temps pour décrypter les raisons du succès de ce dernier – le MCU, comme on l’appelle, semblait aborder une étape cruciale de son évolution, amorçant de films en films depuis l’arrivée de Doctor Strange (Scott Derrickson, 2016), un élargissement de ses possibles, entre space-opera inter-galactiques et voyages inter-dimentionnels. Si la conclusion saisissante de Avengers : Infinity War (Joe & Anthony Russo, 2018) nous avait marqués sur le moment, il convient aujourd’hui d’y porter un regard plus éclairé, constatant que ce récit qui s’était annoncé comme un pivot, ne fut en réalité qu’une étape de plus pour amorcer un virage tant attendu dans cet univers étendu, qui est précisément, amusons-nous avez les mots : celui d’étendre, toujours plus, un univers déjà (pourtant) si vaste. Après Infinity War, la première étape de cette expansion fut confirmée avec Ant-Man et La Guêpe (Peyton Reed, 2018) – production fonctionnelle au possible et de surcroît oubliable à tous niveaux – qui permit d’introduire une nouvelle dimension, le champ quantique, dont l’importance pèsera sans nulle doute dans l’intrigue de Avengers : End Game (Joe & Anthony Russo, 2019). Moins fonctionnel mais tout autant utile, Captain Marvel (Anna Boden & Ryan Fleck, 2019) élargit encore le champ des possibles en proposant une super-héroïne capable de voyager à travers les galaxies et les espace-temps, sans avoir besoin d’un gant magique avec des pierres précieuses pour ça.

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Mieux encore, le MCU, toujours à la pointe quand il s’agit de surfer sur les éveils de la bonne conscience hollywoodienne – libre à vous de penser si cela est opportuniste ou non – livre cette fois – après un Black Panther (Ryan Coogler, 2017) en réponse à la polémique Oscar-SoWhite – son premier film estampillé « féministe » au simple motif qu’il mettrait en avant une super-héroïne avec des supers-pouvoirs (et pas des moindres). Pourtant en dehors de proposer aux petites filles un costume de super-héros qu’elles « peuvent porter » – les guillemets sont choisis pour rappeler qu’ici, un tel raisonnement, n’effraie pas la catégorisation sexiste mais au contraire, l’entretien – ce Captain Marvel ne tombe pas dans les travers d’un Wonder Woman (Patty Jenkins, 2017), film de super-héroïne de l’écurie adverse DC/Warner, qui avait été largement sur-vendu comme une offensive féministe à Hollywood alors même que son scénario débordait de clichés sexistes. Si nous avions un temps fustigé le manque de caractérisation de certains personnages féminins de l’écurie Disney – voir notre article, Misères du Disney-Féminisme écrit à l’aube de la sortie en salles de Star Wars VII : Le Réveil de la Force (J.J Abrams, 2015) – ici, même si Captain Marvel est dépeinte comme une héroïne quasiment invincible, le personnage ne manque pas pour autant d’aspérités. Car si l’objet doit être considéré « féministe », c’est moins pour sa forme – le fait de présenter une super-héroïne à l’écran – que sur son fond. Le personnage de Carole Danvers/Captain Marvel étant l’incarnation d’une forme d’émancipation de la femme : petite, son père lui interdisait de se comporter « comme un garçon », adulte sur terre elle en a chié pour se faire accepter à l’armée, adulte dans l’espace elle a été littéralement façonnée de corps et d’esprit sur les desideratas d’un mentor-mâle incarné par Jude Law… Il ne s’agit toutefois par pour Carole de venger ces injustices, mais de simplement s’accomplir en agissant et pensant de son plein grè. Le personnage de Captain Marvel est donc en cela plus proche de celui de Judy dans Zootopie (Byron Howard & Rich Moore, 2016) que du simulacre d’icône féministe qu’était Wonder Woman.

