Santo contre l’invasion des Martiens


En 1966, Alfredo B. Crevenna, le bien-nommé germain, réalise un film dont le titre américain est “Superman contre l’invasion des Martiens” alors qu’il est installé au Mexique depuis les années 30. Attention, ça va aller très vite : il a fait ça pour fuir les nazis et a réalisé depuis une bonne centaine de films de SF mexicaine. Je suis fier, vous ne vous êtes pas évanouis. Veuillez vous rasseoir, on va causer de mexicains, de lucha libre et de martiens en slip.

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Port de la moustache recommandé à la lecture de cet article.

Vous savez que je suis un homme de goût et, par conséquent n’ayant donc pas dressé plus d’affinités que nécessaire avec l’univers des comics américains, Dieu m’en garde. Le Superman du titre américain n’est en fait qu’une odieuse feinte qui n’aurait même pas trompé nos valeureux chefs de guerre durant la brève période de conflit contre les allemands en mai 40, et pour cause, c’est en fait El Santo, la véritable figure de proue de cet objet de fascination pour les amateurs de série B que vous êtes. Si je vous dévoile le titre original du film, Santo contra la Invasion de los Marcianos (1966), je suis certain que vous serez en mesure de débusquer la supercherie, je suis fier de vous. En guise d’avant-propos, il va donc falloir présenter le personnage d’El Santo pour en saisir l’importance au sein de la filmographie d’Alfredo B. Crevenna. Notre ami masqué est avant tout un réel catcheur mexicain de lucha libre répondant au doux patronyme de Rodolfo Guzman Huerta, dit l’homme au masque d’argent. Accumulant les prouesses, les exploits sportifs et les plus prestigieux titres de catch, El Santo est parvenu au rang de véritable figure populaire avant d’inspirer les divers médiums de fiction de l’époque comme la bande dessinée et le cinéma. Là, par exemple, je retombe sur mes pattes, il ne me reste plus qu’à aborder le film.

Le merveilleux Festival du Film d’Amiens proposait cette année une sélection de films de genre mexicains, dont Joris, mon collègue à la jambe de bois, vous a également parlé. Celui dont il va être question, ça fait déjà deux paragraphes que vous vous languissez que je l’aborde, je le sais, alors allons-y. L’histoire commence alors que des martiens s’apprêtent à nouveau à envahir notre douce planète, et comment leur en vouloir, ceux-ci annoncent d’emblée qu’après nous avoir longuement observé, nous avons été jugés indignes de vivre.santo_05 Et pour cause, il fallait bien que cela arrive à force de mettre toujours au point de nouvelles façons de détruire notre environnement et d’atomiser le plus précisément possible notre prochain. Notre façon d’exploiter et d’optimiser nos ressources n’ayant pour unique but que d’asservir les plus riches et les plus puissants en envoyant une ogive au groin de quiconque oserait s’y opposer n’étant pas du goût de certaines espèces plus sages, vivant çà et là dans notre système solaire. Rappelons toutefois que le film est sorti en 1966 et qu’à l’époque, point de bonnets rouges, de Petit Journal, de télé-réalité et encore moins de Nabilla, remarquons donc avec un soupçon de nostalgie que le plan des martiens aurait été bien plus expéditif à la vue de ces terribles pièces à conviction. Comme il faut bien commencer quelque part et impressionner le reste du monde, nos amis décident de s’en prendre aux mexicains pour commencer, et là où la fiction démarre vraiment, c’est qu’en vrai, personne n’y trouverait à redire. Enfin, passons. Comme nos amis envahisseurs ne sont que neuf et affublés de costumes grotesques, personne ne les prend au sérieux et il décident de poser leurs couilles sur la table et de mettre LE PLAN à exécution.

Pour leur montrer que non, ce ne sont pas des rigolos malgré leurs coussins sur la tête, ils décident de descendre sur Terre et de désintégrer les mexicains présents dans un complexe sportif. Et bien c’est parfait, si en plus de soustraire des mexicains à l’effectif Santo_el_enmascarado_de_plata_vs_la_invasion_de_los_marcianos-183580099-largehumain, on pouvait se passer des supporters de foot, on aurait presque envie de passer la vitesse supérieure en ce qui concerne les provocations adressées aux intelligences supérieures. Seulement sur place, il tombent sur un os. Un os bien solide avec ce qu’il faut de chair et de muscle autour : cet os, c’est El Santo, qui était en train d’apprendre le catch à des mineurs. Il décide alors de se dresser en rempart face à cette invasion inattendue et impressionne les martiens grâce à sa force, son endurance et son courage. C’est beau, j’aurais aimé que les albums Panini de la WWC sachent promouvoir de telles valeurs. Les martiens décident alors de capturer divers échantillons de la race humaine pour peaufiner leur étude et s’en servir comme cobayes pour diverses expériences plus ou moins dangereuses pour leur santé. El Santo et un scientifique de renom en font partie, car « ce serait chouette si on pouvait avoir leur talent pour annihiler des espèces plus efficacement », sauf que nos deux héros comptent bien ne pas se laisser faire. Le film continuera sur cette lancée, les martiens procéderont à diverses tentatives de capturer des terriens, El Santo et le scientifique (pas fou, pour une fois) en utilisant des stratagèmes plus ou moins grotesques. Santo contra la Invasion de los Marcianos ne brillera donc pas par son histoire, à notre grande surprise, à tel point qu’à la fin de la projection, de brillants esprits énuméraient les failles du scénario en proposant des alternatives pour rendre l’ensemble plus crédible : « Oui, mais si El Santo s’était laissé capturer du premier quart d’heure, il aurait pu faire exploser le vaisseau dès le début du film, c’est stupide… ». Allons bon, ne soyons pas médisants, alors que nous avons tous cherché des alternatives au scénario de The Dark Knight Rises pour qu’il dure moins longtemps…

