Hellraiser (2022)


Heureux de retrouver nos ch(aires)ers et tendres cénobites toujours à la recherche de plaisirs inavoués, le réalisateur de The Night House (2020), David Bruckner, s’approprie la mythologie de Clive Barker pour nous livrer une nouvelle adaptation et lecture du roman éponyme d’Hellraiser sur Paramount +. Mais fallait-il de nouveau sortir le cube du grenier ?

Plan rapproché-épaule sur une Pinhead féminine dans le film Hellraiser 2022.

© Tous droits réservés

We Have Such Sights To Show You

Longue fut l’attente pour ce reboot d’un des films les plus cultes des années 80. D’abord entre les mains de Clive Barker lui-même au scénario, puis Pascal Laugier à la réalisation, évincé par la suite au profit de Patrick Lussier et Todd Farmer pour ensuite nous annoncer un retour de Clive Barker, et puis ne plus rien nous annoncer du tout. On se rassure intérieurement de l’avortement du projet au vu de la qualité des volets précédents en évitant de s’infliger un 11ème opus, déterminé à enterrer la franchise une fois pour toutes. Mais David Bruckner en a décidé autrement et ramène dans notre monde cette belle bande de décharnés, prête à assouvir tous vos plaisirs dans la douleur. C’est Riley (Odessa A’zion), une jeune femme en pleine cure de désintox, qui va en faire les frais. Découvrant le mystérieux cube en compagnie de son petit ami Trévor (Drew Starkey) lors d’un cambriolage, Riley va être témoin de la disparition de son frère au contact de l’artefact. Elle va alors tenter de le retrouver et de percer le mystère de ce fameux cube. Elle va comprendre qu’à chaque fois qu’elle l’actionne, elle convoque les Cénobites, des êtres venus d’ailleurs, promettant un monde de souffrance : mais chaque invocation induit son sacrifice…

Le cube de Hellraiser (2022) donnant accès aux autres dimensions, posé sur un bloc noir, dans une galerie déserte et sombre.

© Tous droits réservés

Fervent réalisateur des films d’horreurs à segment avec VHS (2012) et Southbound (2015), David Bruckner réalise ensuite en solitaire Le Rituel (2017), puis le très brillant The Night House (2020), confirmant son talent sa mise en scène originale qu’il maîtrise avec brio. Et ce qui frappe dès les premières images d’Hellraiser (2022) c’est bien cela, comment au service de la mise en scène, son réalisateur arrive à renouveler l’histoire et même sa mythologie. A commencer d’abord par le cube, fidèle à lui même à première vue, puis d’un mouvement habile de caméra, qui nous est dévoilé sous une toute autre forme, jouant avec notre point de vue, comme pour s’adresser au spectateur en lui disant : “Vous connaissez ceci ? Très bien, je vais en faire quelque chose de différent.” Effectivement, il met en place plusieurs configurations, prenant chacune une forme différente, s’éloignant petit à petit de l’aspect cubique de la chose. Jouant avec les cadres et les décors, il s’amuse à explorer les formes, les lignes, à dissimuler des indices rappelant ça et là les détails de ce cube en pleine métamorphose. Mais changement de décor, oui il y a un “Mais”. Exit le grenier poussiéreux, étouffant, avec toute sa symbolique qui l’accompagne. Le mystique s’évapore et tout devient beaucoup trop lisse et limpide. Les personnages s’engagent dans une quête, avancent et subissent la progression du puzzle avec une facilité narrative déconcertante, n’hésitant pas à répéter certaines mécaniques “fortuites” pour faire avancer le Schmilblick. Le film plonge alors dans une sorte de slasher, éliminant un à un les personnages, rythmé par la cadence de chaque nouvelle configuration du cube, plutôt que dans quelque chose de plus viscéral et ambigu. C’est dommage, d’autant que le récit de Clive Barker ne se limite pas aux effets gore et à son atmosphère mais touche un propos bien plus tabou, mêlant intensément le plaisir et la douleur – représenté par les Cénobites – à l’image de la relation d’adultère du personnage de Julia dans le Hellraiser de 1987. Cette nouvelle lecture s’axe sur le personnage de Riley, habitée par le sentiment de culpabilité de la perte de son frère – thème récurrent sur les trois derniers films du réalisateur – mais qui semble ici bien loin de la métaphore liée à la mythologie originale, qui pousse la version 2022 à perdre de sa saveur et malheureusement d’un sens qu’elle aurait bien mérité.

