Abracadabra


Qui a dit que le cinéma de genre espagnol n’était source que de pépites d’horreur ? Après la sortie du sympathique Le Secret des Marrowbone de Sergio G. Sanchez (2018) et de Pris au Piège d’Alex de la Iglesia (2018), c’est au tour de Pablo Berger de faire briller le cinéma hispanique grâce à un conte moderne oscillant entre le fantastique, l’absurde et le thriller psychologique.

Abracadabrantesque

On ne peut pas dire que le nom de Pablo Berger soit le plus connu du cinéma espagnol, en particulier en France. Néanmoins, le réalisateur a réussi à se construire une petite réputation internationale grâce à son incroyable Blancanieves (2013), conte gothique muet en noir et blanc reprenant la mythique histoire de Blanche-Neige à la sauce andalouse. On avait apprécié son esthétique travaillée et fantastique, mais surtout le choix audacieux du noir et blanc/muet pour une œuvre unique qui restera dans les mémoires grâce à ses succès en festivals et ses nombreuses récompenses. Dans ce nouveau conte, contemporain cette fois, le réalisateur aborde avec une douceur cruelle la maladie mentale mais surtout l’émancipation féminine. On y suit les péripéties de Carmen, belle femme mariée à Carlos, un macho violent et égoïste qui ne lui prête jamais attention. Alors qu’ils sont invités à un mariage, Carlos accepte d’être le cobaye de Pepe, cousin de Carmen et hypnotiseur amateur. Le lendemain, Carlos abandonne comme par magie ses mauvaises habitudes pour devenir un époux parfait et attentionné. L’homme est en réalité possédé par un esprit malin que Carmen met tout en œuvre pour expulser, bien qu’elle ne soit pas insensible au charme de son nouvel époux.

La première puissance de frappe de Berger réside dans son scénario et son sens du récit. On zigzage de situation en situation, entre malaise lié au caractère violent de Carlos et rires provoqués par la ribambelle de personnages secondaires pondus par le réalisateur. Les scènes s’enchaînent sans tomber dans le piège du film à sketchs, et on se retrouve entrainés dans la folle course de Carmen qui, désespérée, est prête à tout pour retrouver un mari qu’elle ne porte pourtant pas dans son cœur. Si la première partie du long-métrage tend vers la comédie sociale aux frontières du fantastique, ce dernier sombre lentement dans le thriller psychologique sans s’écarter du comique en enchaînant les twists scénaristiques aux débouchés inattendus. Au premier abord, on pourrait même penser que le film suit un ensemble d’événements qui n’ont aucun rapport entre eux, que ce soit dans ses arcs narratifs ou le comportement de ses personnages parfois à la limite de l’extraordinaire. Pourtant, chaque élément si infime soit-il trouve une justification dans une machination qui dépasse l’entendement, et cela même dans un contexte impliquant en premier lieu le réel. On pourrait évoquer le fameux réalisme magique, genre souvent exploité dans les romances et drames sociaux dont Berger s’empare pour dépeindre la relation de couple mais également la maladie avec un regard qui se veut avant tout bienveillant. Il n’est pas question de monstruosité dans l’interprétation de la schizophrénie dont Carlos se retrouve atteint malgré lui, mais le prétexte de l’hypnose permet de prendre une certaine distance sur une tare mentale, souvent utilisée comme un déclencheur de criminalité dans le cinéma. Si le film jongle entre ces deux sujets, c’est l’émancipation qui l’emporte dans un final grandiose et surprenant, apportant un niveau de lecture supplémentaire à ce Abracadabra qui n’en devient que plus complexe.

Quatre ans après Blancanieves, Berger nous offre une nouvelle fantaisie avec Abracadabra, fable urbaine dans la lignée des costumbrismos du septième art dont Pedro Almodovar est le principal chef de file. Une œuvre qui se veut l’absolu contraire esthétique de sa précédente création, tout en livrant une œuvre complémentaire dans ses thématiques. Au placard donc le noir et blanc, le muet, les décors graphiques et autres costumes d’époque et place au bruit de la ville et aux couleurs vives d’une métropole bouillonnante de vie. Berger opte pour une photographie aux couleurs chaudes, teintées par l’accoutrement coloré de Carmen et les scènes de fêtes effrénées qui ponctuent le film. On retiendra à ce titre la séquence finale, apothéose de l’imaginaire construit par Berger qui prend un malin plaisir à mettre en scène l’être humain dans ce qu’il peut être de plus complexe. Abracadabra brille par son univers coloré et déjanté en multipliant les références cinématographiques, tour à tour à Psychose (Alfred Hitchcock, 1960), Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976) ou encore La Fièvre du Samedi soir (John Badham, 1978). Un univers qu’on aurait pourtant souhaité un tantinet plus poussé, plus fou, en particulier lors du visionnage de certaines séquences d’une telle force que le reste du film peut paraître un poil en dessous du reste. Néanmoins, on ne niera pas sortir d’Abracadabra le sourire aux lèvres. Pablo Berger prouve une nouvelle fois qu’il a sa place dans la nouvelle vague d’auteurs hispaniques, on regrettera simplement qu’il ait tendance à se faire désirer. 


A propos de Jade Vincent

Jeune sorcière attendant toujours sa lettre de Poudlard, Jade se contente pour le moment de la magie du cinéma. Fan absolue de Jurassic Park, Robin Williams et Sono Sion, elle espère pouvoir un jour apporter sa pierre à l'édifice du septième art en tant que scénariste. Les rumeurs prétendent qu'elle voue un culte non assumé aux found-footages, mais chut... Ses spécialités sont le cinéma japonais et asiatique en général.

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