Spider


Avec ce film, David Cronenberg amorçait un virage de carrière tout en douceur. Si le film reste imprégné par ses thématiques, il en accroche une nouvelle, la psychanalyse, en oscillant entre un fantastique dissimulé et une approche stylistique qui pourrait apparaître un peu plus classique qu’à l’accoutume. Il n’en demeure pas moins que tous les détracteurs qui décidèrent de renier ce qu’ils appellent le “nouveau cinéma de Cronenberg” dès la sortie du film, doivent se sentir bien idiots après de la sortie de A Dangerous Method, qui prouve une bonne fois pour toutes que les démarches d’auteur de Cronenberg sont toujours cohérentes.

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En toile de fond

Parler d’une thématique nouvelle au sujet de la psychanalyse dans le cinéma de Cronenberg est en soi quelque peu maladroit. Car il s’agit d’un thème déjà très présent en filigrane dans l’ensemble de son œuvre. L’idée tissait sa toile et prenait ses accroches à quelques coins de cadre et ce dès ces deux premiers essais, Stereo et Crimes of the Future, puis de film en film. La plupart des personnages de l’univers de Cronenberg sont atteints de psychoses, mais dans cette galerie, Spider, le héros éponyme de ce film, reste le portrait de psychose le plus probant de l’univers du maître.

Spider (Ralph Fiennes) c’est le surnom de Dennis Cleg, un homme qui après avoir passé plusieurs années dans un asile psychiatrique est transféré dans un foyer de réinsertion, dans les faubourgs de l’est londonien. C’est à quelques rues de là qu’enfant, il a vécu le drame qui a brisé sa vie. Il n’avait pas encore douze ans lorsque son père a tué sa mère pour la remplacer par une prostituée dont il était tombé amoureux. De retour sur les lieux du crime, Spider replonge peu à peu dans ses souvenirs et mène une étrange enquête: il tente de retrouver, dans les tréfonds de sa mémoire, des bribes de réalité. Probablement schizophrène, marqué par un traumatisme profond qui l’enferme dans une bulle autiste, le personnage de Spider est un personnage cronenbergien par excellence, tiraillé de part en part par des désirs profonds de retrouver sa vraie nature. Un thème cher au réalisateur, qui le plus souvent le dissertait autour de la notion du corps, des névroses, ou des mutations: qu’est ce que mon corps? qui suis-je vraiment?, et qui continue d’énumérer ici quelques réponses, à travers le parcours initiatique de Dennis Cleg pour retrouver la mémoire d’un passé dilapidé par un traumatisme d’enfance. Tout au long du film, on suit la quête de cet homme pour redonner matière à ses souvenirs comme on reconstruit un puzzle (métaphore elle même présente dans le film), pièce après pièce.

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Il est difficile de parler de Spider à quelqu’un qui n’aurait pas vu le film. Aussi, je vous joins immédiatement l’invitation d’aller lire autre chose, si vous n’avez pas vu le film et que vous ne souhaitez pas en gâcher le plaisir: car je ne pourrais pas faire autrement que d’en dévoiler l’intrigue. La plus forte des métaphores que Cronenberg tisse tout au long de son film est celle de la toile d’araignée, éminemment associée au titre du film, et qui représente à elle seule bon nombre d’enjeux dramatiques de l’histoire. Elle représente bien sûr la toile du cerveau, celle qui lie les souvenirs entre eux, et dont certains fils peuvent parfois être brisés. C’est précisément celle-ci que Spider tente de retisser par lui-même, comme s’il effectuait de son plein gré sa propre psychanalyse. Les souvenirs qu’il revisite, en revivant les scènes de son enfance, nous montre qu’il est en fait persuadé que son père à tué sa mère – mère que Spider, comme tous les enfants, aimait particulièrement – pour la remplacer par une immonde prostituée vulgaire – pléonasme – qui s’avère très vite être tout simplement sa propre mère. Le meurtre de sa mère aimée n’est en fait qu’un fantasme intenté par son esprit, dès lors que cette femme qu’il aimait tant, l’a délaissé pour en retourner à son mari. Il finit par s’auto-persuader que sa mère n’est plus, et a été remplacé par une pute ingrate. C’est en soi le principe même du complexe d’Oedipe, dans une forme beaucoup plus complexe qu’une connaissance trop basique de la psychanalyse – comme la mienne – ne permet pas vraiment d’élucider. Spider apparaît donc comme l’un des films de Cronenberg les plus profonds et difficiles d’approche. C’est à mon avis, un vrai cas “exceptionnel” que l’on pourrait enseigner dans les écoles de psycho. Le complexe d’Oedipe désigne cette période de la petite enfance durant laquelle l’enfant est irrémédiablement attiré par le parent du sexe opposé tout en souhaitant la mort du parent du même sexe. C’est clairement le cas de Spider lorsque sa mère aimée est encore présente. C’est en voyant ses parents faire l’amour devant ses yeux (il voit dès cette scène, sa mère sous les traits d’une prostituée) que l’on peut parler de cassure, de traumatisme d’enfance, lié irrémédiablement à ses parents puisque survenu en plein complexe d’Oedipe. Se mêle à ces éléments une psychologie complexe du personnage, un peu schizophrène, il est aussi l’enfant unique, seul aimé de sa mère, et par conséquent n’a jamais décroché d’un stade narcissique dont le cap est habituellement passé, selon les psychanalystes, dès l’âge de trois ans.

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Traumatisé. L’enfant ira jusqu’à tuer cette femme qu’il croit ne plus être sa mère, et qu’il croit qui plus est, responsable de la mort de cette dernière. La cassure oedipienne que Cronenberg nous dévoile est l’explication la plus probante pour comprendre les agissements de cet homme-enfant qu’est Spider adulte, qui, bloqué au “stade phallique”, cherche à retrouver cette enfance perdue, et a probablement par lui-même, enfin, trouvé ce chemin pour grandir. Cronenberg explique qu’il voulait souligner le fait que le plus gros du travail de réminiscence et de soin était effectué par l’analysé et non par le psychanalyste, qui n’est rien d’autre qu’un guide, ici, complètement absent, car remplacé métaphoriquement par les visions d’enfance que revisitent et hantent ce Spider adulte. Cette idée est par ailleurs métaphorisée par ces cahiers remplis d’inscriptions illisibles que seul Spider semble pouvoir lui même déchiffrer. Il s’agit là de son propre langage, d’énigmes dont il est le seul à en posséder les codes.

Je n’ai probablement pas les connaissances nécessaires pour comprendre et analyser pleinement ce film, car il est, vous l’aurez compris, très dense et très informé. Cronenberg sait de quoi il parle et n’utilise pas le cas le plus simple pour en parler. Au contraire, il sait que plus son cas est exceptionnel, plus le personnage gagne en densité, ou, ne dit-on pas plutôt, dans le jargon, “en psychologie”. Spider est un film épais, complexe, dense, une vaste toile dont il est difficile de comprendre toutes les ficelles, mais qui témoigne plus que jamais d’un amour de Cronenberg pour les personnages névrosés, et pour l’un de ses thèmes phares qu’est la psychanalyse.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

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