Tandis que les salles obscures chantaient à tue-tête Somebody to Love de Bohemian Rhapsody (Bryan Singer, 2018), le PIFFF a préféré se la jouer black metal norvégien en donnant la part belle à Lords of Chaos. À travers ce biopic retraçant l’épopée du groupe Mayhem et de son fondateur Euronymous, Jonas Åkerlund nous livre un jouissif « d’après une histoire vraie » surréaliste de violence et de déviances.
Lord of biopic
Le pari était osé : adapter Lords of Chaos de Michael Moynihan et Didrik Søderlind, livre controversé dédié au black metal underground. Le projet avait gagné l’intérêt des passionnés de genre lorsque le nom de Sono Sion fut annoncé pour sa réalisation. Ce qui aurait dû être le premier film international du nippon déchaîné se retrouve finalement aux mains du clippeur de talent Åkerlund. Non content d’avoir collaboré à de nombreuses reprises avec Madonna, Lady Gaga, Beyoncé ou Rammstein, on le retrouve à la réalisation de films indépendants à l’instar du culte Spun (2002), Des Cavaliers de l’Apocalypse (2009) et du sympathique Small Apartments (2012). Ancien batteur du groupe de black metal suédois Bathory, on pouvait se demander si Åkerlund aurait le recul nécessaire pour parvenir à raconter et mettre en image l’histoire si particulière de l’emblématique Mayhem.
Oeuvre metal, mais pas musicale. Åkerlund fait le choix de se concentrer sur ses héros plutôt que leur musique, en s’évertuant à mettre en scène des passionnés tantôt dépressifs, tantôt criminels. C’est la culture qui est mise en avant dans une tranche assez courte de son existence, le long-métrage s’étalant de 1988 à 1993. Autre choix, celui de porter comme héros du film le fondateur de Mayhem, Euronymous, plutôt que de se centrer autour du véritable phénomène de cette histoire, à savoir Varg Vikernes. Fan de metal de la première heure, enfant issu d’une famille aisée, extrémiste dans ses gestes et bassiste durant une courte période de Mayhem, Varg est avant tout connu pour avoir brûlé de nombreuses églises dans son pays natal, et plus encore pour le meurtre violent d’Euronymous. Loin de montrer ses personnages comme des allumés avides d’anarchie, le réalisateur prend le parti de mettre en avant leurs faiblesses plutôt que ce qui a fait leur renommée, et parvient à aborder de manière touchante des sujets comme la dépression, le rejet ou le suicide. Chaque personnage est traité sous le prisme de sa passion et ses ambitions, sans porter sur eux le regard cliché qu’on pouvait redouter. Se détachant de la figure déviante de Varg, on retiendra particulièrement l’ancien chanteur du groupe, sobrement surnommé Dead, dont le mal-être est mis en scène sans tomber dans le drame le plus total, tout en respectant l’artiste qu’il était à bien des niveaux.
Si le black metal norvégien agitait les foules, ce n’était pas uniquement pour sa musique, mais en particulier pour sa symbolique anarchiste et toute la culture qui en a découlée. Que ce soit lors des concerts, de la communication ou de l’identité mystifiée de ses précurseurs, Åkerlund pose la question de l’authenticité d’un mouvement culturel dont nombre d’admirateurs semblent s’inscrire dans une fanatisation plus qu’un véritable vécu. Là encore, l’ascension de Varg dans ce milieu illustre la figure du fan hardcore qui en vient à penser davantage à son image plutôt qu’à son art, notamment lors d’une séquence absurde d’interview sur fond de drapeaux nazis et d’armes médiévales. Le réalisateur assume ainsi toutes les folies de ses protagonistes, allant de filmer des églises en feux jusqu’à des scènes de meurtres sans aucun filtre ni retenue. L’ensemble est magnifié par un casting qui se laisse prendre corps et âme au jeu du chaos, sans la moindre fausse note.
Plus qu’un simple biopic, Åkerlund parvient à s’approprier les codes du genre pour livrer un témoignage à la fois touchant et glaçant sur l’âge d’or du black metal norvégien. Lords of Chaos est une œuvre brute et brutale, secouant autant qu’elle fait rire. Le réalisateur nous offre une plongée de deux heures au cœur du mouvement, sublimée par une mise en scène minutieusement orchestrée. Récit intime et ultra-violent, ce biopic pour le moins osé réussi tous ses paris, et marque les esprits sans tomber dans le piège du docu-fiction ou du film musical. On aime et on en redemande !
Pingback: Factory de Yuri Bykov - Critique sur Fais pas Genre !