Sorti en 1945, Le Sexe fort est l’un des premiers films mexicains à lorgner du côté de la science-fiction. Point de vaisseaux et de galaxies lointaines, encore moins de téléportation ou de robots, mais déjà une certaine proportion à inventer de nouveaux mondes.
Femen unapproved !
Contrairement aux films qui suivront, Le Sexe Fort (Emilio Gomez Muriel, 1945) n’est pas à proprement parler un film de science-fiction, tout du moins pas au sens où on peut l’entendre habituellement. Vous n’aurez là aucun vaisseau spatial, pas d’aliens et aucune téléportation en fondu enchaîné. L’histoire tient plutôt du récit d’anticipation et s’inspire tout particulièrement du mythe des Amazones. Deux amis marins, un espagnol et un mexicain, tous deux particulièrement machos, échouent sur une petite île nommée Sibila, capitale du Royaume d’Eden, un royaume gouverné par les femmes. On y découvre une autocratie où les hommes sont aux services de ces dames, prédestinés dès l’enfance à la couture et au ménage. Cette inversion des rôles donne lieu, dans un premier temps, à des situations gaguesques particulièrement bien écrites, d’une subtilité étonnante pour un film de genre de cette époque. Il est très drôle de voir ces hommes uniformisés par les sublimes amazones qui les dominent – ils doivent tous porter une barbe de taliban, c’est même à la beauté de ce pelage qu’on reconnaît un bon mari, à tel point que Fidel Castro doit probablement être le mec idéal dans cette contrée – et être sommés de servir le café durant les parties de poker de ces dames ou de laver et recoudre leurs habits… Le film va même plus loin en montrant une société féministe prônant la polygamie, où l’on achète les hommes, comme des esclaves, sur la place publique, contre des vaches.
Mais évidemment, venant des mexicains, peuple d’hommes les plus moustachus, fiers et machos de l’histoire de l’humanité – le quota de cliché est atteint – le message féministe révolutionnaire ne pouvait pas durer un film entier. Très vite, le point de vue s’inverse, et nos deux héros masculins, en bons représentants de la virilité, fomentent une rébellion contre cette dictature de la femme. Dès lors, la gente féminine prend le rôle du méchant, et les hommes deviennent les héros d’une révolution en marche, chargée de faire s’écrouler la dictature en place et de reprendre le pouvoir. Il est étonnant de constater qu’un film mexicain ose clairement aborder le thème de la révolution organisée contre un pouvoir totalitaire, alors même que le pays connaîtra une longue période de dictature. Néanmoins, le message, plus que révolutionnaire, est d’abord anti-féministe. Les femmes y sont finalement représentés comme des faibles âmes, incapables de gouverner, des esprits faibles qui tomberaient facilement sous le charme des hommes virils qui graviteraient autour d’elle. La reine de cette tribu d’amazone de l’île de Sibila, la belle – et très courtement vêtue – Eva XLV tombe d’ailleurs amoureuse du mexicain Adan – appréciez la subtile référence à la Bible – et s’empresse, pour le séduire, d’instaurer les coutumes mexicaines à la cour. La suite n’est donc qu’une romance machiste de plus, où le mexicain, vénérable tombeur au charisme lumineux fait tomber comme des mouches les donzelles qui lui tournent autour.
Comme beaucoup de films de genres mexicains de l’époque, Le Sexe Fort (El sexo fuerte) mélange plusieurs codes, et de plusieurs genres. La science-fiction n’est présente que par balbutiements, vous l’aurez compris, il s’agit véritablement d’une des premières excursions du cinéma mexicain vers une sorte d’anticipation – au sens ou on l’entendrait en littérature de science-fiction – bien qu’ici, il s’agirait presque davantage d’une forme mythologique et antique que proprement futuriste. Le film revisite aussi un genre très à part, flirtant avec le cinéma érotique qu’est le film d’amazone qui se développera plus généralement– principalement aux Etats-Unis – dans le milieu des années 50. Mais surtout, sur sa deuxième partie, dès lors que nos Femen antiques se laissent finalement séduire par leurs deux muchachos, le film tourne à la comédie de mœurs romantique, flirtant même avec la comédie musicale proposant plusieurs numéros chantés. Après avoir bu quelques tequilas de trop, la reine Eva XLV perd toute notion de bon sens et de bon goût, convoquant un groupe de musiciennes déguisées en mariachis pour aller chanter la sérénade à son beau mexicain. Finalement, le film qui s’installait comme une satire grinçante du machisme mexicain, finit par réinstaller progressivement les hommes comme les héros de l’histoire, et vire très vite au pamphlet machiste anti-féministe. La colonisation hispanique de cette île d’Eden permettra aux femmes de reprendre leur bonne place qu’est celle de la cuisine. Le film se clôt sur un optimisme masculin – les hommes peuvent se raser et ne plus être contraints de se marier – et les femmes admettent leurs erreurs d’antan. Ils sont quand même super forts ces mexicains.