De tous les festivals français – hors festivals spécialisés – le Festival International du Film d’Amiens est sans nul doute l’un de ceux qui donnent la plus honorable place au cinéma de genre. De la Hammer il y a quelques années en passant par un vaste hommage au cinéma de Joe Dante il y a deux ans, sans oublier la rétrospective très complète sur le renouveau du cinéma d’horreur britannique proposée l’année dernière (voir nos dossiers réalisés à ces occasions), le festival prend toujours soin d’ouvrir sa vaste et variée sélection – se côtoient cette année des thèmes aussi différents que le cinéma de Gérard Blain, le cinéaste sri-lankais Asoka Handagama et l’un des maîtres artilleurs du polar anglais, Mike Hodges, dont nous vous parlerons aussi – à un autre cinéma et à une autre cinéphilie d’un mauvais genre. C’est dans cette logique que le Festival propose cette année une rétrospective des meilleurs films de science-fiction mexicaine réalisés entre 1945 et 1965. Des pépites quasiment invisibles, dont nous allons vous parler tout au long de ce dossier qui vous donnera un aperçu synthétique mais, je l’espère, complet, de l’étendue du spectre de ce sous-genre du cinéma bis et de ses codes si particuliers.
Gravedad
Après la guerre, le cinéma de genre américain – qu’il soit d’horreur ou de science-fiction – a connu un essor particulier, fortement inspiré par les traumatismes de la guerre passée. Le spectre de la menace atomique et la guerre froide installée sont autant de grands thèmes qui modelèrent considérablement le cinéma de genre américain durant plus de vingt ans. L’homme qui rétrécit (Jack Arnolds, 1957) est sûrement le plus représentatif de cette tendance à mêler le genre à des préoccupations politiques actuelles – l’homme rétrécit après avoir été exposé à des radiations atomiques – mais la plupart des films de genre de l’époque – qu’il s’agisse du cinéma d’horreur, du fantastique, ou de la science-fiction – jouaient considérablement des peurs et grandes questions qui tiraillaient l’époque. La quête d’un ailleurs, au centre de la guerre que se livraient les Etats-Unis et le bloc soviétique pour la conquête de l’espace, était un nouvel espace scénaristique à investir. Si la littérature de science-fiction avait déjà largement occupé le terrain, le cinéma y viendra quelques temps plus tard, d’abord aux Etats-Unis, avant de déferler sur le monde entier. C’est donc très logiquement que le genre a fini par gangréner l’industrie cinématographique mexicaine.
Au milieu des années 50, en plein essor de la science-fiction américaine, le cinéma mexicain connaît une crise sans précédent. Politiquement, le pays est entaché de presque trente ans d’une dictature qui ne dit pas son nom. Le parti national révolutionnaire mené par le président Manuel Avila Camacho entretient néanmoins de bonnes relations avec son voisin américain. Durant la seconde guerre mondiale, le Mexique s’engage même aux côtés des forces alliés pour bouter la menace Hitler. Auparavant, dans ce contexte semi-dictatorial, le cinéma mexicain resta longtemps parfaitement contrôlé par le parti. Dès 1934, conscient que le cinéma était un outil d’apaisement social, le général au pouvoir, Lazaro Cardenas – que l’on présente dans les livres d’histoire comme l’un des plus socialistes des présidents mexicains élus sous la bannière du parti national révolutionnaire – décida de soutenir davantage les productions présentant les luttes des classes, prenant parti pour les ouvriers. Dans cette même logique, il fut décidé de contrer la crise que traversait le cinéma mexicain, dont l’âge d’or était sérieusement en branle, en produisant massivement des films à petit budget, plus ou moins copiés sur ce qui fonctionnait de l’autre côté de la frontière.
Dans ce giron, la science-fiction et le film de vampire furent deux sous-genres du cinéma de série B qui furent sur-investis par les productions mexicaines. Dans une logique encore une fois populiste, les codes importés des Etats-Unis furent mélangés à la culture locale. C’est ainsi que les envahisseurs, vampires et autres monstres de l’espace côtoyèrent ou affrontèrent des momies aztèques ou le fameux lutteur Santo, ce dernier étant un véritable emblème du cinéma de genre dans son pays. Les héros de ces films, masculins pour la plupart, sont tous des sortes de mexicains modèles chargés de représenter fièrement l’identité nationale. Les clichés machistes forts présents dans la culture mexicaine de l’époque furent donc largement partagés dans les films, souvent avec beaucoup d’autodérision d’ailleurs, mais plaçant toujours les mariachis en héros irrésistibles bien que pas forcément très intelligents. Ce cinéma semble clairement viser un public masculin ; en tout cas, tous les éléments récurrents des films ont l’air d’avoir été amené là pour séduire la gente masculine : combat de catch interminables et très belles filles en petites tenues.
La période de décrépitude du dit âge d’or du cinéma mexicain est donc corrélatif à l’émergence de ce que l’on pourra nommer l’âge d’or du cinéma de genre mexicain. Nés d’une volonté de concilier une production de masse à la nécessité d’une économie toujours plus grande, ces films ne marquèrent pas l’histoire du cinéma – ce n’est rien de le dire – si ce n’est en rejoignant le rang des nanars cultes sur les étagères des DVDthèques. Si depuis 1965 et jusqu’à aujourd’hui, le cinéma de genre mexicain – contrairement à beaucoup de cinémas européens – a toujours produit quelques pépites, il a surtout conservé son sens parodique hérité de cette période décomplexée. En témoigne par exemple le cinéma de Robert Rodriguez qui, depuis le début des années 1990, arpente les genres avec une certaine désinvolture, une véritable proportion à accepter le kitsch, des facilités scénaristiques assumées et un goût prononcé pour la parodie. D’une certaine façon, son héros Machete comme son Mariachi de la saga Desperados sont tous deux des héritiers directs de Santo et ses compères. Qu’il s’agisse de ces productions des années 45/65 jusqu’aux films de Rodriguez, tous gardent la même ligne de conduite qui contribue à distinguer ce cinéma de beaucoup de ses homologues internationaux. Le cinéma de genre mexicain, s’il s’acoquine volontiers des codes des voisins américains – et c’est complètement le cas de Rodriguez, qui plutôt que de faire des films singeant les films américains au Mexique, a infiltré Hollywood pour aller y faire des films profondément mexicains – conserve néanmoins son authenticité et sa personnalité en assumant – devrais-je même dire, revendiquant – son identité profondément mexicaine.