Tesis


Véritable objet de culte pour une grande partie de la communauté cinéphile et cinéphage (votre serviteur compte lui-même ce film dans son panthéon du culte), le premier film d’Alejandro Amenábar a été réédité cet été par Carlotta, pour la première fois en Blu-Ray. Retour sur le film qui a fait découvrir au monde un cinéaste hors-normes.

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Ocho milímetros

À vingt-trois ans, Alejandro Amenábar était un ex-étudiant madrilène qui avait eu l’occasion, lors de ses études, de réaliser plusieurs courts métrages, dont Himenóptero (1992), un film de 33 minutes autour du thème du snuff movie. Son second, Luna (1995), lui vaut d’être remarqué, en particulier par le réalisateur José Luis Cuerda, qui, croyant au potentiel de l’apprenti cinéaste, lui offre de produire son premier long métrage. Reprenant les grandes lignes de Himenóptero, Amenábar et son inséparable meilleur ami Mateo Gil écrivent le scénario de Tesis et tournent le film la même année que Luna. Le casting est composé d’une bonne quantité d’amis d’Amenábar, et d’autres qui sont arrivés sur le projet grâce à Cuerda ; budget et lieux de tournage réduits (la propre fac du réalisateur a servi de décor). Parfois, pour écrire l’histoire, il suffit de pas grand-chose.

Angela (Ana Torrent) est étudiante en communication de l’image et prépare une thèse sur la violence dans les médias. À latesis recherche de vidéos choc comprenant des meurtres, elle découvre un jour le corps de son directeur de recherche dans la salle de projection de l’université. Elle vole la cassette vidéo qu’il regardait avant de mourir et décide de mener l’enquête avec Chema (Fele Martínez), un passionné de cinéma extrême, avec qui elle va découvrir l’existence d’un réseau de snuff movies dans l’enceinte même de l’université. Mais le chemin d’Angela va un jour croiser celui de Bosco (Eduardo Noriega), séduisant jeune homme qui semble toutefois avoir le profil du tueur…

En 1995, le thème du snuff movie n’est pas encore totalement popularisé. Pas en Europe, du moins : si l’on exclut Vidéodrome (1985), à l’époque où Cronenberg était encore un cinéaste d’horreur et pas un « réalisateur cannois » et l’excellent Hardcore (Paul Schrader, 1979), qui ont tous les deux connu un accueil difficile de notre côté de l’Atlantique, il ne reste alors plus que le légendaire Snuff (Michael & Roberta Findlay, Alan Shackleton, 1977), pourtant toujours inédit dans les pays du Vieux Continent. On peut alors considérer Tesis comme le pionnier du film de fiction à parler du snuff movie en Europe. L’idée d’Amenábar est très forte, car il utilise le thème pour parler du rapport entre l’humain et l’image et de la fascination que l’on peut éprouver envers la violence. La scène initiale installe d’ailleurs ces deux problématiques : une rame de métro est arrêtée et tous les utilisateurs sont priés de descendre après le suicide d’un homme sous l’engin. Angela en fait partie, et ne peut s’empêcher d’essayer d’aller voir le corps, tout en affirmant, plus tard dans le film, qu’elle refuse d’être fascinée par la violence. Et si, après tout, cette fascination était plus forte ? Si elle était innée, et qu’il est impossible de s’en débarrasser tesis? Amenábar n’a pas la prétention d’apporter de réponse, mais il a l’intelligence de se poser la question, et, donc, de nous la poser aussi.

Au-delà de la réflexion apportée par l’auteur, qui pourrait être analysée, discutée et débattue des heures durant, Tesis se veut aussi un vrai thriller dans lequel le suspense prévaut. L’intrigue est, en premier lieu, une enquête classique, et ainsi, Amenábar ne nous détache jamais de l’univers d’Angela : Ana Torrent crève l’écran, backée par un très bon Fele Martínez, donnant à voir l’un des meilleurs tandems d’enquêteurs de l’histoire du cinéma, sans hésitation. Cela peut paraître long, 125 minutes, pour un film d’enquête que les américains auraient certainement réduit à 90, voire 100 minutes, mais tout est là : chaque plan, chaque dialogue, chaque souffle est nécessaire à installer le climat, à entretenir la tension. La dernière demi-heure est à couper le souffle et va de rebondissement en rebondissement, qui parviennent à surprendre même après avoir vu le film cinq, six, dix fois. Tesis n’aurait certes pas été renié par Hitchcock, d’autant qu’Amenábar s’amuse à jouer avec le MacGuffin, tel que le gros Alfred l’avait décrit : ici, il s’agit bien sûr du snuff – de la violence en général –, qui n’est jamais réellement montré, mais qui apparaît suffisamment à l’image pour déranger le spectateur ; en réalité, c’est sur le son que s’amuse le cinéaste, puisqu’il se plaît à faire partager les cris horribles des victimes tout en ne faisant jamais savoir ce qu’il peut bien se passer dans l’écran. Réaliser un bon thriller, c’est peut-être simple comme bonjour, mais c’est bien souvent dans le dosage des ingrédients que l’on se plante, et le premier film d’Alejandro Amenábar peut – doit – aisément servir de leçon dans l’usage intelligent du suspense.

Depuis le 25 juin dernier, Tesis est disponible dans un magnifique Blu-Ray proposé par Carlotta. L’image et le son ont été tous deux restaurés pour proposer le film dans sa meilleure version possible (encodage Full HD 1080p pour l’image, master DTS-HD 5.1 pour le son). Les couleurs sont impeccables et les cris et les musiques, qui sont les deux principaux ingrédients de la construction de l’atmosphère sonore du film, sont rendus avec une fidélité extrême. Plus d’une heure de bonus au programme, avec une intro du réalisateur, une bande-annonce d’époque et, au cœur des suppléments, le making-of d’époque, Cómo se hizo ‘Tesis’, réalisé par Mateo Gil, intéressant mais un peu trop court (22 minutes), quatre scènes coupées pour un total de 7 minutes, et enfin, une longue interview exclusive (40 minutes) d’Alejandro Amenábar intitulée La mort à portée de main, réalisée par l’allemand Robert Fischer en janvier 2014 et dans laquelle le réalisateur revient longuement sur son film, ses méthodes de production, et où il livre son regard, parfois dur mais toujours sincère, sur le long métrage à presque vingt ans de distance. Un Blu-Ray au top pour un film dont on ne saurait se lasser.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.

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