Vol à haut risque


Presque dix ans après le très réussi Tu ne tueras point (2016), Mel Gibson signe enfin son retour derrière la caméra avec son sixième film en tant que réalisateur : Vol à haut risque (2025). Exit les récits épiques et/ou bibliques, Mad Mel s’attèle cette fois-ci à un actioner tout droit sorti des années 90.

Mark Wahlberg tout sourire dans la cabine du bateau de Vol à haut risque.

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The Air Road Warrior

Le Mel Gibson flamboyant des années 70 à 2000 s’en est bel et bien allé sous les bourrasques des polémiques et dérapages incontrôlés. C’est bien simple, depuis l’excellent Traînés sur le bitume (S. Craig Zahler, 2018), l’acteur qui enchainait les succès critiques et publics multiplie les productions indignes tout juste bonnes à payer ses impôts et un divorce très couteux. L’interprète de Mad Max (George Miller, 1979) et de Signes (M. Night Shyamalan, 2002) souffre d’une image sulfureuse qui, ces dernières semaines, a pris une nouvelle tournure puisque Gibson est désormais chargé par Donald Trump en personne de surveiller ce qui se passe dans un Hollywood jugé trop woke. Seule surnageait, au milieu de ce marasme réputationnel, l’aura de cinéaste d’un homme qui avait impressionné par son talent derrière la caméra. Si l’on excepte le méconnu L’Homme sans visage (1993), tous ses films en tant que réalisateur ont fait parler. Braveheart (1995) a obtenu cinq Oscar, la décriée Passion du Christ (2004) fait toujours parti des films les plus rentables de l’Histoire, Apocalypto (2006) fut une sacrée expérience, et Tu ne tueras point (2016) un retour en grâce inespéré. Au-delà du succès, on lit dans sa filmographie de vraies thématiques et donc, une vision d’auteur. La foi l’anime, c’est de notoriété publique, mais on descelle un certain goût pour la violence graphique et des corps. Alors avant de voir le retour de Jésus pour une suite à son gros succès polémique, l’homme a décidé de s’offrir une petite gourmandise en s’écartant des fondamentaux de son œuvre.

L'avion du film Vol à haut risque lancé à pleine vitesse dans le ciel gris.

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Dans Vol à haut risque (2025), il n’est point question de grande figure historique comme métaphore biblique ni de récit historique à grands renforts de scènes épiques et de bandes originales mélodieuses – comme l’inoubliable score de James Horner sur Braveheart. Jusqu’ici Mel Gibson n’avait que peu tourné (uniquement dans L’homme sans visage) d’histoire contemporaine et il faut le dire, c’était une curiosité de le voir parler de notre époque. En Alaska, l’US Marshal Madelyn Harris arrête Winston, un comptable ayant blanchi de l’argent pour une famille mafieuse. Son immunité négociée contre un témoignage, il doit être d’urgence transporté vers New-York où se tient le procès. Sauf qu’à bord du petit avion tout dérape quand le pilote s’avère être un tueur envoyé par la mafia afin de faire taire ce témoin gênant. Voilà pour le pitch qui fleure bon les années 90 et les productions type Piège de cristal (John McTiernan, 1988). Vous savez, ces films avec une unité de lieu – une tour, un aéroport, un train, un bus, etc. – et un héros qui n’avait rien demandé. Dernièrement Carry-On (Jaume Collet-Saura, 2024) reprenait également la formule qu’avaient usé Speed (Jan De Bont, 1995) pour les plus réussis ou Piège à grande vitesse (Geoff Murphy, 1995) pour les plus cons. Donc qui de plus indiqué que l’inoubliable Martin Riggs de L’Arme fatale (Richard Donner, 1987) pour mettre en boite ce petit film à concept ? Même si la curiosité nous titillait, il faut bien reconnaitre qu’il y a quelque chose de décevant à voir Mel Gibson s’égarer dans ce type de production : spécialiste des récits amples, on attendait sûrement un retour plus grand pour ce cinéaste hors pair.

Mark Wahlberg, blessé au visage, tient en joue quelqu'un hors-champ dans le film Vol à haut risque.

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Le ton est malheureusement donné dans une première scène d’une mollesse qu’on avait rarement vue chez le réalisateur et d’une inélégance qu’on ne lui connaissait pas encore. Certainement plus en phase avec le personnage public d’aujourd’hui, cette vulgarité sonne d’emblée comme un faux pas : le titre du film apparait après que le personnage principal ait demandé à ce qu’on lui essuie les fesses, note d’intention ? À ce stade on ne sait encore. Ensuite, le long-métrage prend le parti de se dérouler en huis clos dans l’habitacle de ce petit avion. Ce qui aurait pu constituer un exercice de style – à l’opposé des grands espaces de ses précédentes réalisations – devient rapidement un enchainement de mauvais goût. Filmé sans âme et sans effort, Vol à haut risque peine à masquer un potentiel désintérêt de Mel Gibson pour son sujet. Et ce ne sont pas les piètres effets spéciaux qui pourront contrebalancer ce sentiment de bâclage à tous les étages. Pire, en 2025 et devant l’ennui provoqué par une succession de péripéties toutes plus prévisibles les unes que les autres – ce ne sont plus des fusils mais des bazookas de Tchekhov que nous propose le scénario – on finit par repenser à d’autres films, pourtant bas du front, ayant mieux fait plus de vingt ans avant comme Les Ailes de l’enfer (Simon West, 1997). Malgré les performances outrancières de Mark Wahlberg et Topher Grace sur lesquelles nous reviendrons, Mel Gibson n’arrive jamais à rendre son projet a minima fun et agréable. Ce qui devait être une petite parenthèse décomplexée relève in fine de la faute de parcours.

Le trio d’acteurs pouvait nous faire espérer… Topher Grace n’a jamais guère brillé dans des premiers rôles, mais il traine un capital sympathie indéniable. Michelle Dockery, quant à elle, a brillé dans Downton Abbey (Julian Fellowes, 2010-2015) et démontré un talent certain. Enfin, Mark Wahlberg a maintes fois prouver son appétence pour les rôles sur la corde – à l’instar de Mel Gibson d’ailleurs. Sauf qu’à part Dockery, tout le casting est aux fraises, la faute à des répliques pas bien finaudes versant dans l’humour gras quasi homophobe et une caractérisation des personnages plutôt maigrichonne. Ainsi, le vilain joué par un Wahlberg en surchauffe totale est seulement défini par sa calvitie et une folie que même Tommy Wiseau aurait joué avec plus de nuances et de justesse. Si l’on veut prendre le bousin sous un angle analytique – Mel étant un cinéaste-auteur après tout – on pourrait arguer que ces trois personnages représentent différentes facettes de Gibson – brave, repentant et fou – que son goût pour la torture physique est bel et bien intact et que la foi catholique s’immisce toujours dans ses scénarios – oui, oui, dans la rédemption des personnages pas très subtile. Mais c’est bien parce que c’est Mel Gibson à la barre qu’on verse dans l’analyse tant Vol à haut risque s’avère être un produit lambda, très inoffensif et oubliable là où Braveheart, Apocalypto et même La Passion du Christ invitaient à beaucoup plus de réflexion, de fureur et d’images mémorables. Tout à coup, nous sommes moins certains de vouloir le voir s’emparer d’une Arme fatale 5 et d’une Résurrection du Christ annoncées en grande pompe…


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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