Après un premier volet loin d’être parfait mais aussi loin d’être catastrophique, Godzilla (Gareth Edwards, 2014) et un très moyen Kong Skull Island (Jordan Vogt-Roberts, 2017), Warner Bros lance officiellement son nouvel univers étendu avec Godzilla II – Roi des Monstres (Michael Dougherty, 2019), à base de scène post-générique et cross-over monstrueux, dans les deux sens du terme…
Mort au Roi
Fort inspirés par le succès cataclysmique du Marvel Cinematic Universe et de la galaxie Star Wars, – tous deux gérés de main de maître par le géant Disney – tous les studios concurrents tentent de suivre comme ils le peuvent la vague, histoire de profiter au maximum de la manne financière qu’offrirait les fameux univers étendus. Nouveau nom donné à ce qu’on appelait auparavant les sagas, l’univers étendu entend connecter entre elles des productions, parfois de manière subtile, pour créer une sorte d’œuvre massive, interactive, sous forme de vases communicants, dont le but à moitié caché est de créer une certaine dépendance des spectateurs. Pour la faire simple, visionner un film d’un univers étendu obligerait, plus ou moins, à en voir tous les autres qui l’ont précédé, sous peine de passer à côté de certaines « subtilités » de l’intrigue. Parmi les belligérants de cette guerre que se livrent les grands studios sur ce terrain miné des univers étendus, celui qui tente depuis bien des années de tenir tête à l’Empire Disney reste bien sûr Warner Bros. Possédant notamment le catalogue DC Comics, rival éternel et historique des super-héros Marvel, Warner a longtemps fait du DCEU – pour DC Extended Universe – l’opposant naturel à la suprématie incontestable des Avengers sur le box-office mondial. Essuyant quelques revers cinglant avec des films à la qualité discutable, de Batman v. Superman : L’Aube de la Justice (Zack Snyder, 2016), en passant par Justice League (Josh Whedon & Zack Snyder, 2017) mais encore l’innommable Suicide Squad (David Ayer, 2016), Warner fut forcé d’admettre l’échec artistique et stratégique du DCEU et de déposer les armes face à l’efficacité et la force de frappe de leur concurrent direct, préférant désormais abandonner l’univers étendu pour profiter de son catalogue sans contrainte en livrant plutôt des stand alone – nouveau terme démocratisé pour parler d’une production insoumise à l’univers étendu du catalogue auquel il se réfère. Face à ce constat d’échec, on pouvait donc craindre le pire en apprenant que le même studio allait se lancer dans la production d’un univers étendu consacré aux fameux Kaiju Eiga (film de monstres géants, voir notre dossier) qui ont fait les grandes heures du cinéma d’exploitation japonais.
L’idée est née peu après 2014, suite au succès critique et public de la relecture du mythique Godzilla par Gareth Edwards. A cette époque, Legendary Pictures et Warner Bros s’associent pour racheter les droits d’adaptations des monstres sacrés du cinéma nippon, détenus par la Toho, studio historique qui créa et capitalisa durant des années sur ses nombreux titans en latex. L’idée est alors de créer un Monsterverse, un univers étendu spécifique aux films de monstres géants, sur le modèle de ce qui avait déjà fonctionné et fait la renommée de la majorité d’entre-eux au Japon dès les années soixante. C’est dans cette optique que le reboot, Kong : Skull Island (Jordan Vogt-Roberts, 2017) est produit, posant les premières fondations d’un univers partagé dont les interconnections tournent principalement autour de l’entreprise fictive Monarch, une agence gouvernementale secrète, chargée de solutionner le danger encouru par l’humanité si les titans, tels qu’ils sont nommés, se réveillent pour, pardonnez moi l’expression, foutre le sbeul. Si les deux premiers longs-métrages pourraient s’apparenter à des origin story – encore un autre terme à la mode pour désigner des bobines qui servent à introduire de nouveaux personnages au sein d’un univers étendu – ce Godzilla II – Roi des Monstres (Michael Dougherty, 2019) est concrètement le premier à oser une réunion de plusieurs personnages, avant que les deux premiers présentés ne se torpillent la gueule dans Godzilla vs. Kong (Adam Wingard, 2020) improbable remake du déjà improbable King Kong contre Godzilla (Ishiro Honda, 1962) première récupération du monstre mythique créé par Merian C. Cooper & Ernest B. Schoedsack dans l’escarcelle plus globale d’un univers partagé du film de monstres géants.