Santo contra la Invasion de los Marcianos portador de slip n’est pas un film de série B novateur dans la mesure où des nanars en noir et blanc avec des costumes en mousse et des effets spéciaux merdiques, il y en avait déjà, à la même époque, une pelletée produite chaque semaine rien qu’aux États-Unis. J’ajouterai même que c’est avec une forme de tendresse que l’on assiste à ce cinéma d’une autre époque où un fondu enchaîné donnait l’illusion d’un parterre de mexicains se volatilisant ou d’une téléportation d’un martien en slip. C’est également avec ce même regard attendri que l’on excuse ces combats de catch ridiculement longs entre El Santo et santo_03divers membres de l’équipe des martiens porteurs de slip. Ces combats étant là pour nous rappeler que El Santo joue son propre rôle, et que le film est fait pour contenter ses fans, il n’y a donc aucune raison pour que ces affrontements s’expédient en deux beignes et trois galipettes comme s’ils étaient joués par des cascadeurs. A ce sujet, j’aimerais bien que l’on m’explique pourquoi les martiens, s’ils sont bien la civilisation avancée qu’il prétendent, ont bien bien pu se mettre au catch… Le catch, ce n’est pas simplement qu’un enchaînement de mouvements chorégraphiés pour divertir le public, ici, il se montre sous sa forme la plus pure. Il faut que l’impact traverse l’écran, il faut que la lourdeur d’une prise puisse se faire ressentir et cela se traduit par des affrontements longs en apparence mais finalement, plus authentiques que n’importe quelle scène de baston. J’affirmerai même que l’affrontement se déroulant dans cette salle vidée de ses supporters, sifflant et huant, bénéficie au mieux du silence ponctué des entrechoquements des paumes et des épaules afin de livrer de la bagarre pure, pas celle qui se finit par des pifs ensanglantés et des doigts levés, celle qui sent bon la sueur du combattant qui en a chié des ronds de pelle pour immobiliser son vis-à-vis sur la surface en bois du ring. Intervista, c’est aussi un site qui pense à son lectorat féminin.

Ce qui pourrait également être remarquable, c’est cette propension qu’a Alfredo B. Crevenna à verser dans l’auto-dérision en provoquant des situations réellement drôles témoignant d’un réel second niveau de lecture au film. Les martiens ont des dégaines ridicules ? – entre nous, je trouve que ça en impose toujours plus qu’un nain dans un costume en mousse – eh bien faisons-les adopter une stratégie qui les rendra encore plus ridicules à l’écran. Les martiens se rendent compte que leur stratagème est voué à l’échec ? santo_06Demandons simplement aux acteurs un bref regard perdu avant de se téléporter. Il y a un sens du gag certain dans ce film, et plus généralement dans cette production au vu de ce qui fut diffusé au Festival du Film d’Amiens, et bien plus que dans les nombreux films de série B américains d’alors, non forcément dénués d’un propos sincère mais terriblement sérieux dans leur façon de mettre en scène des humains horrifiés par des robots en balsa et des extraterrestres en mousse. Si j’avais abordé le film avec le regard critique de ceux qui prennent plaisir à démonter du scénario pour des raisons stupides, j’aurais lâché qu’Alfredo B. Crevenna faisait de la merde, mais qu’au moins, il s’en rendait compte. De façon plus nuancée, je dirais qu’il a eu le bon sens de ne pas proposer un film trop premier degré à l’efficacité éphémère sans espoir de traverser les décennies sans prendre une ride. Enfin, nous avons à faire ici à de la véritable science-fiction. Oh alors oui, pour rester poli, je pourrais dire qu’elle fait un peu pitié, mais gardons à l’esprit que les critères à respecter pour faire de la SF ne sont pas la présence d’envahisseurs costumés, de pistolets lasers Picwic et de véhicules en carton. Non, du haut de sa modestie, Santo contra la Invasion de los Marcianos rappelle qu’un brin d’anticipation et de sous-texte peut suffire, ne serait-ce qu’avec deux messages – un au début et un à la fin – pointant du doigt la propension qu’a l’être humain à surconsommer les ressources de la planète à de mauvaises fins, comme s’auto-détruire à coup de conflit nucléaires et d’émissions de cuisine sur M6.

Nicolas Dewit


A propos de Nicolas Dewit

Maître Pokémon depuis 1999, Nicolas est aussi champion de France du "Comme ta mère" discipline qu'il a lui même inventé. Né le même jour que Jean Rollin, il espère être sa réincarnation. On sait désormais de source sure , qu'il est l'homme qui a inspiré le personnage du Dresseur "Pêcheur Miguel" dans Pokemon Rouge. Son penchant pour les jeux vidéoludiques en fait un peu notre spécialiste des adaptations cinématographiques de cet art du pauvre, tout comme des animés japonaises pré-Jacques Chirac, sans vraiment assumer. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNYIu

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