La chef des Cénobytes, en capuche rose, dans le film Hellraiser version 2022.

© Tous droits réservés

C’est plutôt dans l’approche artistique que David Bruckner parvient à rehausser la saveur de son plat. Les effets spéciaux impressionnent de par leur véracité. Les murs bougent, les décors se transforment et se déforment pour assurer le passage entre les deux mondes ressuscitant des Cénobites fraîchement revisités. Doug Bradley prend sa retraite, c’est Jamie Clayton – révélée dans la série Sense8 (Lana et Lilly Wachowski, 2015) – qui endosse à présent le rôle de Pinhead, apportant une teinte beaucoup plus charnelle et incisive au personnage qui n’est pas sans déplaire. Terminées les tenues en cuir, nous sommes dans le brut. Le charnel a remplacé l’habit pour ne faire qu’un avec ses personnages, jouant habilement sur les sévices corporels pour créer de véritables costumes aux formes délicatement macabres.

Une peau neuve pour les Cénobites, mais qui reste toute de même encore une fois assez superficielle, s’appuyant sur leur représentation fondée par le film original, plus que sur leur réelle recherche du plaisir transcendental et déviant. Quant aux autres personnages, ils ne sont plus à la recherche du plaisir, mais de la sensation. Du moins celui de Roland Voight, le personnage déchu, qui ici n’incarne plus cette volonté de transcendance. Subsiste alors un simple désir de puissance, beaucoup moins viscéral et dérangeant, aseptisant et affectant profondément le sous-texte. Hellraiser 2022 perd ainsi l’adéquation de la douleur physique liée à la souffrance psychique, inhérente dans la trame du récit original. Il en résulte des personnages assez creux. On se demande si l’on va avoir droit à quelques informations plus tard dans le récit, mais que nenni ! Hormis le passé toxicomane de Riley et un reveal déjà flairé beaucoup trop en amont, rien ne pourra enrichir toute cette troupe de jeunes adultes en colloc’. A tel point qu’on en vient à oublier les liens et le nom de certains personnages tellement ils sont insignifiants. Triste fait quand vient leur tour de subir les sévices, car le gore sera votre seule motivation pour éprouver une émotion à ce moment précis.

Si David Bruckner a su se révéler dans des films plus intimistes, il semble ici se perdre parmi un récit beaucoup trop long, qui aurait certainement pu être condensé pour recentrer le propos et l’enrichir par la même occasion. Il n’en reste pas moins une belle surprise, apportant une fraîcheur à la franchise et confirmant la place du réalisateur au sein du cinéma d’horreur Américain contemporain.


A propos de Jean Stefanelli

Élevé dans une maison où l'on déguste des têtes de veaux sauce gribiche au doux son des bols tibétains, Jean a réussi à trouver son équilibre en matant 10 fois par semaine l'intégrale des contes de la crypte. Ses cheveux d'immigré italien se dressèrent sur sa tête le jour où il découvrit l'Enfer des Zombies de Fulci et c'est pourquoi aucune nouvelle histoire ne lui vient sans qu'il n'écoute Fabio Frizzi. Féru d'écriture et d'univers onirico-horrifiques, il réalise des films et emmerde son chef-op pour qu'il lui fasse une séquence à la De Palma dans Pulsions, mais bon, n'est pas Brian qui veut... Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riEIs

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.