Dernier volet de la trilogie de Ti West et Mia Goth amorcée avec X (2022) et Pearl (2022), MaXXXine (2024) se devait de conclure à la fois la trajectoire de l’héroïne et un propos plus global sur le cinéma. Après les années 30 et 70, direction les folles années 80 et son lot d’illusions, de clinquant et de violence débridée…
Tripes X
La saga X, comme il convient de la dénommer désormais, c’est avant tout une affaire d’imagerie. Le premier volet reprenait celle de Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974) et de son Texas poisseux. Pearl, le prequel, évoquait Le Magicien d’Oz (Victor Fleming, 1939). Et ce MaXXXine qui nous intéresse aujourd’hui, emprunte à l’esthétique des années 80. Mais ne vous y trompez pas ; si vous avez pu être écœuré des torrents d’hommages aux eighties que l’on se prend depuis Stranger Things (Matt & Ross Duffer, depuis 2016), chez Ti West, il s’agit moins d’une énième révérence aux studios Amblin qu’une lettre d’amour au cinéma bis. D’ailleurs en filigrane, Ti West, accompagné de Mia Goth au scénario, dresse avant tout le portrait au vitriol d’une industrie, des rêves qu’elle suscite et de la machine à broyer qu’elle peut devenir pour des milliers d’anonymes : ce n’est pas un hasard si les dates choisies coïncident avec des périodes clés de l’histoire du cinéma. Les années 30 et leur âge d’or pour Pearl, les années 70, celles des désillusions et du Nouvel Hollywood pour X, et les années 80, ses excès et sa fausse innocence pour MaXXXine. Une frise chronologique qui ne souffre aucune ambiguïté sur le constat global : Hollywood est le pire des serial killers.
Après le voyage dans le passé de l’antagoniste Pearl dans le film éponyme, retour au présent dans MaXXXine. Nous sommes désormais en 1985, six ans après les évènements de X, et Maxine Minx essaye tant bien que mal de se faire une place dans le cinéma, elle qui a jusque-là œuvré dans l’industrie pornographique. Alors que The Night Stalker, un tueur en série, rôde dans les rues de Los Angeles, le passé de Maxine continue de la hanter via un étrange détective privé qui la harcèle. On le voit, MaXXXine revêt l’habit du slasher pur sucre avec ce tueur lancé aux trousses des jolies femmes de la ville et ce mystère sur son identité. Là où X versait dans l’horreur brute de décoffrage, ce dernier chapitre prend le temps de construire une énigme et un univers comme écrin à un même propos. MaXXXine parait être le plus hollywoodien des trois longs-métrages puisqu’une galerie d’actrices et acteurs impressionnante entoure cette fois Mia Goth : Kevin Bacon, Elizabeth Debicki, Michelle Monaghan, Bobby Cannavale, Giancarlo Esposito… Ti West passe clairement un cap cette fois-ci (un million de dollars pour les deux premiers volets, contre quinze pour celui-ci) et il semble s’éclater comme un petit fou avec ses nouveaux jouets.
Sa mise en scène est encore une fois à l’avenant de l’époque qu’il dépeint. Cela rappelle – dans un tout autre domaine évidemment ! – ce que Michel Hazanavicius avait fait sur les deux premiers OSS 117 (2006 et 2009), à savoir un travail de pastiche s’adaptant selon l’époque décrite. Le cadre est large comme dans un bon vieux John Carpenter, l’image est granuleuse et la lumière volontairement baveuse, les effets parfois too much… Il s’amuse et nous aussi. Et puis il déjoue sans cesse les plus basses attentes du spectateur en prenant souvent le contrepied, comme dans cette séquence où le détective privé, qui évoque le Jack Gittes de Chinatown (Roman Polanski, 1974), poursuit Maxine dans les décors de Psychose (Alfred Hitchcock, 1960). Là où il aurait pu jouer avec un décor parlant à tout cinéphile, il préfère bloquer son héroïne dans une impasse soulignant le côté factice de tout cela. Impossible de savoir si cela est volontaire ou non, mais beaucoup de ces ressorts rappellent l’excellent Scream 3 (Wes Craven, 2000) qui s’employait lui aussi à défoncer les illusions d’une industrie avide de chair fraiche. Jusque dans la musique de Tyler Bates, il y a des parallèles plutôt évidents avec cet autre troisième chapitre d’une autre saga culte et méta.
Dans le fond, le discours est imparable. Hollywood est donc tout aussi redoutable qu’un pauvre assassin se baladant armé d’un couteau. Le personnage d’Elizabeth Debicki est en cela équivoque : il illustre une industrie aux dents longues, assoiffée de sang neuf. Celui de Giancarlo Esposito, l’agent de Maxine, évoque un monde où tous les coups sont permis – y compris se débarrasser d’un corps trop gênant – pour faire gagner son poulain. Et Maxine, toujours interprétée formidablement par Mia Goth, incarne une force nouvelle, ou comment s’armer pour lutter contre les forces en présence. Répondre à la violence par la violence. MaXXXine, comme X et Pearl avant lui, devient alors un écrin tout dédié à l’actrice britannique. Elle qui mène sa barque en marge d’Hollywood avec des choix inattendus et audacieux, qui jouit d’une réputation parfois sulfureuse hors et sur les plateaux de tournage, et qui traine son visage aussi poupon qu’étrange : Mia Goth EST Maxine. Ce n’est pas un hasard si elle est aussi concernée par le personnage étant donné qu’elle est également à l’œuvre au scénario. Jusque dans la mise en scène de Ti West qui la filme sous toutes les coutures depuis trois films, elle est au cœur de la trilogie.
En définitive, la franchise aura réussi son coup. Si on pouvait parfois se retrouver un peu circonspect devant X et Pearl, MaXXXine, la dernière pièce du puzzle apporte un relief supplémentaire à l’ensemble. Avec une maestria dans sa réalisation et une belle gestion de ses effets tantôt gores, tantôt gentiment érotiques, Ti West apporte une lumière nouvelle sur sa démarche. Le film, qui se moque ouvertement du puritanisme américain, est aussi plus drôle que ses ainés. On peut y voir également la réussite d’un studio, A24, qui à grands renforts d’outils promotionnels hyper habiles, ont su faire monter la sauce autour de chacun des volets de la trilogie, et à plus forte raison sur cette conclusion. Reste que, dans l’horreur mainstream moderne, la trilogie X fait figure de résistance au regard de ce qu’est devenue une autre saga d’épouvante méta, évoquée plus haut, avec Scream 6 (Matt Bettinelli-Olpin & Tyler Gillett, 2023). On se prend presque à rêver d’un quatrième film se déroulant dans la folie des années 2010-2020, il y aurait beaucoup à dire. On surveillera donc un éventuel revival de la saga X dans les années à venir ! En attendant, MaXXXine est le commentaire sur le cinéma dont nous avions besoin au mi-temps d’une année 2024 encore chiche sur le terrain de l’horreur maline.