Star Wars : Skeleton Crew • Saison 1


Adapter la formule Amblin – l’illustre studio de Steven Spielberg et ses productions phares des années 80 – à l’univers Star Wars : telle était la promesse de cette nouvelle itération de l’univers crée par George Lucas voici bientôt cinquante ans. Une jolie promesse sur le papier, renforcée par une armée de réalisateurs à la mode : critique de la saison 1 de Star Wars : Skeleton Crew sur Disney+.

Plan vu d'un tunnel bleu sur l'équipage de la saison 1 de Star Wars : Skeleton Crew.

© Tous Droits Réservés

L’aventure (dans la bordure) intérieure

Disney, qui a sorti son chéquier voilà treize ans pour acquérir la licence, se trouve dans une impasse avec Star Wars. La postlogie est largement conspuée, arrivant à mettre d’accord deux camps de fans qui s’écharpaient jusqu’alors sur la prélogie de Lucas. Les séries dérivées quant à elles n’ont guère fait consensus, certaines étant particulièrement ratées comme Le Livre de Boba Fett (Jon Favreau & Robert Rodriguez, 2021), d’autres étant accueillies d’office avec des fourches selon la couleur de peau des acteurs à l’écran comme ce fut le cas pour l’intéressante The Acolyte (Leslye Headland, 2024). Au milieu de cette hécatombe surnagent pourtant quelques projets comme Rogue One : A Star Wars Story (Gareth Edwards, 2016) et son spin-off sériel Andor (Tony Gilroy, depuis 2022) ainsi que la série The Mandalorian (Jon Favreau, depuis 2019) mais le constat est sans appel : Disney a raté quelque chose avec cette grande franchise que fut Star Wars. Voir le studio se frotter à une intrigue en dehors des sentiers habituels – la famille Skywalker, l’Empire, tout ça – avec Star Wars : Skeleton Crew (Jon Watts & Christopher Ford, 2024) a quelque chose de rafraichissant, tant le parti pris, assumé et revendiqué, de piocher dans l’imaginaire Amblin parait naturel.

Jude Law est encerclé par des armes laser, mais il garde son sourire un peu mesquin ; plan issu du film Star Wars : Skeleton Crew.

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Rappelons d’abord ce qu’est Amblin pour les quelques-uns qui vivraient dans une grotte depuis quarante-cinq ans ou qui ne s’intéresseraient que très peu à tout ça. Amblin c’est le nom du premier studio fondé par Steven Spielberg – d’après le nom d’un de ses premiers courts-métrages – qui a produit une tripotée de petits classiques dans les années 80 : les réalisations du cinéaste, bien sûr, mais aussi Gremlins (Joe Dante, 1984), Les Goonies (Richard Donner, 1985), Retour vers le futur (Robert Zemeckis, 1985) et bien d’autres. Un imaginaire entier fait de banlieues américaines, de fantastique, d’aventures à hauteur d’enfants et de chevauchées à dos de BMX qui avait déjà refait irruption dans notre présent à la faveur de Super 8 (J.J. Abrams, 2011), mais surtout de la série Stranger Things (Matt & Ross Duffer, depuis 2016), avec le triomphe que l’on connait. Un petit studio légendaire qui représente donc bien plus que de simples films mais toute une identité. Skeleton Crew souhaite donc reproduire la formule et ce dès son pitch : aux confins de la galaxie, quatre enfants en marge de leurs semblables et isolés de leurs parents trouvent la trace d’un vieux vaisseau spatial qui les embarque loin d’At-Attin, leur planète. Ils feront la rencontre de Jod, un mystérieux malandrin de l’espace. McGuffin, pirates et trahisons les attendent pour espérer rentrer chez eux…

