Pour les amateurs de castagne au ralenti, c’est Noël avant l’heure avec la réédition en UltraHD de Bloodsport, tous les coups sont permis (Newt Arnold, 1988) chez ESC. L’occasion de redécouvrir le premier véritable succès de Jean-Claude Van Damme chez l’Oncle Sam, vestige de la Cannon, la boite de production de Menahem Golan et Yoram Globus.
Hong Kong ne répond plus
Si l’on veut se replonger dans la carrière de Jean-Claude Van Damme à Hollywood, avant d’aborder Cyborg (Albert Pyun, 1989), Kickboxer (Mark DiSalle, 1989), Full Contact (Sheldon Lettich, 1990) ou Universal Soldier (Roland Emmerich, 1992), il faut certainement s’appesantir tout particulièrement sur Bloodsport. Comme une note d’intention à sa filmographie en devenir, Jean-Claude Van Damme y expose aussi bien sa plastique que son coup de pied létal dans une histoire désarmante de naïveté et de décomplexion eighties. Frank Dux est un soldat américain aux origines françaises qui a été entrainé toute sa vie au ninjutsu par Senzo Tanaka. Afin d’honorer son mentor, il se rend à Hong Kong pour participer au Kumite, un tournoi clandestin d’arts martiaux mixtes où tous les coups sont permis – le titre français n’était pas trompeur – pouvant même aller jusqu’à la mort. Entre deux combats, il est poursuivi par le FBI qui veut le ramener au pays parce que, vues les sommes investies sur leurs soldats d’élite, il serait dommage qu’il revienne entre quatre planches. Voilà donc un bref résumé d’un film qui ne prend pas de détours pour montrer ce qu’il à montrer : la castagne. La vraie, la burnée.
Comme on le dit souvent lorsque l’on traite de productions des années 80 – parce que cette époque était tellement désinhibée qu’elle est, plus qu’aucune autre, identifiable ! – Bloodsport est avant tout un document fabuleux et précieux sur cette décennie. Un scénario prétexte à filmer les corps. Des corps, justement, érotisés à l’extrême. Une violence rigolarde. N’en jetez-plus, le film de Newt Arnold, dont c’est là le troisième et dernier long-métrage, est un condensé de ce qui s’est fait de meilleur et de pire sous Ronald Reagan et de ce qui donnerait une crise d’urticaire à n’importe quel chroniqueur du Masque et la Plume. Il est clair que pour apprécier Bloodsport au premier degré, il faut soit être un redneck américain, soit l’avoir à cœur tel un totem d’enfance – pardon pour le raccourci offensant. Puisque ce n’est ni l’un ni l’autre pour l’auteur de ces lignes, l’angle du second degré a été privilégié pour la rédaction du présent article. D’ailleurs, le film lui-même emprunte fortement aux hits de l’époque, tels qu’une séquence de Rocky IV (Sylvester Stallone, 1985) est rejouée entièrement – celle de la mort d’Apollo Creed qui convoquait nos bas instincts de vengeance. On peut parler également du traitement des personnages féminins que Jean-Marie Bigard aurait pu écrire lui-même et qui voit la seule dame du récit être jouée dans un pari par deux montagnes de muscles qui en ont dans le caleçon. Si l’on met de côté le sexisme extraordinaire et son racisme primaire – il faut voir la représentation des combattants africains pour s’en rendre compte – le film s’avère généreux dans le domaine de la bagarre pure et dure. En effet, les combats sont filmés avec efficacité et, surtout, une propension à créer une vraie dramaturgie. Si l’on n’est pas non plus dans du grand théâtre, les enjeux se nouent et se dénouent à la faveur d’un regard de gros dur et d’un uppercut bien placé. Tous les atermoiements autour ne sont que fioritures – les deux flics aux trousses de Dux ne servent à rien sinon à impulser des scènes d’action ridicules hors du ring – et Van Damme, plus à l’aise sur la physicalité que sur son jeu, parvient à rendre consistant son personnage par cette façon de narrer l’histoire visuellement. C’est là tout l’héritage d’un cinéma asiatique qu’il n’aura de cesse de valoriser dans sa carrière : on lui doit les arrivées de John Woo, Tsui Hark et Ringo Lam à Hollywood après tout.
Et puis l’ingénuité de l’ensemble est de l’ordre de la simple satisfaction. Dans sa représentation des enjeux dramatiques, Bloodsport oppose très nettement le bien et le mal. Frank Dux est le bon samaritain gentiment macho et Chong Li, génialement drôle et impressionnant de masse corporelle, représente le méchant sanguinaire en guise de boss final. Un bad guy fortement icônisé qui s’inscrit, comme la mise en image des combats, dans une représentation similaire à celle des bornes d’arcade de l’époque. Cela ne sauve pas le jeu des acteurs, Van Damme en tête, ni même le manque de style dans la mise en scène de Newt Arnold, mais cela insuffle indéniablement un petit quelque chose qui fait traverser les décennies à Bloodsport. Et puis, les à-côtés sont également intéressants en ce qu’ils racontent des années 80 et de la façon lunaire dont certains films pouvaient être conçus. Par exemple, le long-métrage se présente comme un biopic de Frank Dux, sauf qu’il s’est avéré très rapidement que l’homme était un pur affabulateur, ce qui ne l’empêchera pas de collaborer avec Jean-Claude Van Damme jusqu’au Grand Tournoi (J.C. Van Damme, 1996), nouvelle variation sur le même thème des combats clandestins qui font mal. L’acteur, et c’est aussi ce que nous apprennent les bonus de l’édition, a d’ailleurs terminé le montage de Bloodsport après le renvoi de Newt Arnold. C’est lui qui a eu, entre autres, l’idée des ralentis ou des multiplications des coups par la magie du montage.
Tout ceci est donc documenté dans la très belle édition d’ESC. On y retrouve notamment la suite du documentaire consacré à Van Damme qui est un fil rouge que l’éditeur propose depuis quelques années. Aussi, sur Bloodsport spécifiquement, ESC présente une sélection de séquences commentées par Arthur Cauras, réalisateur spécialisé en MMA, et Mohamed Qissi, chorégraphe des cascades sur le film qui nous intéresse. Un entretien avec David Da Silva, auteur d’un ouvrage sur les muscles de Bruxelles, revient sur la conception du long-métrage. D’autres, avec David Worth, le directeur photo, ou Sheldon Lettich, le scénariste, assurent l’exhaustivité de cette belle édition. L’image et le son sont à tous points de vue magnifiquement restaurés – un des bonus permettant de visionner le film en version cassette vidéo permet de se rendre compte du gigantesque travail de restauration qui a été effectué. Bloodsport est à ce sujet proposé dans la fameuse édition « Collector VHS » qui avait déjà magnifié les ressorties d’Universal Soldier ou Chasse à l’homme (J. Woo, 1993). C’est donc une expérience quelque peu nostalgique que nous offre ESC avec cette sortie dans les bacs : une époque où l’on pouvait tout dire, tout montrer et où les poings étaient plus efficaces que tout le reste. Pour le meilleur et pour le pire…