De Méandre à Oxygène, revivre pour survivre


Les films de genre français ont profité de la réouverture des salles en mai dernier pour faire un retour en fanfare. Si Alexandre Aja a choisi de collaborer avec Netflix pour son dernier film Oxygène (2021) sorti en mai, les amateurs d’horreur sur grand écran ont eu l’embarras du choix avec Méandre (Mathieu Turi, 2021) sortis quant à lui pour la ré-ouverture des salles. Coïncidence ou pas, ces deux productions sont toutes, à leur façon, des films de claustration dans lesquels les personnages principaux sont enfermés dans des espaces restreints : l’occasion rêvée pour revenir sur la mise en scène des ce type de longs-métrages que l’on peut qualifier comme sous-genre à part entière du film d’angoisse et sur les thématiques qui les traversent.

“Méandre” de Mathieu Turi © Alba Films

Renaître en soi

Depuis les débuts du cinéma de genres, l’enfermement et la peur qui l’accompagne chez certaines personnes, fait partie des thèmes récurrents, que ce soit dans les premiers films fantastiques – La Chute de la maison Usher, Epstein, 1928 – les survivals – Massacre à la tronçonneuse, Tobe Hooper, 1974 – ou les thrillers – Panic Room, David Fincher, 2002. L’évasion d’un espace restreint n’est pas seulement synonyme de tension propre à bon nombre de films de survie ; il transmet surtout un sentiment de claustrophobie qui met les nerfs des spectateurs à rude épreuve. Les années 2000 et 2010 ont vu fleurir des films de claustration à toutes les sauces, avec des personnages ensevelis dans World Trade Center (Oliver Stone, 2006), The Descent (Neil Marshall, 2005) ou Tunnel (Kim Seong-Hun, 2017), enterrés vivants comme dans Buried (Rodrigo Cortes, 2010), ou coincés dans des jeux macabres à l’image de Saw (James Wan, 2004), Cube (Vincenzo Natali, 1997) ou Escape Game (Adam Robitel, 2019). Les films de claustration sur/sous l’eau ont eux aussi connu de beaux jours avec le Hitchcock Lifeboat (1944) ou Le Bateau (Wolfgang Petersen, 1981), et continuent d’alimenter l’imaginaire de productions plus récentes telles que Triangle (Christopher Smith, 2009) ou The Boat (Winston Azzopardi, 2018). 

En haut, “Méandre”  © Alba Films / En bas, “Oxygène” © Netflix

Dans Oxygène et Méandre, Alexandre Aja et Mathieu Turi forcent, quant à eux, la claustrophobie à l’extrême en plaçant respectivement leurs héroïnes dans une capsule cryogénique et un tube piégé. Pour survivre, elles n’ont donc pas d’autre choix apparent que d’en sortir le plus vite possible. Telle est la tension propre aux films de claustration où le temps est presque toujours compté ; un défi pour les personnages comme pour le/la cinéaste car ce même temps doit être habilement géré pour maintenir le spectateur en haleine et ce malgré le huis clos. En effet, si dans une grande majorité des films, le temps fictif s’écoule plus vite que le temps réel du spectateur, les films de claustration jouent souvent sur la superposition de ces deux temporalités afin de faire partager cette sensation phobique en temps réel. L’ambition de maitriser un film à l’espace restreint va donc souvent de pair avec la gestion du temps, et surtout la problématique de réinventer la mise en scène pour rendre cette sensation de temps réel la plus convaincante possible. La revitalisation de ce sous-genre liée aux sorties consécutives d’Oxygène et Méandre nous amène donc à cette réflexion : comment le huis clos force-t-il l’expérimentation formelle et scénaristique ? Un intérêt décuplé, après des mois de confinements et de couvre-feu restrictifs, tant les sentiments d’isolation et d’étouffement ressentis devant ces films risquent de rappeler des mauvais souvenirs à certains.