Un synopsis qui fleure bon l’innocence des années Reagan et qui assume pleinement son appel à l’aventure pour enfants, à des milliers de parsecs des grands enjeux de la lignée d’Anakin ou des stratagèmes intergalactiques et maléfiques de Shiev Palpatine. Oui, Jon Watts et Christopher Ford marchent dans les pas de Spielberg et particulièrement des Goonies en reproduisant la dynamique de groupe autrefois portée par Mikey, Choco, Data ou Bagou. Ici, Fern, KB, Neel et Wim sont les petits héros s’ouvrant au monde pour lesquels on prend plaisir à suivre le récit malgré quelques défauts sur lesquels nous reviendrons. Car ce qui saute aux yeux rapidement, c’est la compatibilité entre l’univers de George Lucas et le ton de Steven Spielberg – une petite saga avec un héros au Fedora nous l’avait déjà prouvé ceci-dit – tant le style Amblin, pourtant très américain et ancré dans sa décennie, est universel. Alors oui, on peut râler sur le fait que tout cela ne soit qu’opportuniste – la série Netflix sur les aventures d’Eleven l’est-elle moins ? – mais à moins d’attendre encore de Star Wars de grands élans artistiques ou une réinvention totale de l’eau tiède, autant apprécier cette proposition qui parle à nos petits cœurs sensibles de cinéphiles passéistes.  

Deux silhouettes avancent sur la terre aride d'une planète déserte, de nuit, dans la brume, plan d'ensemble de Star Wars : Skeleton Crew.

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Des atouts, la série n’en manque pas, à commencer par son casting. On le sait, une distribution faite d’enfants, ça passe ou ça casse et dans le cas présent, l’alchimie entre les personnages – et entre les interprètes – fonctionne à plein et arrive même, par moments, à éclipser les prestations d’acteurs adultes vétérans comme celle de Jude Law. L’acteur anglais prend un plaisir très communicatif à se glisser dans la peau de ce personnage trouble que demeure Jod jusqu’aux dernières minutes de la saison, quitte à cabotiner parfois beaucoup, tout en comprenant toujours l’idée que Skeleton Crew est une série s’adressant à un jeune public. Les parents, qui prennent surtout du sens et de l’épaisseur dans le dernier acte, sont quant à eux campés par de solides comédien.nes, Kerry Condon et Tunde Adebimpe en tête – ce dernier arrivant même à insuffler de l’émotion dans la saga, ce qui n’était plus arrivé depuis longtemps ! Même notre Mathieu Kassovitz national passe une tête dans un épisode en étant convaincant. On peut souligner également une direction artistique convaincante et une réalisation – que l’on doit à Daniel Kwan et Daniel Scheinert auteurs de Everything Everywhere All At Once (2022), David Lowery, réalisateur de The Green Knight (2022), Bryce Dallas Howard déjà à l’œuvre sur The Mandalorian, tout comme Lee Isaac Chung, cinéaste derrière Minari (2021). Une sacrée équipe derrière la caméra qui fait oublier les égarements visuels, souvent liés à la technologie du Volume, d’Obi-Wan Kenobi (Hossein Amini & Joby Harold, 2022).

Malgré toutes ces qualités qui rendent le visionnage plaisant, on ne peut s’empêcher de retenir que la série souffre du même syndrome que ses consœurs sorties sur Disney+ : un rythme prévisible, imposé, entre autres, par son format aléatoire. Depuis le lancement de la plateforme, toutes les séries Star Wars ou Marvel sont composées d’épisodes hebdomadaires dont la durée varie entre 22 et 45 minutes. Une durée scandaleusement courte et frustrante qui ne permet pas de rentrer pleinement dans l’univers proposé et qui saccade complètement son déroulé. De même, chaque série Star Wars – et on peut décalquer le constat sur toutes hormis Andor – souffre de la même structure : deux épisodes d’exposition stimulants, quatre épisodes ronflants, un avant dernier épisode revigorant, et une conclusion frustrante. Là où un montage plus resserré aurait permis au récit d’aller à l’essentiel et de rendre la proposition plus marquante et forte, Disney choisit de s’étaler inutilement pour justifier des abonnements sur plus de deux mois… C’est d’autant plus regrettable que Skeleton Crew, on l’a dit, est probablement l’offre la plus fraiche et fun de la licence depuis The Mandalorian et qu’elle ne manque pas d’idées et de réflexion sur le monde d’aujourd’hui. Cet hommage aux Goonies et à tout l’esprit Amblin – et aussi à Pirates des Caraïbes : La Malédiction du Black Pearl (Gore Verbinski, 2003) tant il reprend tous les codes de la piraterie issue de ces films – est cannibalisé par son propre format et par ses règles de distribution. On attendra donc le remontage de Kai Patterson, ce formidable youtubeur qui s’est donné pour mission de remonter toutes les séries défaillantes de Star Wars en unitaires, montrant par l’exemple que la saga de George Lucas est actuellement mal pensée et mal distribuée. 


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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