Massacres dans le train fantôme 5


On ne loupe jamais une occasion de parler du génial et maudit Tobe Hooper, et la ressortie dans un beau coffret de chez Elephant Films du mal aimé Massacres dans le train fantôme en est une excellente. Slasher ultra-inventif et grand film américain dégénéré, il représente une pièce maitresse d’une carrière traumatisée par un autre (immense) Massacre.

Tobe Hooper World

Massacres dans le train fantôme comme son nom l’indique (note à moi-même, penser à trouver l’identité de la personne de chez Universal France qui s’est réveillée un jour en se disant brusquement : « putain mais c’est évident The Funhouse doit être traduit Massacres dans le train fantôme ». Si cette personne existe encore, qu’elle soit sincèrement bénie) se déroule dans une fête foraine et donc plus précisément dans un train fantôme. Je commence cet article dans la perspicacité absolue. Mais finalement, à bien y regarder, Hooper ne fait pas reposer son film sur l’imaginaire et le folklore propres à ce genre de lieux. Il y a quelques marionnettes flippantes dans le film, mais la puissance de terreur vient moins de leur apparence et de leur esthétique que de la façon dont elles sont agencées au film par un montage toujours plus étourdissant qui génère à la fois terreur et vertige par son profond lyrisme et sa force plastique. C’est moins le train fantôme qui intéresse Hooper que ses rouages, comme le prouve l’ultime scène d’horreur du film qui s’y déroule. La mise en scène avant le folklore. Et en effet, on ne peut qu’être saisi par la beauté du film, que le beau master de ce Blu-ray vient honorer. Massacres dans le train fantôme est un bonbon pour nos rétines, et c’est plutôt chouette déjà.

Plus sérieusement, que nous raconte ce fameux film ? Finalement, c’est l’histoire inversée du chef-d’œuvre de Hooper Massacre à la tronçonneuse. Dans celui-ci, une bande de jeunes américains du nouveau monde libertaire et joyeux rencontraient une Amérique monstrueuse tapie dans l’ombre de campagnes isolées, et y était joyeusement torturée et massacrée. Ici, la bande de jeunes est dans son univers, la fête foraine, ils y viennent rire, boire, baiser et s’amuser, mais viennent s’inviter toute une bande de monstres de cette Amérique profonde, tapie dans les sous-sols, dans les limbes. Une des très belles idées du film est que ces monstres assassins sont d’abord cachés sous l’apparence des monstres du train fantôme, soit non plus dans leur environnement, mais dans celui de cette jeunesse, dans la culture pop elle-même. Ce qui s’incarne dans une trouvaille géniale, le monstre du film est déguisé pendant la moitié du film en Frankenstein. Toute la première partie du film semble vouloir nous faire croire que l’Amérique libertaire a achevé ses monstres en les réduisant à l’état de marionnettes, de pures instances folkloriques. Pendant toute cette partie, Hooper fait monter l’horreur pour la déjouer. Les monstres y sont dévitalisés, ne sont plus que des fantômes bouffons. C’est le cas dans la géniale scène d’ouverture, sorte de pastiche ironique de Psychose (Alfred Hitchcock, 1960) et Halloween (John Carpenter, 1978) mais aussi ensuite dans toute la traversée de la fête foraine, avec notamment l’apparition (toujours plaisante) du génial William Finley en prestidigitateur. Cette traversée nous laisse croire que les monstres sont vaincus, et ne sont devenus que des gimmicks de foire, des objets mercantiles, sans âme, sans vie. A tel point qu’on serait presque ému aux premiers abords par les restes de cette monstruosité, et notamment par ce drôle d’être déguisé en Frankenstein, qui cherche à s’émouvoir avec une prostituée quand il n’est pas en train de faire son travail, à savoir faire monter des jeunes cons dans un train fantôme. L’émotion qu’il génère ne fait que renforcer l’effroi qu’il procure au spectateur lorsqu’il dévoile son véritable visage, bijou d’immondice. Cette révélation qui annonce la furieuse dernière demi-heure du film, où la maestria de la mise en scène de Hooper se fait tétanisante. C’est là, la véritable partie slasher du film.

Parce que oui, la partie slasher du film est finalement réduite au strict minimum, ce qui ne l’empêche pas d’être absolument virtuose. Alors que Massacres dans le train fantôme (à chaque fois que j’écris le titre je suis content, c’est génial) est un produit des studios, une pure commande, il ne semble avoir rien de vraiment calibré, et est bourré de petites perversions à son système pré-établi. La scène d’ouverture dont on a déjà parlé, mettant tout de même en scène un enfant matant sa sœur dans la douche par exemple. Ce personnage de l’enfant est sans doute un des plus beaux du film. Personnage souterrain, traversant en spectateur terrifié et fasciné ce petit monde des horreurs, avec un regard rappelant fortement Le petit fugitif (1953) de Morris Engel et Ruth Orkin. C’est dans ses souterrains pervers, voire incestueux, que le film de Hooper est le plus passionnant (comment ne pas penser à la scène hallucinante de prostitution), mais aussi dans les retours de motifs obsessionnels chez lui, comme cette passion sortie directement de Massacre à la tronçonneuse pour le motif de la femme seule et terrifiée jusqu’à la folie pure. Si The Funhouse (pour alterner un peu et puis c’est chic de mettre le titre original) semble s’achever de façon plus apaisée que le premier film d’Hooper, il n’en reste pas moins à la fin du film un sentiment de terreur mais aussi une certaine mélancolie. Sentiment qu’on éprouve rien qu’à l’évocation du nom de Tobe Hooper, l’auteur d’une première œuvre si grande que le reste de sa carrière n’est plus qu’une succession d’espoirs d’un grand retour, et donc de déceptions. Ce Massacres dans le train fantôme en plus de faire partie de la première catégorie, nous prouve l’importance de cet auteur de premier plan. D’autant plus que cette œuvre ne précède que d’un an, un autre grand (grand) film (de commande aussi) qui n’est autre que Poltergeist (1982) que j’ai revu en salle il y a peu, et qui est vraiment pas dégueu.

Pour finir, un petit mot sur le coffret, qui est un bel objet. S’y trouvent en bonus une intéressante présentation du film par Stéphane Du Mesnildot, ainsi que quelques scènes présentes sur la version TV du film. Mais surtout, un trailer annonçant la sortie en mars d’un autre grand film mal aimé : L’Esprit de Caïn (Brian De Palma, 1992) et on a déjà hâte de vous en parler.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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