Dead Zone


Dead Zone est la quatrième adaptation cinématographique d’un roman de Stephen King, et le premier film de Cronenberg adapté d’un roman. Sorti la même année que Christine, les deux films ont, à budget égal, rapporté la même somme d’argent. Mais tandis que Carpenter s’amuse avec une Plymouth Fury dans un film purement horrifique, Cronenberg réalise un film très triste, dans lequel Christopher Walken livre l’une de ses plus grandes performances.

Shoot the president first

C’est à Castle Rock, dans le Maine, que l’action de Dead Zone prend place, la ville imaginaire inventée par Stephen King et dans laquelle se déroule nombre de ses romans. John Smith, instituteur, est victime d’un accident de la route et restera plongé dans le coma pendant cinq ans. A son réveil, il découvre qu’il a le don de voir l’avenir ou le passé d’une personne rien qu’en ayant un simple contact physique avec elle. Il va utiliser ce don à plusieurs fins: sauver la vie d’un garçon à qui il donne des cours particuliers, résoudre un crime, mais lorsqu’il rencontrera le candidat aux élections présidentielles Greg Stillson, la poignée de main qu’ils échangeront lui révélera son avenir, et il est pas jojo. En effet, Stillson sera élu et lancera une attaque vers l’URSS, déclenchant ainsi la Troisième guerre mondiale. John Smith, après avoir longuement réfléchi, va se décider à tuer le candidat aux élections.

Stephen King est, depuis le milieu des années 70, l’un des écrivains à être le plus adapté à l’écran; malheureusement, les films qui en résultent atteignent rarement une qualité optimale, surtout quand, en 1980, Shining surpasse toutes les attentes en se posant comme le plus grand film d’horreur jamais réalisé à ce jour – fait contestable, certes, mais par très peu de personnes. Dead Zone, pourtant, est l’une des adaptations les plus méconnues du maître de Bangor, et certainement l’une des plus réussies après Shining – le film de Kubrick étant, paradoxalement, très peu fidèle au roman. Avec un budget qui fait le double de celui de Vidéodrome, produit par le légendaire Dino De Laurentiis, le nouveau Cronenberg a une production plus « hollywoodienne », le réalisateur n’ayant, pour la première fois de sa carrière, ni écrit le scénario, ni fait appel à Howard Shore pour composer la bande originale (depuis Chromosome 3, c’est le seul film dont la musique n’a pas été composée par Shore). Cinq scénaristes se sont succédés dans l’écriture du film, y compris Stephen King lui-même: Cronenberg jugera le script de King comme le pire, car l’auteur s’est beaucoup démarqué de son propre roman en pensant que ça marcherait à l’écran (l’effet Shining?), et choisit finalement celui de Jeffrey Boam, talentueux scénariste qui deviendra quelques années plus tard un pilier d’Hollywood, en travaillant avec Spielberg, Joe Dante et Richard Donner. Après Scanners et Vidéodrome, les deux films qui ont confirmé David Cronenberg comme un d’auteur et un cinéaste novateur, Dead Zone est très sous-estimé, et le contexte hollywoodien du film fait qu’il est considéré comme une œuvre purement commerciale et que le cinéaste se reposait, disait-on, sur ses lauriers. Cela est tout à fait faux, et un regard plus avisé sur le film permet de se rendre compte que Dead Zone n’est pas une bizarrerie dans la filmo du torontois.

Le protagoniste du film, John Smith, est une personne ordinaire (John Smith étant, dans les pays anglo-saxons, le nom servant à désigner un quidam). Pas un freak, quelqu’un ayant subi des métamorphoses corporelles, non, un homme simple, « normal ». A la différence de Jack Torrance, Carrie ou Arnie Cunningham, Smith est un personnage pour qui le spectateur a beaucoup d’empathie, peut-être parce qu’il est victime d’un accident dès le début du film (on retrouvera d’ailleurs des échos de Dead Zone plus tard, dans Crash et Spider). C’est sans aucun doute le personnage le plus triste que Stephen King ait créé, et que Cronenberg ait mis en scène. Doté d’un pouvoir psychique important, Smith devient un héros dont les marques de souffrance sont invisibles sur la peau, mais se creusent toujours plus à l’intérieur, à l’inverse du Max de Vidéodrome. Grâce à son don de clairvoyance, John peut sauver un enfant, aider la police à résoudre un crime, mais pas à récupérer la femme qu’il aime.

