Tel les sagas mettant en vedettes nos boogeymen préférés, le Grindhouse Paradise renait de ses cendres pour un sixième épisode en 2025, réalisé par la dream team habituelle partie faire son marché cinéphile aux quatre coins du monde. Plus invincible que jamais, teinté de sa belle couleur rouge, le festival nous promet une programmation hétéroclite qui frappe fort et bien.

Jour 1 : En corps
L’American Cosmograph dévoile une myriade d’affiches ornant sa devanture, tour à tour effrayantes, drôles ou énigmatiques. Si certains spectateurs en sont encore à réfléchir à leur programme pour cette édition 2025 du festival Grindhouse Paradise, posant leurs yeux sur cette fantastique galerie d’images, d’autres ont foncé dès l’ouverture de la salle pour obtenir les meilleures places. On ne peut que leur donner raison car chaque année, le festival fait salle comble pour son ouverture : une pression immense sur les épaules du premier film qui a pour devoir de donner le ton pour la suite des festivités et on peut dire que The Ugly Stepsister (Emilie Blichlfeldt, 2025) s’en sort haut la main.

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Relecture horrifique du conte de Cendrillon, point de pathos cette fois-ci pour la pauvre et belle orpheline contrainte de jouer les boniches à la mort de son père car la réalisatrice préfère se concentrer sur Elvira, la demi-sœur au physique ingrat prête à tous les sacrifices, au sens propre comme au figuré, pour voler le cœur du prince Julian. Renversant les codes du conte pour renforcer l’aspect féministe du propos, Emilie Blichfeldt s’inspire du body horror cher à David Cronenberg – dont elle reprend ici les codes vestimentaires pour les chirurgiens d’Elvira qui rappellent ceux de Faux-semblants (1998) – afin de dénoncer le rapport malsain que les femmes peuvent entretenir avec leur propre corps. La violence n’étant jamais gratuite, elle n’en est que plus impactante à chaque nouveau coup, Elvira s’infligeant les pires sévices pour se conformer aux normes esthétiques en vigueur au grand dam d’un public passant de l’horreur au dégout au fil de la séance. Par ricochet, une certaine aversion se forme pour Agnès, la Cendrillon au visage d’ange toujours aussi belle dans la crasse et la poussière, éclipsant une Elvira qui redoublera d’efforts pour sortir de la masse. Tour à tour marionnette entre les mains de sa mère, morceau de viande sous le regard libidineux des hommes et porte-monnaie pour les chirurgiens, son parcours du combattant se soldera par une énième humiliation au bal, sorte de mélange entre un concours canin et une élection de Miss France. Si Elvira se laisse emporter par ses rêves de petite fille croyant dur comme fer au prince charmant jusqu’à la faire basculer dans une jalousie maladive, le spectateur se fera manipuler tout autant qu’elle, concentrant toute son empathie sur la pauvre demi-sœur au physique ingrat. Pourtant, ni Agnès, ni Elvira, ni même Rebekka l’acariâtre belle-mère n’ont une situation enviable, toutes soumises au patriarcat et se pliant au désir masculin pour trouver leur place dans la société quel que soit son physique, son âge ou sa classe sociale. Seule Alma, l’autre demi-sœur terrorisée à l’idée de devenir une femme cherchera à sortir de ces schémas répétitifs et pervers. Tu modifies ton extérieur pour qu’il corresponde à l’intérieur dira l’une des marieuses à la pauvre Elvira. Et c’est exactement l’inverse qui se produit car plus elle s’embellit, plus l’intérieur de son corps se pourrit, tout comme son cœur qui se flétrit, jusqu’à devenir un monstre de chair pas si éloigné de celui de The Substance (Coralie Fargeat, 2024)

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Continuons dans la thématique des corps suppliciés avec The Rule of Jenny Pen (James Ashcroft, 2024), présenté par Laurent Duroche dans le cadre du partenariat en 2025 de Grindhouse Paradise avec la plateforme Shadowz qu’on ne présente plus ici. Le deuxième film du réalisateur, tourné dans une véritable maison de retraite, suit le quotidien du juge Stefan Mortensen interné dans une maison de repos suite à un accident vasculaire cérébrale. Si ce dernier peut paraitre au premier abord particulièrement condescendant avec les pensionnaires, valorisant son discours et son érudition, il va rapidement devenir la cible malheureuse de l’un d’eux, Dave Crealy, incarné à la perfection par l’inquiétant John Lighgow. Véritable tyran qui exerce son pouvoir sur des pauvres personnes âgées sans défense, un combat acharné parasité par l’arthrose et la sénilité va opposer les deux vieux lions jusqu’à la soumission de l’un d’eux. Le long-métrage débute de façon réaliste, exposant le quotidien morose de personnes en fin de vie et toutes les journées sans fin qui en découlent, puis il bascule peu à peu vers l’horreur pure avec cette façon viscérale de filmer le combat ordinaire des pensionnaires luttant contre leur propre corps et leur propre esprit. Le moindre geste, la moindre réflexion demandent un effort titanesque que le spectateur ressent du plus profond de ses tripes, rendant n’importe quelle action de la vie quotidienne particulièrement éprouvante pour les nerfs. Se rajoute à cela Dave Crealy, espèce de boogeyman sans passé ni avenir, accompagné de sa poupée d’empathie, la fameuse Jenny du titre, qui vient terroriser les pensionnaires dans leurs propres chambres la nuit tombée. Ses yeux bleus glacials fixent les prochaines victimes ne pouvant soutenir son regard, préférant courber l’échine et se taire plutôt que de faire front face à cette menace silencieuse. Au départ danger concret, il se transforme en créature cauchemardesque au fil de la dégénérescence de Stefan, dévorant de plus en plus le cadre, se mouvant tel une ombre flanquée de Jenny qui semble prendre vie en absorbant l’énergie vitale de ses victimes, gonflant comme un kaiju prêt à tout raser sur son passage.



