Memories of Murder 3


Figure du polar coréen, Memories of Murder (2003) fait l’objet d’une ressortie en salles, l’occasion de constater la force influente du second film de Bong Joon-ho.

Sécurité intérieure

Alors que la communauté cinéphile a les yeux rivés sur le prochain film de Bong Joon-ho, Okja produit par Netflix et dont on avait notamment pu voir des croquis préparatoires dans les Cahiers du Cinéma (Quoi, vous lisez pas les Cahiers ? C’est que vous n’êtes pas cinéphile, vous lisez Studio ou L’officiel des spectacles au moins ?!), c’est son second long-métrage, celui qui l’a rendu célèbre chez lui et en dehors, qui fait l’objet d’une ressortie en salles. Orchestrée par la Rabbia, cette remise en avant de Memories of Murder (2003) a le bon goût d’arriver à un moment de l’Histoire du cinéma où ses émules de films policiers coréens ont envahi les écrans et sont déjà bien identifiés par le public. Retourner (ou aller) simplement voir Memories of Murder se ressent donc comme à la fois un bilan rétrospectif, et un constat de culture de cinéma, permettant de se remémorer la paternité de certaines œuvres qui nous ont marqués depuis.

Sur le papier il faut bien dire que le point de départ du récit n’est pas follement original, pour ne pas dire qu’il est déjà balisé à l’époque. Deux inspecteurs d’une ville moyenne voire campagnarde aux méthodes un peu rugueuses (nous y reviendrons) font face à un violeur en série, et sont plutôt mis en échec. Leur hiérarchie fait donc venir un officier de la capitale, bien plus discret et cérébral, pour les aider à mettre le grappin sur le barge…Un œil distrait pourrait suivre Memories of Murder comme un polar comme un autre, avec des questions sur l’identité du coupable, des fausses pistes, des rebondissements, une angoisse palpable et des séquences nocturnes et de poursuite etc etc. Or point par point, le long-métrage effectue régulièrement un pas de côté par rapport aux conventions.Les fausses pistes ne sont pas placées pour divertir le spectateur, ou du moins pas seulement pour maintenir son intérêt mais patiemment pour lui faire perdre ses repères. Avec ces policiers qui perdent manifestement pied, et semblent s’éloigner toujours plus de la résolution de leur enquête, quand bien même mettent-ils la main sur un suspect numéro 1, Memories of Murder fonctionne comme un Seven, envoyant chier l’identification et la conduite pépère du film policier pour un récit au fond assez sombre et qui ne se meut qu’avec une énergie impuissante. Cela n’empêche pas Joon-ho de dévoiler en plus son goût pour le mélange des genres, pouvant passer de la comédie au sérieux le plus glauque en quelques secondes, et ce tout au long du film, en un numéro d’équilibriste qui n’en a pas l’air.

Grâce à sa durée conséquente pour un thriller, Memories of Murder se place également en une œuvre riche dans une signification proprement coréenne. Par la rencontre entre le flic de Séoul et les autochtones qu’il vient aider, c’est une opposition qui naît : entre les inspecteurs ruraux qui jouent sur l’intuition, un système D, voire le spiritisme pour l’un d’eux, et celui de la capitale plus cérébral et analytique, c’est un clivage de méthode oui, mais surtout l’illustration d’un clivage social, notamment avec des clichés dont le réalisateur s’amuse d’autant plus (parfois l’intuition fonctionne, parfois c’est le cérébralisme du flic de Séoul) qu’au final tout le monde est se heurte à la même impuissance et laideur du monde. Habilement, Joon-ho situe aussi l’enquête (pour sa première longue partie) en 1986 soit pendant la dictature de Chun Doo-hwan, ce qui lui permet de livrer un constat virulent sur les représentants de l’ordre au Pays du Matin Calme. Entre la torture ou la falsification de preuve d’un côté et la répression musclée voire homicidaire de revendications sociales que Joon-ho nous présente bien et dont il souligne l’absurdité (les agents de la brigade criminelle ne peuvent pas avoir de renforts pour arrêter le tueur en série car toutes les équipes sont parties réprimer une manifestation), le long-métrage est une accusation à charge envers ceux qui sont censés protéger une population et par l’aberration d’un système opèrent l’inverse… Près de quinze ans après sa sortie, il est frappant de voir comme par tous ces aspects, Memories of Murder a eu une influence considérable, voire a littéralement forgé un genre depuis reconnu mondialement, et auquel certains rejetons comme Na Hong-jiin (la claque The Strangers) doivent beaucoup.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM


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3 commentaires sur “Memories of Murder