Christopher Walken est impeccable dans ce rôle, qui compte parmi ses prestations les plus impressionnantes, mais on notera aussi la présence de Martin Sheen dans le rôle de Greg Stillson, le grand méchant. Futur criminel de guerre, le seul moyen d’empêcher la Troisième guerre mondiale qu’il provoquera peu après son investiture à la Maison Blanche est de l’assassiner, ce que tentera de faire John Smith. Un rôle très intéressant, qui est la clef même de la modernité du film, puisque l’action étant intemporelle, le message politique est encore d’actualité aujourd’hui. Après la vision du film, il est même difficile de regarder un épisode de The West Wing sans avoir en tête le personnage de fou furieux et de destructeur. Fait récurrent dans la filmographie de Cronenberg, l’anormalité du protagoniste lui est fatale, et la fin du film marque souvent sa mort. On retrouve cela dans Dead Zone, la mort de Christopher Walken apparaissant comme le comble de l’injustice: le jour J, Smith rate sa cible, et pendant que Stillson utilise un bébé comme bouclier, un membre de la sécurité tire sur Smith, qui s’écroule. Avant de mourir, John touche Stillson et voit celui-ci se suicider car sa réputation a été salie. Une happy end qui n’en est pas vraiment une.

Les mutations physiologiques sont totalement absentes de Dead Zone, pour laisser place à un vrai drame basé sur le mental. La problématique posée par Cronenberg est la suivante: si un pouvoir absolu existait, quel usage en ferions-nous? Stillson, lui, prétend au pouvoir politique, celui qui lui confère un droit absolu et une immunité inviolable. Un pouvoir qu’il obtiendra légalement dans un futur proche, après s’être fait élire par le peuple – en cela, Stillson renvoie directement à Hitler. John Smith, lui, a obtenu le don de clairvoyance qui, lorsqu’il est utilisé à bon escient, est nettement supérieur au pouvoir de Stillson. Mais est-ce réellement le cas? Stillson réussit au final à assassiner Smith, alors que ce dernier connaissait le mauvais côté de l’homme politique, ses futurs agissements néfastes, sans pouvoir le révéler à personne. Indirectement, il mettra fin à la carrière et à la vie de Stillson, mais il en a payé le prix.

Dead Zone est peut-être le film le plus accessible de Cronenberg à cette époque, ce qui ne l’empêche pas d’opter pour des choix de mise en scène assez particuliers. Les visions de Smith, notamment, sont intéressantes: souvent rythmées par une musique angoissante (composée par Michael Kamen), ces séquences montrent John Smith dans sa propre vision, à laquelle il assiste en tant que spectateur impuissant, rôle qu’il comblera en résolvant le problème par la suite. La séquence du kiosque est époustouflante. Etrangement, l’unique vision dans laquelle on ne retrouve pas John est celle de Stillson qui donne l’ordre de lancer les missiles nucléaires sur l’URSS: Smith est-il mort? Son absence est-elle synonyme de destruction de l’humanité? On peut même avoir quelques doutes sur la fin: Stillson se suicide-t-il après avoir été élu et après avoir lancé les missiles? L’ultime réplique de Smith: « It’s over. You are finished. » (qui, au passage, renvoie à la toute-puissance des médias, sujet central de Vidéodrome) donne une réponse claire, John a réussi dans sa quête, bien qu’indirectement. Mais ce petit détail, cette absence, soulève au moins cette question.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.

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