Tom Cruise, ou la quête d’immortalité


A l’occasion de la sortie demain de la première partie de Mission Impossible : Dead Reckoning (Christopher McQuarrie, 2023) on plonge à corps perdu dans l’un des motifs récurrents de la filmographie (et de la vie) de Tom Cruise : sa quête d’immortalité.

Tom Cruise en costume de ville s'accroche à un avion en plein vol dans le film Mission Impossible : Rogue Nation.

« Mission Impossible : Rogue Nation » (C. McQuarrie, 2015) © Paramount Pictures

Le Complexe de Dorian Gray

Tom Cruise en pyjama joue de la air guitar dans le salon du film Risky Business.

« Risky Business » de Paul Brickman (1984) © D.R

Avant de s’atteler à dresser le portrait de Tom Cruise, il faut certainement faire aveu que l’on ne fait qu’emprunter des voies déjà balisées, tant il a été écrit et dit sur le personnage depuis des années. Il n’est plus de secret pour personne que de son statut de star totale, qui dirige tout – de son image publique jusqu’aux films dans lesquels il joue – Tom Cruise a fait de sa filmographie l’écho de considérations et explorations personnelles, si bien qu’observer à la loupe ses récents personnages revient à analyser Cruise lui-même. A sa superbe affaiblie par une image publique dégradée et incontrôlée au milieu des années 2000 – corrélative à ses sorties médiatiques prosélytes autour de son appartenance à la Scientologie – Cruise a répondu par un hyper-contrôle de son image et des productions auxquelles il accepte de prêter son nom et son visage. Le voilà désormais, dans la plupart des cas, à la fois producteur et acteur de longs-métrages dont il contrôle absolument tout. Surinvesti dès l’écriture, ces films ne sont plus seulement des films avec Tom Cruise, mais des films de Tom Cruise. Plus que d’autres, les productions dont la star est la tête d’affiche forment, une fois réunies, une cartographie de codes, de thématiques, d’obsessions récurrentes qui nous feraient presque considérer un Tom Cruise movie comme un genre en soi, et l’acteur-producteur comme un auteur à part entière.

Tom Cruise jeune pilote dans le premier Top Gun, est assis dans le cockpit et se tourne vers l'objectif en faisant un pouce ; en fond, le drapeau américain.

« Top Gun » de Tony Scott (1986) © Paramount Pictures

Avant de déployer notre argumentaire et de s’appesantir plus en détails sur le point particulier qui nous obsède, il convient peut être de faire un petit retour en arrière. Comme souvent, dresser l’historique d’une carrière de presque quarante ans permet d’en souligner les reliefs, les changements de cap. Avant d’être amené à jouer la comédie, Tom Cruise est un jeune Américain lambda, pas très beau – il complexe de sa dentition approximative et de son petit gabarit – diagnostiqué dyslexique très tôt par un psychiatre de l’enfance – un des très gros traumatismes de sa vie – il doit aussi composer avec un foyer dysfonctionnel du fait d’un père brutal puis absent – Cruise se dira toute sa vie « coupable de ce divorce » tout en qualifiant son géniteur de « tyran domestique » – et d’un cocon familial qui peine à se sédentariser – il changera quatorze fois d’écoles en quinze ans. D’éducation catholique et parce que voué, selon ses professeurs, à n’être que bon à rien, il envisage d’entrer au séminaire à quatorze ans avant d’être rattrapé par la découverte quasi-hasardeuse du théâtre. Encouragé par sa mère, il participe à quelques comédies musicales, et s’adonne quatre fois par semaine à se sculpter un corps de sportif de haut niveau. Il se donne alors dix ans pour réussir en tant qu’acteur. Il ne lui faudra qu’une année pour y parvenir. Son arrivée à Hollywood est un véritable électrochoc, son jeu vif et son allure d’Américain moyen sont remarqués dans Taps (Harold Becker, 1981) puis Outsiders (Francis Ford Coppola, 1983). Assez naturellement, et grâce à la puissance d’un déhanché resté dans les annales dans son premier gros succès Risky Business (Paul Brickman, 1983) il s’imposera comme l’un des acteurs fétiches de l’Amérique reaganienne : représentation d’un Américain blanc, riche et patriote, dont son rôle dans Top Gun (Tony Scott, 1985) est certainement la consécration. A vingt-trois ans seulement, il obtient son étoile sur le fameux Walk of Fame de Los Angeles.

