Quoi de plus pertinent, à l’heure où le trumpisme gangrène les États-Unis de ses idées rétrogrades, que de s’intéresser aux racines du mal ? C’est ce que fait avec beaucoup de réussite The Order (Justin Kurzel, 2025), disponible sur Amazon Prime en Europe, venant confirmer tout le bien que l’on pensait de son réalisateur…

© Amazon Prime Video
Errance d’une Nation
Après deux films passés quasiment inaperçus – Le Gang Kelly (2019) et Nitram (2021) – celui qui avait cédé aux sirènes hollywoodiennes avec Assassin’s Creed (2016) revient en force sous l’égide d’Amazon avec The Order. Justin Kurzel, puisque c’est de lui dont il s’agit, est un cinéaste fascinant et un très grand formaliste du cinéma d’aujourd’hui. Depuis Les Crimes de Snowtown (2011), il n’a de cesse de proposer un cinéma racé et puissant dont le tout commence à former un ensemble cohérent sur le plan thématique. Si l’on excepte Macbeth (2015) et son adaptation du célèbre jeu vidéo d’Ubisoft, le cinéaste australien n’a finalement toujours parlé que de phénomènes de groupes et d’embrigadements. Ou pour le dire plus simplement : de la rage qui s’immisce chez l’Homme au point que toute notion morale est annihilée. Kurzel a souvent l’intelligence de ne jamais juger ses protagonistes quitte à adopter leurs points de vue pour raconter ses intrigues. C’était le cas dans Les Crimes de Snowtown et dans Nitram qui suivaient les criminels, ou du Gang Kelly qui, en racontant l’histoire de Ned Kelly, sorte de Robin des Bois australien, jouait sur cette ambiguïté vertueuse. Avec The Order, en revanche, il ne cherche pas à créer trop d’empathie – heureusement ! – vis-à-vis des suprémacistes blancs dont il raconte les méfaits.

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Comme toujours chez Justin Kurzel – quand il n’adapte pas Shakespeare ou une saga vidéoludique – tout part d’un fait divers. Direction donc les années 80 dans le nord-est des États-Unis, où Terry Husk, un agent du FBI, est dépêché sur place pour comprendre une augmentation soudaine des braquages de banques ou de fourgons et la mise en place d’un trafic de faux billets. Avec l’aide d’un sheriff adjoint local, il découvre que tout cela n’est pas l’œuvre d’un réseau du crime organisé, mais d’un groupe de nationalistes blancs dirigé par Bob Mathews : The Order. On le voit, le film s’inscrit dans une longue lignée d’œuvres auscultant l’Histoire récente américaine allant de Mississippi Burning (Alan Parker, 1988) à BlacKkKlansman (Spike Lee, 2018) en passant par Le Droit de tuer (Joel Schumacher, 1996). Une tradition qui fait figure de résistance face aux mouvements politiques que traverse le pays de l’Oncle Sam depuis des décennies et qui trouve ici un parfait héritier tant The Order parvient à s’inscrire dans les pas de ce cinéma engagé tout en dressant un miroir à une Amérique plus que jamais traversée par ses démons, comme en atteste le tournant autoritaire du début de second mandat de Donald Trump au moment où sortent ces lignes.
Kurzel, depuis ses débuts, propose un cinéma d’atmosphère où évoluent des individus dans un environnement qui finit par se confondre avec eux. The Order est fait de ce bois-là : pour son premier long-métrage 100% américain, le cinéaste australien s’empare des décors gigantesques pour transposer sa mise en scène si caractéristique. Les âmes qu’il filme se déplacent comme des spectres en quête de sens – souvent de droite à gauche, ce qui, au cinéma, signifie souvent l’impossibilité d’un après – et c’est dans ce brouillard mental que se perdent ceux allant se réfugier dans les groupuscules d’extrême-droite. La réalisation de Justin Kurzel déborde de cinéma et d’intentions qui nous font regretter que le film ne soit sorti que sur plateforme en Europe. Elle est bien aidée par une photographie sublime concoctée par le fidèle Adam Arkapaw – de tous les projets du réalisateur, mais aussi à l’image sur Top of the Lake (Jane Campion, 2013-2017) et la première saison de True Detective (Nic Pizzolatto, depuis 2014). On pense d’ailleurs beaucoup à cette série dans la façon que The Order a de mêler une pure intrigue policière dans une histoire aux ramifications bien plus sociales et gigantesques. Enfin, il faut souligner l’importance de la bande-originale de Jed Kurzel, frère de, qui amplifie la troublante beauté du film.

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Côté casting, c’est aussi là que The Order gagne en épaisseur. Jude Law y trouve l’un de ses meilleurs rôles depuis des lustres, insaisissable dans les guêtres de cet agent du FBI au passé trouble. Loin du cabotinage qu’il nous avait proposé dans Skeleton Crew (Jon Watts & Christopher Ford, 2024), il propose une prestation où tout se joue dans les yeux. À ses côtés, on retrouve Tye Sheridan – qui nous avait tant touché dans Mud – Sur les rives du Mississippi (Jeff Nichols, 2013) – dans le rôle du sheriff adjoint du coin. Sa prestation apporte le peu d’humanité que le récit a à offrir étant donné que les autres personnages sont tous coincés soit dans leur haine, soit dans leur travail. Pour finir ce petit tour d’horizon – qui pourrait être très long compte tenu des talents en place dans chacun des rôles – comment ne pas évoquer Nicholas Hoult qui crève l’écran sous les traits de Bob Mathews ? Il électrise chacune de ses scènes et compose avec brio une figure au bord de l’explosion, visage d’une Amérique de colère. Après Juré n°2 (Clint Eastwood, 2024) et avant Superman (James Gunn, 2025), il confirme sa place d’acteur de premier rang et un attrait pour les personnages moralement douteux.
Mais si le tout se termine par l’inévitable texte de fin dressant des passerelles entre ce fait divers des années 80 et des évènements beaucoup plus récents comme l’assaut du Capitole en 2021, The Order peut paraitre un peu timoré par endroits. Non pas qu’il hésite à parler des sujets qui fâchent, mais aussi ébloui soit-on par la maestria visuelle de Kurzel, on ressort du film en se disant qu’entre les mains d’un Oliver Stone des grands jours, The Order aurait peut-être gagné force de frappe et en radicalité. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le scénariste de Mississippi Burning s’était lui aussi intéressé au sort funeste d’Alan Berg, visible dans The Order, dans Conversations nocturnes (1988) – tout comme Costa-Gavras dans La Main droite du diable (1988), autre grand cinéaste politique. C’est sûrement là un petit regret au regard de l’actualité toujours plus WTF de la marche du monde. Ceci dit, le film confirme vraiment le talent d’un cinéaste dédié tout entier à nous faire vivre l’expérience cinématographique avant tout. On gardera un œil très attentif sur Mice et Morning, ses deux prochains projets annoncés, dont on ne sait rien pour l’heure.