Si l’on avait cru un jour traiter d’un film de et avec Franck Dubosc… Son dernier film, son troisième en tant que réalisateur, Un urs dans le Jura (2025) a pourtant toute sa place dans notre ligne éditoriale ! Meurtres, humour noir et complots sont au menu dans ce film de genre made in France aux inspirations multiples.

© Julien Panié – 2024 Gaumont – Pour toi Public productions – France 2 Cinéma
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On connait tous le Dubosc en slibard sur la plage à déclamer des tirades à base de pastis, le Dubosc qu’on a eu vite fait de catégoriser parmi les Bigard et autres lourdauds hantant nos petits et grands écrans. Pourtant l’acteur s’est fait souvent plus surprenant – on se rappelle par exemple d’une prestation plutôt touchante dans Incognito (Éric Lavaine, 2009) – quitte à amorcer une nouvelle vie de réalisateur depuis quelques années avec Tout le monde debout (2018) et Rumba la vie (2022). Deux comédies ayant reçu des retours très positifs et pour cause : en s’éloignant de l’humour un poil beauf du personnage auquel on l’a volontiers associé, il parvenait à insuffler de l’émotion dans le rire et faisait montre de vraies volontés de cinéma. C’est là qu’arrive Un ours dans le Jura, sa dernière réalisation, qui affiche très nettement des ambitions esthétiques encore plus hautes et un ton lorgnant vers d’illustres références comme Fargo (Joel & Ethan Coen, 1996). Dans le pays qui produit de la mauvaise comédie aseptisée à la vitesse de l’éclair ce n’est pas peu dire, à la découverte des premiers extraits, que nous avons été très curieux de voir ça.

© Julien Panié – 2024 Gaumont – Pour toi Public productions – France 2 Cinéma
L’histoire prend place à la fin du mois de décembre, dans le Jura donc, et s’intéresse à Cathy et Michel, de modestes vendeurs de sapins. Ceux-ci sont écrasés par les dettes et les difficultés financières et s’éloignent l’un de l’autre. Un jour, Michel rentre chez lui et manque de percuter un ours sur la route. Perdant le contrôle de son véhicule, il percute une autre voiture arrêtée sur le bas-côté et tue accidentellement ses deux passagers. Il découvre à l’intérieur du véhicule un sac contenant deux millions d’euros en petites coupures. Avec sa femme, ils décident de se débarrasser des corps et commencent à attiser la curiosité de Roland, le major de la gendarmerie du coin. On le voit, le point de départ est le prétexte à une succession de situations périlleuses et rocambolesques qui font d’Un ours dans le Jura une comédie à part entière, très loin des sentiers battus de la production hexagonale. Les premières minutes donnent le ton avec, d’emblée, une séquence admirablement mise en scène où se mêlent le suspens, l’action, l’humour et le macabre. Il y a plus de cinéma dans cette seule scène que dans toute la filmographie de Philippe de Chauveron !
Techniquement irréprochable, notamment grâce à une photographie inspirée signée Ludovic Colbeau-Justin et Dominique Fausset et un montage précis d’Audrey Simonaud, le long-métrage dissémine les bonnes idées de réalisation à mettre au crédit de Franck Dubosc. Sa mise en scène est fluide, ample et élégante d’un bout à l’autre, et on se plait à rêver d’un cinéma comique français qui saurait avoir les mêmes ambitions formelles au lieu de séquences ronflantes habituelles – champ, contre-champ, plan large, et on recommence – dignes des meilleurs épisodes de Fais pas ci, fais pas ça (Anne Giafferi & Thierry Bizot, 2007-2024). On sent que le réalisateur à réviser ses classiques allant des frères Coen à Petits Meurtres entre amis (Danny Boyle, 1994). Dubosc souhaite faire d’Un ours dans le Jura un véritable western campagnard et force est de constater que le pari est tenu. Qu’il s’agisse de séquences aux dialogues décalés, de gunfights ou de suspens autour d’un trou dans le mur et de pieds dépassants d’une couverture, il délivre une certaine minutie qui impressionne et nous fait penser que son passage derrière la caméra n’était pas seulement le fruit d’un caprice d’acteur, mais une vraie démarche sincère et salutaire.

© Julien Panié – 2024 Gaumont – Pour toi Public productions – France 2 Cinéma
Le néo-cinéaste est bien servi par un scénario co-signé avec Sarah Kaminsky, qui n’hésite pas à empiler les couches narratives, quitte à se perdre parfois, et à aller franchement dans le grinçant. Au milieu de l’enquête biscornue, on retrouve ainsi un léger propos social, un drame conjugal touchant et l’itinéraire d’un père – le gendarme – qui cherche à se réinventer. C’est touffu, parfois trop, mais généreux et toujours incarné par des dialogues ciselés et des interprétations de hautes volées. Franck Dubosc, qui joue ici le rôle principal, est étonnamment sobre dans une partition encore une fois très coennienne – benêt et subissant tout. Laure Calamy, interprétant son épouse, injecte toute sa folie douce dans la dynamique du couple. Et cela faisait un moment qu’on n’avait plus vu Benoît Poelvoorde aussi touchant que dans ces habits de gendarme au cœur tendre. Dans le même ordre d’idée, Joséphine de Meaux, sa collègue de brigade, livre une prestation mémorable à l’instar de sa scène culte dans Nos jours heureux (Olivier Nakache & Éric Toledano, 2006). Petite cerise sur le gâteau, nous retrouvons avec plaisir le jeune Timéo Mahaut, découvert dans l’excellent Les Pires (Lise Akoka & Romane Guéret, 2022).
Un ours dans le Jura pourrait bien servir de mètre-étalon à la comédie made in France que ça ne nous dérangerait pas le moins du monde : en délivrant un véritable objet de cinéma et, a fortiori, une œuvre de genre à part entière, Franck Dubosc impose une exigence nouvelle à ses collègues du rire. En allant piocher dans des influences anglo-saxonnes, il sort des sentiers battus en injectant une grammaire cinématographique là où les réalisateurs de comédies se contentent trop souvent d’une réalisation fonctionnelle, tout en s’inscrivant dans une veine très hexagonale rappelant la cruauté du Père Noël est une ordure (Jean-Marie Poiré, 1982) voire même Buffet froid (Bernard Blier, 1979). Ça n’est pas parfait, la faute à un trop plein d’intentions qui brouillent l’expérience de temps en temps, mais c’est là aussi la marque d’une générosité sincère de la part du réalisateur. Dubosc essaye et réussit la plupart des aspects auxquels il se frotte. Loin de Patrick Chirac et du camping des Flots Bleus, il livre un film racé, humain et surtout drôle. On espère que le comédien-réalisateur continuera dans cette nouvelle voie pour renouveler en profondeur l’image de la comédie française de papa.