En cinéaste de la destinée et de la violence, la guerre semblait tout faite pour Mel Gibson. Malheureusement, le rendez-vous est en partie manqué avec son Tu ne tueras point se déroulant durant la Seconde Guerre Mondiale.
Calvaire
Filmer la guerre : des images d’archives à celles fictives du cinéma, la problématique est totale, la guerre étant en soi un élément disparate (plusieurs belligérants, donc plusieurs visions, plusieurs lieux, plusieurs idéologies) et prompt du même coup à des interprétations motivées par un intérêt historique ou politique. Rien que si vous avez l’idée de faire un film objectif par exemple, si sur le papier ça a l’air facile, songez-y un peu et vous verrez qu’en fait, c’est putain de compliqué, ne serait-ce qu’au niveau narratif (c’est pas pour rien que Clint Eastwood a fait le choix extraordinaire de réaliser deux films sur la même batille d’Iwo Jima). Je pense que l’on pourra dire avec une certaine justesse que les scènes de guerre vraiment marquantes pour des raisons proprement cinématographiques ne sont pas légion, le jeu de mots est involontaire, mais je laisse. On va certainement pas se faire lyncher non plus pour dire que ces quelques scènes marquantes sont partie de long-métrages en grande majorité tournés après la Seconde Guerre Mondiale, voir même après la guerre du Vietnam, et ce n’est pas le triple écran du Napoléon d’Abel Gance (1927) qui va nous faire vaciller dans cette idée. La cause me semble être double et jumelle : d’abord la 2GM et les guerres de décolonisation ou d’opposition « froide » USA-URSS ont montré leur absurdité, leur cruauté sanguinaires (comme si la boucherie de la Première Guerre Mondiale n’avait pas suffi) et provoqué un effondrement de l’idéologie et un point de non-retour dans la croyance en l’humanité (d’où l’émergence du théâtre de l’Absurde par exemple) permettant ainsi de filmer la guerre de front, avec ambiguïté, ou critique ; ensuite l’évolution des technologies filmiques a permis de reproduire au cinéma les conditions de combat avec plus de véracité, comme elle avait permis de montrer à tout un chacun les images réelles des conflits pré-citées (la 1GM n’a pas pu être captée et médiatisée comme le conflit vietnamien attrapé par les chaînes de télévision et caméras mobiles). Ces deux éléments ont amené des grands réalisateurs à créer de grandes scènes et de grands films de guerre tels qu’on en avait jamais vu.
Comme chaque progrès, ça a son revers. Car après cette libération qui a donné naissance à des images inoubliables et révolutionnaires, il devient de plus en plus dur de filmer la guerre toujours d’une autre manière. Même le génie Kubrick s’y est un peu cassé les dents, avec un Full Metal Jacket (1987) dont on retient surtout la partie camp d’entraînement-conditionnement du soldat, et moins les scènes de combat. Concernant la 2GM, le dernier choc, véritable révolution filmique dans la monstration d’une scène de combat, a été si fort, qu’on se demande comment faire plus immersif, chaotique et violent que le débarquement (entre autres) de Il faut le soldat Ryan (Steven Spielberg, 1998). Devant la filmographie rageuse de Mel Gibson réalisateur, le doute pouvait être temporairement levé et on pouvait attendre une autre vision en celle qu’il aurait de la bataille entre japonais et américains sur l’Île d’Okinawa, dans laquelle son personnage principal, Desmond, s’engage en se faisant la promesse de ne jamais prendre les armes et de n’aller au combat que pour sauver des vies. Ce personnage chrétien voire christique, gibsonien en diable (deuxième jeu de mots involontaire, je laisse aussi) subit un véritable calvaire (je dois vous rappeler le nom du cinéaste qui a mis en boîte La passion du Christ ?) contre les institutions (l’armée) et un état du monde (en guerre) qui s’érigent contre sa foi en les récits bibliques et sa morale à toute épreuve : l’ingrédient du gros mélodrame est bien présent, et en vérité bien exécuté, étant émouvant, filmé avec soin, et fidèle encore une fois aux obsessions de Mel Gibson pour des personnages à la croyance inébranlable qui sont capables de se sacrifier pour sublimer un environnement terrible.
Cependant, si le film est un bon mélodrame pour ceux qui goûtent ce genre, c’est bien dans la façon de traiter la guerre que le réalisateur a, semble-t-il, un peu perdu ses couilles. Ce qui a rendu son statut de cinéaste incontestable, c’est sa capacité surprenante à prendre d’assaut l’industrie hollywoodienne avec des idées humanistes, folles, et en plus ramasser succès critique et public. Pour vous rafraîchir la mémoire, Braveheart, c’est plusieurs Oscars pour une histoire d’écossais en jupons dont tout le cinéma de l’époque devait se battre les steaks avant et La passion du Christ c’est deux heures de torture tournées en araméen (!), énorme succès mondial, proche d’un Apocalypto brutal en langue inca sur la violence des conquistadors… Tu ne tueras point est malgré ses accointances thématiques loin d’être le successeur logique de ses aînés, exactement là où on l’attend, retraçant béatement et à sens unique les exploits de Desmond, en « digne » représentant du cinéma hollywoodien et manichéen qui nous gonfle quasiment depuis les débuts du cinématographe (un petit bout de temps quoi). D’un patriotisme à toute épreuve, et à part une belle scène de hara-kiri (qui vient au bout de deux heures et dure deux putains de minutes), les Japonais ne sont que des hystériques hurlants et dénués de parole (même entre eux ils parlent pas les gars), alors que le parallèle entre le sacrifice de Desmond et la mentalité de guerre japonaise était le terrain rêvé pour livrer une œuvre réellement humaniste sur la foi des hommes en quelque chose pour lesquels ils sont prêts à mourir, et pas uniquement sur un américain chrétien prêts à mourir pour son Dieu et son pays. Quelques scènes auraient suffi et auraient donné à Tu ne tueras point une profondeur dont il est dépourvu : est-ce parce que Lettres d’Iwo Jima (Clint Eastwood, 2006) est déjà passé par là ?
Le problème du film est sur ce point qu’il ne dépasse même pas sa relative platitude morale par sa teneur purement cinématographique. Les scènes de combat sont violentes, mais quelque peu brisées par des CGI ponctuellement moyens et surtout ne dépassent pas Il faut sauver le soldat Ryan, cité plus haut, dans son immersion et la transmission du sentiment de chaos. La construction même du film, fonctionnant quasiment exactement comme Full Metal Jacket (longue partie d’entraînement au pays, conditionnement, puis désillusion et perte des repères face à l’horreur de la guerre) puis comme le très bon et peu cité Hamburger Hill (le désarroi, la boucherie et l’absurdité de mourir pour la prise d’une colline) pâtit aussi d’un sentiment de déjà vu, donnant l’impression que Mel Gibson a juste livré un film de déférence au parcours du vrai Desmond (parce que c’est une histoire vraie), en ayant mis de côté ce qui fait la richesse d’un film. Et particulièrement des siens.
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