Sausage Party


Après C’est la Fin ! (2013) et le très polémique L’interview qui tue ! (2014) le duo Seth Rogen/Evan Goldberg s’associe à nouveau, cette fois en tant que scénaristes pour un autre film polémique, le déjanté film d’animation Sausage Party.

Mon ami André…

Qu’on les aime ou pas, le duo formé par Seth Rogen et Evan Goldberg se constitue au fil des années une filmographie qui fait vraiment pas genre. Emmenant dans leurs délires toute une bande de comédiens et copains pour la plupart issus de la fameuse team Apatow dont Rogen est lui-même l’un des sales gosses, le duo pervertit le cinéma de leur parrain en drainant la comédie vers un ton résolument plus trash. Après un C’est la Fin ! (2013) remarqué pour sa manière totalement désinvolte et méta de critiquer l’univers des stars hollywoodiennes puis la comédie potache et polémique L’Interview qui tue ! (2014) qui tournait en dérision le régime dictatorial nord-coréen, le duo s’est illustré récemment en s’attaquant à l’église avec la série adaptée du comics Preacher (2016). A bien des égards, l’ensemble de cette filmographie que se constitue d’année en année le duo Rogen/Godlberg nous rappelle celle des génies Trey Parker & Matt Stone, créateurs de la série South Park, peu avares en polémiques et en désinvolture, et réalisateurs du chef-d’oeuvre absolu Team America, police du monde (2004) dans lequel il était déjà question – tiens tiens – d’un certain dictateur nord-coréen. Le duo continue donc sa route en signant le scénario d’une comédie d’animation particulièrement osée : Sausage Party (Conrad Vernon & Greg Tiernan, 2016) une histoire mettant en scène des aliments, dans laquelle le duo s’amuse de l’humanisation de ses personnages de saucisses, jus de fruits, brioches et tacos, pour effectuer un véritable piratage de l’industrie, histoire de nous rappeler que le cinéma d’animation n’est pas que destiné au jeune public.

Le film a fait particulièrement parler de lui ces dernières semaines en France parce qu’il a été la cible d’une plainte déposée par l’association Promouvoir, une association catholique qui lutte vaillamment depuis des années, avec son armée de petits croisés, en mission pour mettre sur la croix tous les défenseurs du mauvais goût et du politiquement et moralement incorrect. C’est à ces petits malins que l’on doit déjà les actions en justice contre des films culottés et parfois déculottés comme La vie d’Adèle – Chapitre 1 & 2 (Abdellatif Kechiche, 2013), Mad Max : Fury Road (George Miller, 2015) ou bien encore Nymphomaniac (Lars Von Trier, 2014), Les Huit Salopards (Quentin Tarantino, 2016) et Love (Gaspard Noé, 2015) En utilisant toujours le même modus operandi qui consiste à déposer des référés à l’encontre des visas d’exploitation des films pour en interdire tout simplement la diffusion, ou à défaut, en obtenir une interdiction aux moins de seize ans, Promouvoir a réussi à s’imposer désormais dans le paysage culturel et politique français. Ses membres présentent leur mission comme essentielle pour, je cite, « combattre la prolifération du sexe et de la violence dans l’espace culturelle » entendant ainsi protéger la jeunesse et la ré-orienter vers une morale catholique bien pensante. La plainte concernant Sausage Party a certes été reboutée – elle attaquait principalement sa classification actuelle qui interdit le film aux moins de 12 ans – mais elle nous a surtout permis de bien se marrer en lisant l’argumentaire d’André Bonnet, le fondateur de l’association – accessoirement connu pour être un militant actif de l’extrême-droite française – ayant déclaré à ses copains fachos de Valeurs Actuelles que « Sausage Party est d’abord un film libertaire et anti-religieux, avec un fort contenu philosophique et politique caché, en faveur de la jouissance libre et sans entraves » avant d’ajouter, dans une brillante saillie critique…Et j’aurais pas mieux résumé le film personnellement : « Les personnages – des saucisses, pains à hot dog, boîtes et bocaux divers – qui se comportent comme des êtres humains sont présentés comme de malheureux crédules persuadés que les consommateurs qui viennent les chercher dans les rayons du supermarché sont des dieux qui les emmènent ensuite au paradis. Le héros (une saucisse de Francfort) tente de leur montrer la vérité, à savoir que ces dieux sont en réalité des monstres abominables qui se repaissent des malheureux aliments pour accroître leur propre énergie vitale. Finalement après une révolte de ces aliments et l’assassinat des dieux (les clients du supermarché) la liberté enfin trouvée dans la vérité leur permet de s’adonner à la jouissance totale, d’où une longue partouze géante finale. » finissant en en dévoilant davantage sur l’une des meilleures séquences du long-métrage « On voit aussi des tomates découpées en rondelles pousser des cris épouvantés, des crêpes hurler dans la poêle parce qu’on les y fait frire vivantes des saucisses débitées dans des hurlements d’horreur.» Franchement André, je suis bien emmerdé, si tu n’étais pas un homophobe notoire, l’un des ces catholiques traditionnels que je conspue, ayant au passage quelques accointances avec la plus extrême des droites françaises, je te proposerais bien de rejoindre l’équipe des rédacteurs parce que, putain, tu parles quand même vachement bien du film au point que tu m’as même convaincu de le regarder !

Mais c’est impossible André, parce que sur Fais pas Genre !  nous on aime le cinéma qui ose, celui qui ne serait pas dans le TOP10 annuel du Pape François, celui qui fait peur, qui fait rire jaune, qui effraie et qui émoustille, un cinéma culotté et déculotté, un cinéma qui questionne la morale parce qu’il est « libertaire et anti-religieux », un cinéma qui reflète au monde ce qu’il est vraiment et qui permet aux adultes et aux enfants de mieux le comprendre, de le combattre. Sausage Party, en cela, s’impose pour nous comme un manifeste, sous ses pourtours de comédie potache, le film, tu l’as dit bouffi, a un tel contenu philosophique et politique qu’il mérite qu’on s’y attarde sérieusement. Pavé dans la marre, scud envoyé à la gueule de la bien-pensance conservatrice, le film de Seth Rogen et Evan Goldberg mitraille la morale catholique traditionnelle et l’industrie lobbyiste qui domine nos vies et nos assiettes. En ré-inventant en une heure et demie, le food-porn et en inventant le gore alimentaire avec une imagination sans limites, les deux trublions réussissent l’exploit de signer le film le plus vegan – on s’étonne un peu que les lobbies alimentaires n’aient pas tournés cathos intégristes pour monter au front avec l’ami André – et dans le même temps l’un des films les plus culottés et drôles de l’année !


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

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