En haut “Kill Bill 2” © DR / En bas “The Descent” © DR

De Buried où Ryan Reynolds se retrouve enterré vivant en Irak, à Kill Bill 2 (Quentin Tarantino, 2004) et la fameuse séquence où Beatrix, elle aussi enterrée vivante, sort du cercueil en mode Evil Dead (Sam Raimi, 1981), la taphophobie – ou peur d’être enterré vivant – revient fréquemment dans le sous-genre. C’est justement cette peur que ressent le personnage de Mélanie Laurent dans Oxygène quand elle se réveille dans un module cryogénique avec seulement 35% d’oxygène restants. Incapable même de se souvenir de son prénom, l’héroïne amnésique va tenter de retracer son parcours grâce à l’intelligence artificielle MILO présente dans la cabine, avec l’espoir que ses souvenirs l’aident à s’en sortir : l’a-t-on enfermée contre sa volonté ou a-t-elle accepté de son plein gré ? Le labyrinthe cérébral pour recouvrer la mémoire dans Oxygène s’oppose donc au labyrinthe plus physique de Méandre : là aussi Lisa (Gaia Weiss) se réveille partiellement amnésique dans un tube rempli de pièges où elle est forcée d’avancer sous peine d’être brûlée vive au bout de 11 minutes – une idée de scénario inspirée par la scène dans les conduits du vaisseau dans Aliens le retour (James Cameron, 1986). Davantage concentrée sur son objectif de terminer le parcours infernal plutôt que sur son (ses ?) bourreau(x), Lisa s’accroche au souvenir de sa fille décédée – ce qui n’est pas sans rappeler la thématique de la maternité invoquée déjà dans The Descent. Les deux long-métrages d’Aja et Turi mettent donc en avant l’importance des souvenirs comme motivation à la survie, que ce soit une relation amoureuse ou une relation filiale, ce qui n’est en apparence pas très novateur. Les personnages en situation de claustrophobie extrême ont toutes ce désir de vivre, mais ce qui différencie Oxygène et Méandre des autres scénarios de survival, c’est que les deux héroïnes ne cherchent pas en réalité à survivre, mais à re-vivre. Chacune à leur manière, les deux œuvres posent la question existentielle de la re-naissance et plongent ainsi dans la science-fiction, ce qui les éloigne scénaristiquement des thrillers plus conventionnels ou des torture porn à la Jigsaw (Peter et Michael Spierig, 2017). Par contre, comment ne pas faire le lien avec Gravity (Alfonso Cuarón, 2013) et le personnage de Sandra Bullock qui, comme Lisa, a perdu un enfant, et qui se raccroche à cette maternité passée pour échapper à l’immensité de l’espace. Cuarón réussit le pari fou de rendre l’espace claustrophobique malgré le vide qui entoure sa protagoniste, Gravity devenant ainsi une forme de huis clos à ciel ouvert.

“Gravity” de Alfonso Cuaron © Warner Bros

Cette comparaison voudrait-elle dire qu’Oxygène et Méandre se déroulent eux aussi loin de la Terre ? Aja parvient à garder intact jusqu’au bout le mystère de la capsule cryogénique grâce à un rythme évolutif : la première moitié du récit, assez lente en soi, creuse la reconstruction de la mémoire à la manière d’un puzzle ; la seconde moitié pousse en accélération à l’aide de plusieurs plot twists ingénieux – même si certains regretteront peut-être qu’ils ne soient pas arrivés plus tôt par souci de développement plus profond. On apprend en effet que la Terre a été ravagée par une pandémie – sans rire ? – et que le personnage de Mélanie Laurent est en réalité un clone destiné à peupler une colonie spatiale qui s’est réveillé trop tôt pendant le voyage. On pense bien sûr immédiatement à Oblivion (Joseph Kosinski, 2013) quand Tom Cruise découvre qu’il est lui aussi un clone, ou au Chris Pratt de Passengers (Morten Tyldum, 2016) qui se réveille trop tôt lors d’un voyage spatial. Cependant, malgré les similitudes avec des films de science-fiction récents, les surprises d’Oxygène fonctionnent bien car elles surviennent au bout d’une heure d’enquête et de « recherche de soi » qui induisent le spectateur en erreur pour pencher dans un premier temps vers la piste du complot. Les révélations amènent surtout la question existentielle de la perception émotionnelle des clones : bien que les souvenirs de sa propre vie, y compris sa relation amoureuse, ne soient pas techniquement les siens mais ceux qu’on lui a implanté, la Elizabeth clonée refuse de se laisser mourir et estime qu’elle aussi a le droit de vivre.

“Le Scaphandre et le Papillon” de Julian Schnabel © DR

Les clones ou intelligences artificielles qui rejettent leur statut de sous-humain est un thème assez répandu au cinéma, que ce soit dans le A.I. de Spielberg (2001), I, Robot (Alex Proyas, 2004) ou l’excellent Ex Machina (Alex Garland, 2014). Le brio du scénario d’Oxygène – à l’origine écrit par l’Américaine Christie LeBlanc et laissé dormant dans la fameuse blacklist depuis 2016 – et surtout de la mise en scène d’Aja est d’avoir créé cette empathie pour le personnage qu’on croyait humain, qu’on perçoit soudainement comme un clone, mais qui de par ses émotions à fleur de peau redevient très vite humain aux yeux des spectateurs. Par ailleurs, le metteur en scène fait souvent mention du film Le Scaphandre et le papillon (Julian Schnabel, 2007) comme influence notable – on comprend mieux pourquoi Mathieu Almaric prête sa voix à la reconnaissance artificielle MILO. Impressionné par le talent d’acteur d’Almaric et la force du scénario à exprimer la dés-association d’un corps qu’on ne reconnait plus, Aja en a puisé l’inspiration pour son clone non seulement piégée dans une capsule mais aussi dans un corps qu’elle n’a pas choisi et auquel elle ne s’identifie pas. Pourtant, de la même façon que le personnage handicapé du Scaphandre et le papillon doit réapprendre à vivre, cette nouvelle version d’Elizabeth accepte elle aussi sa re-naissance.