« Né un 4 Juillet » de Oliver Stone (1990) © Universal Pictures

Rendu au rang de super-star, cet acteur à la trajectoire de vie mouvementée et qui ne lésine pas en interview à s’épancher sur ses traumatismes d’enfance devient la proie idéale d’une secte qui se dit religion et qui tente depuis sa création de mettre le grappin sur le gratin hollywoodien et son vivier de traumas. Parallèlement, Tom Cruise met ses multiples fêlures au service de grands cinéastes qui lui offrent des rôles moins sensationnels et plus habités : il défile ainsi chez Martin Scorsese, Barry Levinson, Oliver Stone, Ridley Scott, Sidney Pollack, Paul Thomas Anderson et bien sûr Stanley Kubrick. Ses escapades chez les grands auteurs américains lui valent trois nominations aux Oscars, à chaque fois assez injustement perdus si l’on ne s’arrête qu’à la performance d’acteur. Mais les tumultes sentimentaux de la star – les couples sur-médiatisés qu’il forme successivement avec Nicole Kidman, Penelope Cruz puis Katie Holmes font la une des journaux à scandales – greffés à ses sorties médiatiques de plus en plus borderlines quant à son appartenance à la Scientologie ont certainement convaincu les votants de lui préférer des outsiders moins scandaleux. De plus, son arrogance mégalomaniaque agace de plus en plus en coulisse et déjà, les critiques commencent à mettre en exergue un certaine méthode Tom Cruise au schéma narratif répétitif et aux personnages stéréotypés. En coulisse, Cruise devient un membre de plus en plus imminent de la Scientologie, son statut de star lui donnant de nombreux passe-droits durant son « enseignement » : on ferme les yeux sur ses piètres résultats aux tests, on l’invite en grande pompe dans le QG hyper secret de la secte où il est reçu comme un chef d’Etat. Les Scientologues vont actionner tous les leviers de la psychologie égratignée de Tom Cruise pour le maintenir dans leur filet : ils lui feront notamment le contre-diagnostic qu’il voulait entendre concernant sa dyslexie, dans une des fameuses interview controversée de la star, il expliqua : « J »applique la technologie de Ron Hubbard pour étudier, pour lire et pour travailler. Ainsi, j’ai réalisé que je n’étais pas dyslexique. Ça a changé ma vie. Je suis aujourd’hui capable d’étudier et d’apprendre très vite. J’ai une compréhension exceptionnelle. La radicalisation de Cruise est rapide, parce que l’Église de Scientologie a besoin rapidement de lui et de son influence sur le microcosme hollywoodien. Là où d’autres membres doivent faire des années d’enseignements pour monter les niveaux, Tom Cruise les gravit à une vitesse faramineuse et devient incollable sur La Dianétique de Ron Hubbard – leur équivalent de La Bible – dont il est capable de citer des passages entier, tel le messie en campagne. Le contenu de ce texte fort décrié, entre préceptes de vie, philosophie spirituelle et récit de science-fiction, doit nécessairement être éclaircit ici, tant cela pourrait avoir eu un impact significatif dans les choix de carrière et de rôles de Tom Cruise. Parmi ces nombreuses doctrines structurelles, la Scientologie considère que la motivation fondamentale de la vie est la survie, elle-même étant située sur une échelle graduée allant de la mort à l’immortalité potentielle.

Plan rapproché-épaule sur Tom Cruise en vampire blond, l'air fasciné, et canines visibles, dans le film Entretien avec un vampire.