Le problème principal de ce Godzilla II – Roi des Monstres est assez semblable à celui constaté au moment de la sortie de Justice League il y a deux ans. Si l’on retrouve rapidement nos marques grâce à l’interconnexion offerte par la présence centrale de l’entreprise Monarch dans l’intrigue, on peine à accepter que tant de nouveaux monstres soient introduits sans réelle présentation. Car en effet, si le film fut d’abord vendu comme une sorte de remake du classique de la Toho, Ghidorah, le Monstre à trois têtes (Ishiro Honda, 1964) qui présentait le principal ennemi de Godzilla, le combat réunit en réalité toute une flopée de monstres, introduits pour la première fois dans ce jeune univers étendu. Ainsi, rejoignent les rangs des titans, les Kaiju les plus célèbres de la Toho, outre King Ghidorah, tels que la mite Mothra et le pterodactyle Rodan, ainsi que de nouveaux monstres créés spécialement pour l’occasion, tels que la forêt vivante Methuselah – qui rappellera fortement aux champions de la ligue qui nous lisent, le Pokémon Torterra – l’araignée Scylla, ou encore le mammouth géant Béhémoth – qui lui aussi rappelle un autre Pokémon, en l’occurence Mammochon. N’ayant pas le droit à des récits personnels pour les présenter un à un, ces monstres finissent par perdre totalement de leur intérêt – exception faite de Mothra, qui a le droit à un traitement un peu plus poussé – et le Godzilla II en même temps. Déflagration de furie et d’explosion, difficilement écoutable et regardable parce qu’il martèle une action bourrine constante, cette suite n’arrive jamais à la cheville de l’ambition esthétique du premier volet. Car si Gareth Edwards n’avait concrètement rien révolutionné dans le genre, il avait au moins livré une copie honnête d’une grande tenue, pouvant en tout cas se targuer d’avoir su tenir des idées de mise en scène parfois culottées – ne pas voir Godzilla pendant la première heure de la narration, ou partiellement – et quelques moments d’action mémorables tels que cette séquence de parachutage des militaires autour du lézard géant. Cette fois, la faiblesse générale de la mise en scène, pourtant confiée à Michael Dougherty – un nom que l’on suivait de près depuis qu’il nous avait surpris avec son exceptionnel Krampus (2015) – en plus de manquer cruellement de lisibilité et d’inspiration, pille allègrement du côté de Jurassic Park (Steven Spielberg, 1992), de la récente série B qu’était En Eaux Troubles (John Turteltaub, 2018) ou pire encore, du sublime Shin Godzilla (Hideaki Anno & Shinji Higuchi, 2016) subtilisant sa très belle idée d’un monstre si radioactif que le feu vrombit sous ses écailles comme un charbon ardent. Du côté du scénario, même constat, puisque l’opposant a ici la même ambition que Thanos, le méchant des deux derniers volets d’Avengers (2018-2019), à savoir laisser l’humanité se faire réduire en poussière pour préserver la planète.
Emporté par les turpitudes d’un scénario qui ne parvient jamais vraiment à dépasser l’aspect purement fonctionnel de sa supposée dimension politique – ici ce n’est pas la crainte de l’atome que symbolise les monstres, mais celle d’une nature qui reprendrait ses droits sur l’humain qui l’a détruit – le long-métrage sombre dans les abysses, où se côtoient l’ennui, le brouhaha, l’agacement et l’indifférence. En premier lieu touchés par la nullité des enjeux qui les entourent, les personnages humains sont réduits à l’état de spectateurs béats, utiles uniquement lorsqu’il s’agit de déblatérer des monologues imbitables et sur-explicatifs d’une bêtise confondante. Dès lors, difficile de rester agrippés à son fauteuil, fébriles à l’idée de voir l’humanité trépasser sous nos yeux et les héros avec, tant on a en définitive, aucun affect particulier pour cette ribambelle de boulets qui alourdissent l’intrigue d’un sentimentalisme familial qui sent bon l’Amérique rance, à base de “mon rôle en tant que père c’est de protéger ma famille”. Bien fier de son effet, Godzilla II – Roi des Monstres se conclut, par une phrase prononcée comme une prière « Longue vie au Roi » illustrant un plan du lézard poussant son cri mythique devant ses comparses kaijus prostrés à ses pieds – faisant penser au dernier plan de Jurassic World (Colin Trevorrow, 2015) et bien sûr au Roi Lion (Rob Minkoff, 1994) autre sources d’inspiration de pillage – on ne peut que lever nonchalamment les yeux au ciel, tant la promesse qui nous est faite pour les films à venir n’a absolument rien de transcendante. Devant ce cuisant échec de plus, qui succède à celui du DCEU, force est de constater l’incompétence notoire de la Warner Bros, définitivement incapable de développer des univers étendus qui ne s’écroulent pas sur eux-mêmes, faute de fondations solides. Dans un récent article que nous avions publié, en forme de bilan d’une année 2018 bien chétive sur le terrain du blockbuster, nous nous inquiétons de l’appauvrissement dramatique des super-productions américaines. Après le raz-de-marée que fût Avengers : Endgame (Joe & Anthony Russo, 2019), carton intercontinental certes, mais évident point de non retour artistique pour le MCU, il est temps de tirer à nouveau la sonnette d’alarme face à cette gangrène que sont ces univers étendus. Personne ne sera leurré très longtemps et on finira, on l’espère, par constater que ce qu’on qualifie d’étendu ne l’est pas autant que prétendu. Tout au plus ces univers sont des univers entendus, recroquevillés sur eux-mêmes, en mal d’inspiration, tournant en rond, prisonniers de leur incapacité béante à se renouveler.
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