“Méandre” de Mathieu Turi © Alba Films

Chez Turi, cette question de la re-naissance est traitée de façon plus implicite et malheureusement beaucoup plus naïve – ce dernier défaut étant déjà présent dans son premier long Hostile (2017) où les flashbacks de la jeune femme piégée dans le désert étaient bien trop poussifs. Le tube de Méandre pourrait s’assimiler à un chemin de croix façon purgatoire que Lisa doit surmonter pour arriver dans un paradis reconstitué et y retrouver sa fille décédée. Il faut alors comprendre que le tube est l’œuvre d’aliens soucieux d’inculquer aux pauvres humains la prévalence de l’esprit sur le corps – des indices sur cette invasion extraterrestre sont disséminés un peu partout dans le film pour les spectateurs les plus attentifs. Sur le fond, ce deuxième long-métrage ne fait pas vraiment le poids en se perdant dans une vision idéaliste de l’existence humaine, qui certes pourrait plaire aux Américains fans de happy ending, mais aura plus de difficultés à satisfaire un public un tant soit peu rationnel. Sachant que les labyrinthes piégés avaient déjà été exploités dans Cube (Vincenzo Natali, 1997) ou le moyen-métrage japonais Haze (Shinya Tsukamoto, 2005), on peut supposer que Turi a voulu jouer la carte de la différence dans sa symbolique, au détriment de la crédibilité. Fort heureusement, la vraie force de Méandre se trouve dans sa mise en scène. Le jeune réalisateur injecte une bonne dose de tension dans le sous-genre du survival en huis clos en forçant son héroïne à être constamment en mouvement pour ne pas mourir. Il clame haut et fort son inspiration directement tirée des jeux vidéo – en particulier de Death Stranding de Hideo Kojima avec qui il est ami – en insérant par exemple des signaux dans le tube qui rappellent les boutons des manettes de jeux vidéo. La plus grosse influence réside surtout dans le concept de “die and retry“ (mourir et recommencer) – qu’on a déjà pu voir au cinéma dans Happy Birthdead (Christopher Landon, 2017), Edge of Tomorrow (Doug Liman, 2014) ou dans Triangle (Christopher Smith, 2009). Si on peut en premier lieu croire que les corps morts que Lisa croise dans le tube sont des compagnons de mauvaise fortune, il s’agit en réalité des “versions“ d’elle-même qui n’ont pas réussi à finir le parcours à temps. Le corps d’origine de Lisa est mort depuis le début ; seul son esprit reste en vie. Un plot twist intéressant qui aurait mérité un développement plus conséquent, justement pour renforcer et expliciter cette connexion avec le jeu vidéo.

“Oxygène” de Alexandre Aja © Netflix

Le parallèle entre la protagoniste clonée d’Oxygène et l’héroïne de Méandre réside donc dans cette idée que les deux femmes sont bloquées dans des espaces extrêmement restreints où les mouvements doivent être prudemment calculés, mais sont aussi « bloquées » dans des corps qui ne leur correspondent pas/plus. L’enfermement est donc double d’un point de vue matériel (la capsule et le tube) et d’un point de vue physique (le corps comme prison). On pourrait même le voir triple avec l’enfermement mental qui incite par moments les jeunes femmes à accepter leur mort. Mais c’est là que les deux métrages sont au plus fort de leur symbolique : Elizabeth et Lisa se tournent vers la re-naissance intérieure pour survivre. Qui sait si Elizabeth sortira un jour de sa capsule, et on sait déjà que le corps de Lisa est mort dans le tube. Si les deux femmes ne peuvent pas quitter leur prison, elles se libèrent au moins de leur carcan émotionnel pour devenir de nouvelles personnes. En plus de rivaliser d’astuces de mise en scène pour contrer les limitations du huis-clos, Oxygène et Méandre ont tous deux le mérite d’insuffler tension, renversements scénaristiques et symboliques multidimensionnelles dans un sous-genre qui compte déjà bon nombre de références. Si Aja avait fait ses preuves de maitre du suspense dès ses débuts avec Haute Tension (2003) et son plot twist schizophrénique, Turi dévoile avec ce second long-métrage un potentiel prometteur de scénariste et metteur en scène qui nous rend particulièrement impatient de découvrir ses prochains projets.


A propos de Emma Ben Hadj

Étudiante de doctorat et enseignante à l’université de Pittsburgh, Emma commence actuellement l’écriture de sa thèse sur l’industrie des films d’horreur en France. Étrangement fascinée par les femmes cannibales au cinéma, elle n’a pourtant aucune intention de reproduire ces méfaits dans la vraie vie. Enfin, il ne faut jamais dire jamais.

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