« Entretien avec un vampire » de Neil Jordan (1994) © D.R

Or, on constate qu’après son entrée au sein de la secte, la thématique de l’immortalité ou de sa recherche – exprimée sous tous ses angles – va devenir une récurrente dans la filmographie de Tom Cruise. D’abord en 1989, quand il incarne le héros de guerre Ron Kovic dans Né un 4 Juillet (Oliver Stone, 1989) dont le parcours de vie ressemble presque à celle du Christ, tant il survit à tous les maux qui viennent fracasser son destin de martyr héroïque et iconique. On pense aussi, bien sûr, à son incarnation carnassière et sensuelle de Lestat dans Entretien avec un vampire (Neil Jordan, 1994). Rappelons que Anne Rice, l’autrice du livre dont le film est adapté, avait d’abord mené une vive campagne médiatique pour faire savoir qu’elle trouvait le choix de Tom Cruise déplorable. Les remous de cette polémique ont certainement laissé à la postérité quelques clés d’analyse supplémentaires pour comprendre le personnage Tom Cruise. Vexé de ne pas être jugé apte à incarner, à 32 ans, un vampire à la jeunesse éternelle, ce dernier mène une campagne médiatique tout aussi virulente à coups de gros titres « I am Lestat !». Sa performance dans le film est littéralement subjuguante. Cruise surprend Hollywood en prenant le contre-pied de la masculinité hétéro-normée et triomphante qui le caractérise, en incarnant un dandy sensuel crypto-gay aux questionnements philosophiques profonds sur la vie et la mort, dans un film dans lequel il suce le sang du plus bel éphèbe du Hollywood d’alors, Brad Pitt, comme pour prophétiser que lui seul sera en mesure de conserver sa jeunesse éternelle avec le temps. Devant le fait accompli, Anne Rice fut obligée de se raviser par une lettre d’excuse publique, impressionnée par cette prestation habitée. En conclusion de cette joute médiatique, au sortir du long-métrage, le réalisateur Neil Jordan avait alors offert une analyse assez brillante sur sa star, qui livre un éclairage métaphorique passionnant pour aborder la figure immortelle que ne cessera d’incarner Tom Cruise après ce film : « Le monde d’un vampire n’est pas si éloigné de celui d’une star hollywoodienne, elle est privée de la lumière du jour, elle vit isolée, chacune de ses apparitions publiques provoque une onde de choc et avec ça, elle est condamnée à entretenir son éternelle jeunesse ».

« Vanilla Sky » de Cameron Crowe (2001) © Paramount Pictures

L’incarnation magistrale de Lestat par Cruise est donc peut-être l’expression la plus prononcée de ses obsessions d’immortalité. La clé de voûte pour comprendre la construction mentale d’un individu qui cherchera constamment à tromper la mort, à se prouver qu’il est plus fort qu’elle. Dès lors, qu’il s’agisse de ses desideratas d’acteur-producteur – il commence à s’investir dans la production de ses propres films dès 1990 avec Jours de Tonnerre (Tony Scott) – ou bien seulement d’éléments narratifs que des cinéastes transposent naturellement sur lui, Cruise va entretenir de films en films cette image. Dans Vanilla Sky (Cameron Crowe, 2001) il n’y a pas que l’étrange masque qu’il revêt qui sert notre dialectique, mais aussi cette étrange entreprise de la science-tech, « Life Extension » capable de cryogeniser les éclopés le temps que la médecine puisse les sauver – ici, le personnage de Cruise a survécu miraculeusement à un accident de voiture (une constante dans sa filmographie) et doit donc subir une opération de reconstruction du visage. Cette entreprise n’est pas sans rappeler celle au cœur de Minority Report et son scénario d’anticipation qui imagine un monde où l’on pourrait prévoir les crimes et donc tromper la mort elle-même. Autre constante des rôles qu’il ou qu’on lui attribue, celui d’un homme qui de par son courage, son abnégation, sa force, va survivre a à peu près tout, que ce soit métaphorique comme dans le film de science-fiction teinté d’idéologie scientologue Oblivion (Joseph Kosinski, 2013), ludique comme dans le génial Edge of Tomorrow (Doug Liman, 2014) – certainement l’objet de sa filmographie qui l’a commenté le mieux. Mais encore, sous une autre forme, dans deux productions assez jumelles : Le Dernier Samouraï (Edward Zwick, 2003) – dans lequel, comme son titre l’indique, Cruise s’invente Américain dernier survivant et défenseur du code samouraï dans un cas d’école de ré-appropriation culturelle (et scientologue). Même quand il rejoint, bien plus tard, le navire branlant d’un énième remake de La Momie (Alex Kurtzman, 2017) il parvient à user de son pouvoir pour faire ré-écrire le scénario, offrant à son personnage d’aventurier-militaire « à la Cruise » un destin final étonnant puisqu’il devient lui-même la Momie ! S’il on avait voulu inventer exemple plus grossier pour étayer cette fascination pour l’immortalité chez Cruise, nous n’aurions certainement pas eu autant de culot.

