Loin du coup de communication opportuniste, Nocturama ne se réduit pas à un sujet sensible en ces temps de terreur voulue : il est ni plus ni moins qu’un des films les plus riches non seulement de son auteur, mais aussi de la décennie.
La violence et l’ennui
Le cinéma français a une résilience (spéciale dédicace aux étudiants en psycho…Qui devraient être en train de bosser leur rentrée au lieu de me lire) plus bégayante que celle notamment du cinéma américain. Comme l’a justement fait remarquer Bertrand Bonnello, la guerre du Vietnam par exemple a très tôt été investie par le champ du septième art et à chaud, tout comme les conflits du Golfe ou d’Afghanistan. En France, c’est lent, c’est délicat, et c’est bien dommage : il suffit de penser à la date de sortie du Chagrin et la Pitié (1969) sur l’Occupation ou du saisissant RAS de Yves Boisset (surtout si on le compare à son jumeau scénaristique Full Metal Jacket sorti en 1987, 14 ans après) sur la Guerre d’Algérie pour s’en assurer. Ainsi pour les attentats de 2015 et de 2016, hormis un Made In France décevant car se cachant lâchement derrière le thriller romancé et un documentaire démago sur Charlie Hebdo, les salles obscures n’ont pas été envahies par le sujet et ne le seront certainement pas avant longtemps. Nocturama et sa bande de jeunes terroristes arrivent pourtant maintenant, près d’un an tout juste après les attaques du Bataclan, bien que son auteur-réalisateur en ait eu le projet plusieurs années auparavant, sentant l’humeur d’une société souffrante.
Ils sont sept, viennent d’horizons différents (du bobo, de l’étudiant en Sciences Po, du gamin de cité….) et procèdent à plusieurs attaques simultanées en des lieux symboliques de Paris comme la Bourse, la statue de Jeanne d’Arc près de la Place de la Concorde, ou encore le Ministère de l’Intérieur. Afin de laisser le temps couler et de se fondre dans la masse au lendemain, ils s’enferment dans un grand magasin toute la nuit grâce à un de leurs complices qui en gère la sécurité. Le film se divise en trois parties : la mise en place des attaques, méthodique et assez silencieuse, le huis clos nocturne dans l’enseigne, et un dernier tiers tragique dont je ne dévoilerai rien pour ne pas gâcher sa force dramatique ou, soit-dit en passant, sa virtuosité scénique (le réalisateur convoque tour à tour John Carpenter, Brian De Palma et livre un découpage d’une précision exceptionnelle). Quelques flash-backs nous permettent de connaître pour certains les occasions de leurs rencontres, mais surtout leurs rapports aux uns et aux autres et leur motivation : taper un grand coup dans la logique libéraliste (ou capitaliste, selon votre vocabulaire et votre année de naissance), un peu à l’image des attentats d’extrême-gauche des Années de Plomb. Mise de côté donc, la portée religieuse du terrorisme actuel, le jihadisme, et la justification communautaire puisque dans cette bande il y aussi bien du blanc que du beur.
La puissance de Nocturama est de dresser le portrait d’une jeunesse dont fait partie l’auteur de ces lignes (vingtenaires/jeunes trentenaires), une génération connectée (les chaînes d’information en continu, les téléphones portables, les réseaux sociaux ont leur importance dans le film) mais à l’âme individuelle en perdition, bousculée par la violence du carriérisme, du consumérisme (le grand magasin n’est pas un hasard) et de l’individualisme. Le groupe des sept n’est pas dépourvu d’Amour, bien au contraire, tant le long-métrage est conçu pour que nous soyons proches d’eux, tout proches, témoins de leur relations fraternelles, amoureuses ou amicales profondes et sincères…Mais ils semblent toujours enfermés en une quelconque partie d’eux-mêmes tel que la séquence de danse dans l’appartement en est la métaphore la plus parlante. L’indolence du long moment dans le magasin, ces heures d’attente et d’ennui, font penser à des séquences d’Elephant (Gus Van Sant, 2002) ou à un rêve où règnent les symboles et l’utopie, dans lequel les actes n’ont pas la lourdeur désespérée de la vie quotidienne, du monde des adultes. Le tort de ces jeunes, c’est finalement de penser que le geste symbolique n’induit qu’une réponse symbolique, ou de ne pas songer à ce que cela signifie vraiment de mourir pour des idées, comme dirait George Brassens.
En filigrane, à travers ces personnages, on peut certainement chercher et voir des accointances avec les auteurs des attentats que nous avons connus : ils n’ont pas apporté la même réponse, certes, mais vivent dans un trouble proche puisque dans la même époque, au même âge. Malheureusement, c’est cette « filiation » qui, je pense, peut desservir Nocturama. Aujourd’hui, les pensées sont trop fébriles, et on risque de reprocher à ce puissant long-métrage, de manière réductrice et basique, de livrer une vision tendre de terroristes, angoissante des forces de l’ordre, et concrètement de nous mettre à la place de nos assassins. A sa juste mesure, c’est à dire dans sa justesse de discours et de sensibilité sur le désarroi d’une jeunesse dans une société précise, il risque d’être jugé comme il se doit, par le plus grand nombre, que dans quelques années, pour ne pas dire plus. Il en est ainsi des œuvres trop justes pour leur temps.
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