A Girl Walks Home Alone At Night


Avec A Girl Walks Home Alone At Night (2014), Ana Lily Amirpour signe un western horrifique iranien tourné en noir et blanc, racontant l’errance d’une vampiresse queer à skate-board. Rien que ça. Un récit envoutant, engagé et absolument saisissant, d’une beauté à couper le souffle.

Scène sensuelle dans A girl walks alone at night (crirtique)

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Vampire contre-attaque

Arash, jeune homme solitaire et mutique, vit dans la petite ville pétrolière de Bad City où le crime règne en maître et où foreuses et usines fumantes dominent le paysage désertique. Il vit avec son junkie de père, accroc à l’héroïne et occupe un poste d’homme-à-tout-faire qu’il déteste. Victime du chantage de Saeed, le dealeur et proxénète local, Arash étouffe et perd progressivement le contrôle de sa vie. L’arrivée d’une mystérieuse jeune femme à Bad City pourrait bien changer la donne : elle est assoiffée de sang, en particulier celui des criminels…Puisant à la fois dans le western spaghetti italien, dans le film d’horreur et dans la Nouvelle Vague iranienne, Ana Lily Amirpour crée un univers unique et déstabilisant, d’une créativité folle. A cela s’ajoute bien sûr la figure immortelle du vampire, colorant l’ensemble d’une bonne dose d’horreur mais également d’une touche de romance par la relation naissante entre Arash et la créature carnassière. Tourné dans un sublime noir et blanc anamorphique, A Girl Walks Home Alone At Night prend même des faux airs expressionnistes par ses contrastes brutaux et ses perspectives déformées. La réalisatrice résume ainsi parfaitement l’esprit de son œuvre : « C’est comme si Sergio Leone et David Lynch avaient un bébé iranien et rock’n’roll, dont Nosferatu serait le baby-sitter ». Amirpour détourne les codes cinématographiques pour mieux balayer les conventions sociales, réalisant ainsi une œuvre punk, dans le fond comme dans la forme.

La vampire du film A girl walks alone at night (crirtique)

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Alors que le titre – qu’on pourrait traduire en français par Une fille marche seule dans la nuit – évoque en premier lieu une personne vulnérable, la jeune femme s’avère en réalité être une redoutable prédatrice justement parce qu’elle est seule en pleine nuit. Le génie du récit réside précisément dans le renversement de l’idée reçue de la femme fragile. Loin d’être une victime, c’est bien elle qui épie, traque et dévore les criminels de Bad City dans les ruelles sombres, et non le contraire. A Girl Walks Home Alone At Night s’approprie le mythe du vampire pour mieux le réinventer et le transformer en sublime figure féministe. La morsure – symbolisant habituellement l’acte de pénétration interdit – est ici radicalement détournée : c’est la femme qui pénètre l’homme. Parée de son ample tchador – similaire à une cape – elle transgresse les conventions sociales et religieuses de féminité docile et renverse l’ordre établi, créant un séisme à Bad City. A mi-chemin entre une super-héroïne et un monstre, cette vampiresse incarne la terreur que la femme puissante et indépendante inspire aux hommes. Au regard de la condition actuelle des femmes en Iran et au-delà, le long-métrage prend une dimension politique radicale voir révolutionnaire.

L'actrice Sheila Vand dans le film A girl walks alone at night (crirtique)

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L’atmosphère lancinante de l’œuvre contribue très largement à sa force de frappe, notamment par son rythme hypnotique et envoûtant. Ses plans longs et ses jeux d’ombres et de lumières dotent Bad City d’une étrangeté unique. Enfermée dans un immobilisme troublant, ses rues sont désertes et ses habitants dépravés, errant tels des zombies en peine. Subissant la pression d’un gouvernement fantôme et victimes des inégalités sociales, les personnages sont enfermés dans leur propre solitude misérable. Ils évoluent ainsi dans un monde sans issue, gangréné de l’intérieur par le crime et la politique mise en place. Bad City étant évidemment fictive, l’action se déroule dans un espace-temps indéterminé, à la fois nulle part et partout à la fois. Exclusivement tourné en langue perse, le film a pourtant une identité américaine très marquée, notamment à travers le personnage d’Arash, sorte de James Dean iranien. Le monde de A Girl Walks Home At Night n’est ainsi jamais complètement iranien ni américain, mais dans une zone grise, un entre deux. Étrangement, Bad City sort progressivement de sa léthargie par l’irruption de la vampiresse justicière ; Arash tombe amoureux d’elle et semble avoir enfin trouvé un sens à sa vie tandis qu’elle nettoie les rues. La musique, dont l’importance est capitale, accompagne la revitalisation de la cité. De l’électro à l’indie rock iranien, en passant par des pièces orchestrales dignes d’Ennio Morricone, l’éclectisme de la musique reflète la richesse de l’univers d’Amirpour et son désir d’envoyer valser tout conformisme. Loin d’être une simple vampiresse assoiffée de sang, elle incarne l’idée même d’émancipation, qu’elle soit filmique, sociale ou musicale. Premier long-métrage, premier chef-d’œuvre : la cinéaste impose d’emblée un univers profondément singulier et dérangeant, révélant déjà les qualités d’une grande réalisatrice en devenir.


A propos de Calvin Roy

En plus de sa (quasi) obsession pour les sorcières, Calvin s’envoie régulièrement David Lynch & Alejandro Jodorowsky en intraveineuse. Biberonné à Star Gate/Wars, au Cinquième Élément et au cinéma de Spielberg, il a les yeux tournés vers les étoiles. Sa déesse est Roberta Findlay, réalisatrice de films d’exploitation parfois porno, parfois ultra-violents. Irrévérencieux, il prend un malin plaisir à partager son mauvais goût, une tasse de thé entre les mains. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNH2w

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