Plus dure sera la chute


Chant du cygne fort sombre, Plus dure sera la chute est connu pour être le dernier film dans lequel Humphrey Bogart a joué, mais aussi comme une œuvre d’une rare pénombre sur l’univers de la boxe et du sport en général, comme l’atteste l’édition DVD et Blu-Ray concoctée par Sidonis Calysta.

“C’est pas fini tant que la cloche a pas sonné”

La boxe au cinéma mériterait un article à elle seule, et a d’ailleurs une littérature déjà dédiée, autant sur le web que dans les librairies. Cinégénique au possible (quand elle est bien filmée), riches en interprétation et autres métaphores, elle a nourri de nombreux personnages marquants au cinéma : Rocky Balboa évidemment, mais aussi les touchants deux amis dans Kids Return de Takeshi Kitano par exemple, ou encore le biopic de Chuck Wepner (l’homme qui a inspiré à Stallone le personnage de Rocky) Outsider, certainement un des meilleurs biopics de l’année. Dans les années 40-50, en pleine apogée du film noir, le milieu de la boxe était le terreau idéal pour une intrigue jouant sur les combines du milieu. Stanley Kubrick s’y est frotté avec Le baiser du tueur (faut dire qu’il était lui-même fasciné par la boxe), tout comme à plusieurs reprises Mark Robson, cinéaste méconnu en France. Après Le champion avec Kirk Douglas (vous savez le centenaire qui a l’air d’être éternel) Robson réitère mais avec un scénario bien plus virulent, et une ambiance plus inquiète et crépusculaire : Plus dure sera la chute, édité en DVD et Blu-Ray par Sidonis Calysta.

Eddie Willis (Humphrey Bogart) est un journaliste sportif qui n’arrive plus à joindre les deux bouts. Il est approché par un manager de boxe Nick Benko (Rod Steiger), ripou notoire, qui lui propose de s’occuper des relations publiques et de la publicité de son nouveau poulain, Toro Moreno, un géant d’au moins quatre mètres de haut (bon, j’exagère peut-être un peu). Il va en falloir de la pub, car Moreno ne sait pas boxer du tout. Il a juste été embauché pour sa taille exceptionnelle, et l’idée n’est clairement pas de l’entraîner vraiment mais de truquer un à un tous les combats dans lesquels il figurera. Un tel synopsis donne le ton : le milieu de la boxe est présenté avec une virulence rarement vue. Méthodes d’intimidation, de triche côtoient managers véreux méprisant à la fois leurs poulains et un public lui aussi présenté comme méprisable tant il paraît assoiffé de sang et aveugle aux malversations qui se font derrière son dos. Sombre de A à Z, inquiet jusque dans sa conclusion, Plus dure sera la chute égale dans l’esprit et la forme (un noir et blanc puissant que le travail d’éditeur sublime) les films noirs les plus impressionnants. Embrassant toutes les mythologies du boxeur (du champion honnête à l’ex-champion du monde à la rue), le long-métrage propose même une des plus belles scènes du cinéma dans un film de boxe, où un champion atteint de séquelles au cerveau refuse de se coucher alors qu’il ne tient plus debout et ne voit plus rien : la valse d’un corps et d’un esprit détruits par un système qui les considère comme une marchandise à obsolescence programmée.

Les deux entretiens en bonus sont ceux des habitués Bertrand Tavernier et François Guérif. Le premier a l’originalité de passer un moment conséquent (il faut le dire que ça le méritait bien) sur le personnage de Philip Yordan, crédité comme scénariste du film et de plusieurs autres classiques, mais en fait apparemment surtout grand utilisateur de nègres littéraires. Le second, insiste lui sur l’apport de Humphrey Bogart à ce The harder they fall (titre original) qui est sa dernière apparition à l’écran. Un choix étonnant de noirceur pour l’ultime trace qu’il a souhaité laisser au septième art, mais de ce fait particulièrement touchant et une de ses meilleures performances avec Le violent. Rien que pour les amateurs de l’acteur, l’achat de Plus dure sera la chute est indispensable et moment d’histoire.

 


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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