(en haut) « Minority Report » (en bas) « La Guerre des Mondes » de Steven Spielberg © D.R

Plus encore, Cruise incarne une figure d’acteur de film d’action qui ne vieillit jamais. Son visage lisse et sans ride, traverse le temps sans s’altérer. Plusieurs cinéastes sembleront même analyser ce phénomène fascinant au sein de leurs réalisations en s’amusant à malmener ce faciès sans âge. On pense encore à Cameron Crowe, dans Vanilla Sky, qui affuble la star d’un masque inexpressif fait de latex. Tandis que Spielberg lui-même s’en amusera par deux fois, d’abord dans Minority Report (2002) dans lequel Cruise s’auto-injecte au visage un relaxant musculaire qui laisse entra-paraître l’espace d’un instant un visage tuméfié et bouffi de vieillard. Puis, trois ans plus tard, dans une scène aussi brillante qu’effrayante de La Guerre des Mondes, dans laquelle Cruise contemple dans un miroir, son reflet recouvert littéralement du spectre de la mort : ses cheveux sont grisonnants du fait de la poussière et des cendres des victimes et des gravats du marasme extérieur, faisant de cette image à la fois une vertigineuse métaphore du drame du 11 Septembre qui hante l’ensemble du film, mais aussi un commentaire évident sur l’acteur lui-même, celui-ci s’empressant d’ôter ce gris à ses cheveux qui lui renvoie une image de lui qui lui est insupportable. Ce film marque par ailleurs la première vraie rupture avec Hollywood et son monde. Dans une période allant de 2003 à 2005, Cruise est vivement critiqué parce qu’il utilise de plus en plus les séquences de promotions des films dans lesquels il joue pour s’épandre médiatiquement sur les supposés bienfaits de l’Eglise de Scientologie et la dangerosité de la psychanalyse – qu’il présente comme une fausse science. Lors de la promotion médiatique de La Guerre des Mondes (Steven Spielberg, 2005) notamment, Spielberg se retrouve obliger d’annoncer publiquement qu’il ne souhaite plus jamais travailler avec l’acteur – avec qui il a enchainé deux films, Minority Report (2002) les ayant déjà réunis avant celui-ci – se désolidarisant totalement des prêches télévisuelles de Cruise qui ne cesse de ramener le propos du long-métrage aux dogmes scientologues. Pire encore, le studio Paramount, fidèle à l’acteur durant quatorze années, décide de le congédier en 2006 des suites du fameux épisode du canapé chez Oprah Winfrey – un Tom Cruise totalement allumé, y sautait comme un adolescent sous cocaïne en hurlant son amour pour Katie Holmes dans l’un des moments de gêne les plus anthologiques de l’Histoire de la télévision américaine. Sumner Redstone, patron de Paramount, avait alors publiquement désavoué la star pour son comportement « Nous apprécions Tom en tant que personne, mais nous avons estimé que renouveler son contrat n’était pas approprié. La façon dont il s’est récemment conduit n’est pas acceptable pour Paramount ». Désormais persona non grata parmi les plus grands – à l’époque, Sumner Redstone et Steven Spielberg faisaient la pluie et le beau temps à Hollywood et étaient certainement deux des personnalités les plus influentes du septième art – Tom Cruise va alors décider de mener sa barque seul, capitalisant sur son image écornée mais toujours puissante – le magasine Forbes, la même année, le considère comme la célébrité la plus influente du monde – et entreprendre de construire son empire hollywoodien parallèle, tout dévoué à sa gloire.

