Comment faire un dossier sur le film de marionnettes et omettre de parler de ce qui s’est fait le mieux dans l’histoire de ce sous-genre. Il est souvent regrettable de constater que bon nombre de cinéphiles sont passés à côté de ce petit chef-d’oeuvre de la satire, qui n’a eu de résonance que chez les amateurs du duo Trey Parker/Matt Stone et de leur série South Park. Lumière sur un petit film culte.
America Fuck Yeah!
Le duo Trey Parker et Matt Stone, lorsqu’il se lance dans l’aventure Team America, a déjà à son actif plus de quatre-vingt épisodes de la série South Park, ainsi que plusieurs longs-métrages dont le très déjanté Captain Orgazmo (1997) qui s’attaquait au milieu du porno. Leur humour si particulier n’est plus à présenter. Adeptes de la provoc’, ils tirent à boulets rouges sur tout ce qui bouge, les politiques, les célébrités, la middle class américaine… Avec Team America, ils parodient le pays entier, son américanisme ambiant, dénonçant par son sous-titre le fait que les Etats-Unis se prennent pour « la police du monde ».
Le film raconte l’histoire de la Team America, une unité d’élite qui se bat sous toutes les latitudes pour assurer la sécurité du monde. Apprenant qu’un dictateur mégalo, Kim Jong-Il, s’apprête à livrer des armes de destruction massive à une organisation terroriste, le groupe se lance une fois de plus dans la bataille pour sauver l’humanité. Le simple synopsis suffit à résumer l’esprit du film. Team America est en fait une parodie d’une fameuse série télévisuelle avec des marionnettes, transportée à l’écran plusieurs fois, nommée Thunderbirds (Les Sentinelles de l’air). Cette série qui était diffusée dans les années soixante, en pleine Guerre Froide, vantait les mérites d’une Amérique puissante, et les actions de ses héros de l’espace. C’est en voyant un épisode de cette série culte que le duo Parker/Stone a souhaité réaliser son propre film de marionnettes. Ils décident de garder leur ton habituel, de parodier l’américanisme propagandiste de la série de l’époque, et de livrer un film très satirique sur la politique anti-terroriste de l’Amérique des années 2000.
Team America est donc bien plus qu’une simple pochade. Le film s’éloigne considérablement du décalage de ton surréaliste de South Park mais en conserve l’idéologie déjantée et satirique. Le duo y va à cœur joie et personne n’est épargné. La mégalomanie démente du feu dictateur nord-coréen est raillé, et son personnage est un méchant aussi détestable que culte (un peu à l’image de Cartman). Les acteurs américains en prennent pour leur grade, devenant eux aussi des méchants de luxe, sbires à la solde du dictateur fou. On s’amuse alors à reconnaître les Clooney, Robbins, et autres Helen Mirren, armés de mitraillettes. Plus amusants encore, les personnages de Matt Damon – caricaturé comme un abruti fini et primaire qui ne sait dire que son nom comme un Pokémon – et de Michael Moore – un terroriste socialiste beuglant. Le scénario de cette farce à échelle de marionnettes dénonce finalement beaucoup de choses des diverses dérives de l’Amérique contemporaine. Comme pour South Park, il faut oser gratter et comprendre, ne pas se laisser aveugler bêtement par la vulgarité béante de la chose – qui peut plaire, au premier degré – et plutôt en déceler les sous-entendus et messages souterrains. C’est un cinéma politique. Satirique. Absurde mais intelligent.
Ce qui donne plus que tout un charme fou au film, c’est bien évidemment la technique employée, et son incroyable maîtrise. Les marionnettes, dont les fils sont volontairement laissés apparents à l’image, inventent un langage du corps totalement incrédule et ridicule, qui ajoute fortement à la puissance comique et caricaturale qui émane du film. Aux détours du making of, passionnant, on apprécie de découvrir l’envers du décor de cette finalement énorme machine à fabriquer un film totalement manuel. Les décors, à l’échelle des marionnettes, regorgent de détails amusants, donnant à chaque vision du film un intérêt supplémentaire. La scène d’ouverture, par exemple, où la Team America débarque sur Paris pour contrer un attentat terroriste – et au passage dézinguer la Tour Eiffel – dévoile une capitale fantasmée et caricaturale, dans laquelle tous les gens disent « Bonjour Madame », « Enchanté, Mademoiselle », où les pavés sont en forme de croissant et où les artistes peintres remplacent les roumains qui font la manche et où tous le monde s’appelle Jean-Baptiste. Les personnages du film se baladant dans les quatre coins du monde, plusieurs ambiances de ce type sont reconstituées avec à chaque fois, des trouvailles de bricolo dont émane un charme certain.
Il est finalement assez difficile d’écrire sur Team America. Il s’agit pour moi de l’un de mes films préférés, et j’ai l’impression d’oublier d’en dire l’essentiel, de ne pas retranscrire correctement le charme fou de ce film totalement déjanté. Il est en effet difficile d’en parler sans en dévoiler l’intrigue générale, sans en dévoiler les répliques cultes, sans tomber dans de la citation à tout va. Comme je me retrouve donc devant une sorte de complexe de la feuille blanche (bien qu’elle soit déjà bien pleine) je préfère vous partager juste en dessous, un aperçu très parlant, qui est vraiment à l’image du ton décalé du film. C’est une séquence géniale, aussi idiote que poétique, dans laquelle Kim Jong-Il se lamente sur la vacuité de sa vie de dictateur, dans une chanson intitulée: I’m So Ronery.
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