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De façon générale, le succès de ce (déjà) vingt-et-unième long-métrage de l’univers étendu Marvel, tient principalement à son écriture. On le sait, il n’y a rien de plus compliqué que d’introduire un personnage de super-héros sans passer par l’étape pénible mais néanmoins inévitable de l’Origin Story. Sur ce terrain, Marvel a été capable du pire – L’Incroyable Hulk (Louis Leterrier, 2008), Thor (Kenneth Branagh, 2011), Doctor Strange (Scott Derrickson, 2016) – mais aussi du moyen – Captain America : First Avenger (Joe Johnston, 2011), Black Panther (Ryan Coogler, 2018) – comme du meilleur – Ant-Man (Peyton Reed, 2015), Iron Man (Jon Favreau, 2008). Le risque était d’autant plus grand autour de ce Captain Marvel, qu’il n’est en réalité pas l’origin story d’un personnage, mais de deux, offrant à un Nick Fury (Samuel L.Jackson) rajeuni numériquement – une prouesse encore une fois bluffante qui se généralise dans le MCU – une partition de premier plan, qui fait, pour grande partie, tout l’intérêt et la réussite du film. Quant à la super-héroïne elle-même, le dévoilement de sa double-identité est savamment orchestré, se dévoilant par strates, imbriquant les époques les unes avec les autres avec une certaine malice. De mémoire, on avait pas vu de scénario aussi bien fichu dans le MCU depuis ceux des deux volets des Gardiens de la Galaxie (James Gunn, 2014-2017). Sans oser vous en dévoiler trop sur les rebondissements de l’intrigue, celle ci se nourrit de retournements de situations comme de personnages, qui parviennent à surprendre sans pour autant se révéler alambiquées ou faciles. Autre point positif, le scénario est probablement celui de tous qui parvient le plus naturellement à se connecter à l’ensemble du Marvel Cinematic Universe sans employer ni méthodes aux forceps, ni lourdeurs ou scories – on se rappelle de la malencontreuse séquence dans Ant-Man (Peyton Reed, 2015) où le super-héros fourmi s’était retrouvé au contact d’un des Avengers (Le Faucon), par pure nécessité d’anticiper une connexion future avec le reste de la troupe – bien au contraire, on a parfois l’impression que le scénario de Captain Marvel avait été écrit, pensé, imaginé, bien avant les autres ! Cette grande maîtrise témoigne, une fois de plus, du sérieux mis par Kevin Feige et sa bande dans le développement de cet immense univers. Ce dernier expliquait à l’aube de la sortie de Avengers : Infinity War, connaître précisément tout ce qui allait se passer dans le MCU dans les années à venir, avec au moins déjà dix super-métrages prévus et programmés d’ici 2022…

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Face à cet état de fait que leurs super-héros terriens commencent à sentir le réchauffé, les productions Marvel semblent prendre une direction nouvelle, qui abandonnerait le champ de bataille qu’est la Terre pour élargir l’affrontement à des planètes, des univers, des galaxies et des dimensions plus grands. Même si les univers des Gardiens de la Galaxie et de Thor, avaient déjà couvert des confins cosmiques, Captain Marvel est peut-être la vraie incarnation, une invitation au voyage. Si le gardien d’Asgard était déjà un Dieu immortel, les super-héros qui s’apprêtent à débarquer sur nos écrans dans les prochaines années pourraient rabattent totalement les cartes, redéfinir le spectacle, toujours plus loin, toujours plus fort. En témoigne l’annonce de l’adaptation des Eternels (Chloé Zhao, 2020) – des personnages aux pouvoirs cosmiques hallucinants – et l’amorçage d’autres, aux pouvoirs tout aussi grands, comme Adam (vu dans la scène post-générique des Gardiens de la Galaxie Vol.2) ou les Doyens de l’Univers (dont certains membres sont déjà apparus sous les traits de Benecio Del Toro ou Jeff Goldblum). Si le déferlement de cette toute-puissance s’incarne aujourd’hui dans une super-héroïne, qui – fait amusant mais surement pas anodin – porte le nom du studio, il reste difficile d’assurer qu’un tel déferlement de puissance, ne puisse pas, un jour ou l’autre, péter à la gueule du studio, faute de surcharge.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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