« Mission Impossible 3 » de J.J Abrams (2006) © Paramount Pictures

Blessé mais loin d’être abattu, le comédien va muter et se mettre en quête d’un élixir d’éternité pour survivre à ce Hollywood qui ne veut plus de lui. Pour se faire, Tom Cruise qui produisait déjà en partie ses films via sa boîte de production Cruise/Wagner – qu’il possède alors avec son agente Paula Wagner – rachète United Artists, un studio mythique d’Hollywood parce que fondé par Charlie Chaplin, Douglas Fairbanks, Mary Pickford et D.W Griffith. Cette prise de guerre est moins une aubaine financière qu’une façon pour l’acteur d’enfiévrer son égo abîmé. L’expérience sera peu concluante, les échecs financiers sont nombreux et seuls les Tom Cruise movie maintiennent péniblement les comptes à flot. Ce mauvais business a raison de l’amitié entre Wagner et Cruise qui devient alors de plus en plus esseulé. Il remonte une nouvelle fois en selle et fonde un studio à ses initiales TC Productions et se rabiboche très rapidement avec Paramount, profitant d’un changement de direction. La succession de ses trois aventures en tant que producteur vont lui faire gagner toujours plus de contrôle sur les projets dont il choisit d’être la tête d’affiche. Corrélé à cet hyper-contrôle, sa filmographie va alors, plus que jamais, entretenir l’image d’une masculinité sur laquelle le temps n’a plus aucun effet. Cruise devient définitivement cet action man dont le visage ne semblera plus jamais évoluer, seules ses différentes coupes de cheveux lui feront traverser les époques et transfigurer ce faciès figé comme dans du marbre. Sans avoir, a priori, recours à la chirurgie esthétique ni au de-aging (rajeunissement numérique), Cruise va devenir cette créature mythologique, une sorte de versant technicolor du portrait de Dorian Gray, la pellicule imprimant la jeunesse écarlate de cet héros générique de l’Amérique contemporaine. A ce refus de se regarder vieillir, Tom Cruise adjoint par ses choix de films, une vraie réflexion autour d’une figure de surhomme increvable, voir immortel. La saga Mission Impossible (1996-2024), dont il s’évertuera à perpétuer le succès, lui servira de socle. Un écrin à plusieurs millions de dollars pour vernir inlassablement cette image façonnée de toute pièce.

Tom Cruise dans les airs, plane au dessus d'une moto en pleine chute.

« Mission Impossible : Dead Reckoning » de C. McQuarrie (2023) © Paramount Pictures

Il convenait de laisser une place de choix aux sept volets de la saga Mission Impossible dans notre analyse, tant ils constituent sans équivoque le socle thématique de la carrière de Tom Cruise. D’abord, parce que depuis le premier épisode, la saga est de bout en bout chapeautée par l’acteur himself. Il choisit les scénaristes et cinéastes avec lesquels il souhaite travailler, valide l’ensemble des castings, en bref, il est à l’œuvre à tous les niveaux de la fabrication et ce en tant que producteur et acteur vedette. Cette série de films est alors pensée par Cruise comme un écrin d’orfèvre, destinée à polir son image publique et cinématographique. Si bien que quand Tom Cruise s’autorisera des excursions dans d’autres films d’actions, et ce, qu’il les produise ou non – de Night and Day (James Mangold, 2010) à Jack Reacher (2012-2016) en passant par Barry Seal (Doug Liman, 2017) – ce sera toujours en y exportant une énième itération d’Ethan Hunt. Outre ses qualités filmiques et scénaristiques indiscutables, la saga Mission Impossible s’est surtout imposée par le spectacle tonitruant qu’elle s’engage à offrir aux spectateurs, notamment par le biais de ses cascades à couper le souffle. Ces fameuses bravades ont largement contribué à renforcer l’image de trompe-la-mort de Tom Cruise, ce dernier sur-médiatisant le fait qu’il les réalise lui-même, en s’imposant par ailleurs de dépasser toujours plus ses limites. Pourtant, cela avait commencé petit bras. Insatisfait du rendu de la scène d’explosion de l’aquarium du premier volet réalisé par Brian de Palma (1996), Cruise propose à sa doublure de cascade de lui laisser sa place, malgré les bris de verres et les nombreux litres d’eau qui allaient s’abattre sur lui. Il survit. La scène est dans la boite et criante de vérité. Après ça, l’acteur s’évertuera à réaliser l’ensemble de ses cascades lui-même et pas uniquement dans la saga Mission Impossible. On se souvient en vrac, de l’escalade de l’un des plus grands buildings du monde sans assistance dans Protocole Fantôme (Brad Bird, 2011), d’une plongée en apnée pendant un plan séquence de six minutes et demie dans Rogue Nation (Christopher McQuarrie, 2015) ou de la suspension à un avion entrain de décoller dans le même opus… Sans oublier la démente poursuite en hélicoptères de Fallout (Christopher McQuarrie, 2018) qui finit dans un carambolage incroyable dont Ethan Hunt et par extension Tom Cruise, ressortent évidemment sans aucune égratignure. Il est intéressant de constater que par ce jeu du toujours plus haut, toujours plus fort, Cruise et Hunt ont comme fusionné dans les yeux du public. Quand Hunt s’élance en moto à flanc de falaise pour effectuer une chute libre en parachute dans Dead Reckoning (Christopher McQuarrie, 2023) c’est d’abord Tom Cruise qui s’envole devant nos yeux pour défier la mort et nous prouver (se prouver) qu’il est définitivement bien immortel. La marque de fabrique s’imprimant, Cruise ne parvient plus à s’effacer derrière ses personnages et ce n’est pas pour rien qu’il peine à en explorer d’autres, tant Hunt et ses prouesses semblent le hanter littéralement.

Tom Cruise vu de face tout sourire dans le film Top Gun : Maverick roulant sur une large route en moto grosse cylindrée.

« Top Gun : Maverick » de Joseph Kosinski © Paramount Pictures

D’aucuns considéreraient certainement Top Gun : Maverick (Joseph Kosinski, 2022) comme un cas à part, mais ce qui rendait le long-métrage si génial et passionnant n’était pas tant la facilité avec lesquels il revitalisait les codes surannés des actionners reaganiens des 80’s, mais bien la façon dont le film discutait, façon meta, avec un Tom Cruise qui, pour la première fois, questionnait son devenir d’égérie old school, s’observant vieillir sans (presque) aucune ride. Une scène cruciale du film mettait particulièrement en exergue cette jeunesse éternelle et presque injuste de Cruise, quand ce dernier retrouve son alter-ego de l’époque, Val Kilmer, sur qui, la vie, l’alcool, la maladie et l’âge ont laissé bien plus d’empreintes. Au sortir du film, nulle passation de pouvoir n’a véritablement eu lieu – c’est encore une fois grâce au personnage de Cruise que le monde est sauvé – et l’acteur semble encore suffisamment en forme pour réitérer l’exploit de ne pas vieillir quelques années de plus. Mieux encore, au sortir d’une crise sanitaire ravageuse pour l’industrie du cinéma qu’on annonçait déjà comme agonisante, le succès colossal de Top Gun : Maverick aurait, selon beaucoup d’observateurs, relancé la machine. Plus encore, lors du traditionnel déjeuner des nommés aux Oscars qui a eu lieu en Janvier dernier, Tom Cruise a été alpagué et fermement enlacé par Steven Spielberg – celui-là même qui jurait en 2005 ne plus vouloir entendre parler de ce satané scientologue – le remerciant chaleureusement d’avoir « sauvé la peau d’Hollywood, sérieusement, Maverick pourrait avoir sauvé toute l’industrie du cinéma !». En face de lui, Tom Cruise s’affiche sans voix, mais certainement gargarisé d’égo. Lui qui s’évertue depuis plus de trois décennies à se rendre immortel à l’écran peut désormais se considérer comme le messie salvateur perpétuant l’immortalité du septième art. Avouons que pour ce scientologue qui se considère comme le prophète d’une pseudo-religion, il y a de quoi admettre que des heures à tenir fermement des boites de conserves en aluminium reliées à un appareil électrique de fortune ait pu, tout compte fait, vraiment fait de lui un surhomme.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

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