Alien : Romulus


C’était l’une des nombreuses inconnues du rachat de la Twentieth Century Fox par l’ogre Disney en 2019 : qu’allait bien pouvoir devenir la franchise Alien, laissée pour morte avec Alien : Covenant (Ridley Scott, 2017) ? Avant la série Alien : Earth (Noah Hawley, 2025), début de réponse avec Alien : Romulus (2024), le nouveau film de Fede Alvarez. Attention spoilers.

Une silhouette de femme, vue de dos, avance dans le tunnel d'un vaisseau spatial, en contre-jour, vers une lueur qui fait penser à celle du soleil.

© Disney / 20th Century Studios

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Nous avions laissé la saga Alien dans un titre état avec le diptyque Prometheus (R. Scott, 2012) et Alien : Covenant revenant aux origines du xénomorphe. Non pas que les allitérations mythologiques de Sir Ridley Scott soient dépourvues de qualité – les deux films sont remplis d’idées de mise en scène et de plans iconiques – mais le public ayant clairement marqué un rejet de ces deux itérations, on peut facilement parler de semi-échec. En voulant élargir le lore de l’univers d’Alien et en oubliant que la puissance d’Alien, le huitième passager (Ridley Scott, 1979) résidait précisément dans ses parts de mystère, Scott signait un délire égotique et mystique. Et comme Disney aime à rassurer les fans des univers que le studio aborde – on se rappelle des featurettes sur le retour des animatroniques dans Star Wars : Le Réveil de la Force (J.J. Abrams, 2015) ou de la promo du récent La Planète des Singes : Le Nouveau Royaume (Wes Ball, 2024) qui assurait l’héritage du travail d’Andy SerkisAlien : Romulus se devait de revenir à une certaine épure pour séduire le public. En effet, le long-métrage de Fede Alvarez s’inscrit très nettement dans la continuité des quatre premiers épisodes de la saga et renoue, enfin, avec la tradition de la saga de proposer un nouveau réalisateur – et donc un nouveau point de vue et une nouvelle identité – à chaque volet.

Cailee Spaeny, en sueur et à l'affût, tient un énorme fusil dans sa main, au cœur du vaisseau spatial du film Alien : Romulus.

© Disney / 20th Century Studios

Alien : Romulus, sur la timeline, se situe entre Alien, le huitième passager et Aliens, le retour (James Cameron, 1986). La séquence introductive nous montre le Romulus & Remus, un laboratoire spatial, remettre la main sur les débris du Nostromo, dont le fameux xénomorphe du premier film. Dans un autre coin de l’espace, sur une planète minière, un groupe de jeunes dont fait partie Rain et son droïde Andy vit une existence miséreuse, réduit à une condition de quasi esclavage par la compagnie Weyland-Yutani. Ils décident de s’évader de la planète en récupérant des capsules d’hibernation présentes dans une station spatiale à la dérive : le Romulus & Remus. Sauf que, évidemment, rien ne se passera comme prévu puisque les jeunes gens goûteront à la furie de créatures en tous genres. Il y a d’emblée quelque chose d’intéressant dans Alien : Romulus dans cette façon de renouer avec l’esprit working class du film original. Les héros de cette intrigue étant des ouvriers exploités par une compagnie qui n’est pas sans rappeler les grosses sociétés de notre monde réel, nous sommes invités à côtoyer une classe sociale bien différente que dans Dune (Denis Villeneuve, 2021) ou Star Wars (George Lucas, 1977). Ça a longtemps été l’une des singularités du monde d’Alien, avant d’être mise de côté par Prometheus et Covenant, et cela a pour effet de rendre tangibles ces personnages et leurs motivations.

L’introduction sur la planète minière dénote légèrement et se rapproche, visuellement en tous cas, de Blade Runner (Ridley Scott, 1982) – on sait que le cinéaste britannique souhaitait unir ses deux univers – et induit l’idée que Fede Alvarez souhaite créer son propre style. S’il reprend le côté low tech des premiers longs-métrages et qu’il respecte à la lettre les codes esthétiques de la saga, le réalisateur uruguayen apporte une touche de modernité dans sa gestion de la tension qui passe beaucoup par des montages alternés plutôt percutants – notamment le premier chestburster qui impressionne de minutie. Sans jamais égaler la gestion du hors champ de Scott dans Le huitième passager ou la folie guerrière de Cameron dans Aliens, ce nouvel opus trace sa route dans ce que l’on appellera ici l’art du sampling. Chez Fais Pas Genre, nous avons souvent râlé contre le fan service, un outil que Disney utilise comme caution pour appâter le public souvent au détriment de l’intrigue. Mais il faut reconnaitre qu’à part quelques menus détails pas bien fins sur lesquels nous reviendront dans une partie spoiler nécessaire, avec Alien : Romulus, nous sommes dans une démarche très différente. Fede Alvarez reprend à son compte les quelques aspects les plus réussis de la franchise : un cadre temporel et une tension héritée d’Alien, le huitième passager, un côté actioner et quelques reprises d’Aliens, le retour, le contexte minier qui n’est pas sans rappeler la prison d’Alien 3 (David Fincher, 1992) et des manipulations scientifiques rappelant Alien, la résurrection (Jean-Pierre Jeunet, 1997), le mix de tous ces éléments fonctionne plutôt bien ! Aux antipodes des clins d’œil forcés de chez Marvel ou LucasFilm, on sent une sincère volonté d’unir tous les visages des films Alien – qui sont multiples – pour repartir du bon pied suite aux désillusions des prequels signés Scott.

Le Xénomorphe monstrueux du flm Alien : Romulus s'approche de la comédienne Isabela Merced, attachée par les mains et hurlant.

© Disney / 20th Century Studios

D’ailleurs, même Prometheus et Alien : Covenant sont convoqués comme pour conclure cet arc maladroit. Ce ne sont clairement pas les meilleurs moments de Romulus car ils interviennent au sein d’un dernier acte moins racé que le reste du récit, ils ont néanmoins le mérite d’embrasser l’ensemble de ce qui a été dit et fait sur la saga. Le offspring, titre déjà donné à la créature hybride entre xénomorphe et ingénieur, est une monstruosité visuelle qui, sans que l’on sache si cela est volontaire ou non, vient entériner pour de bon le sort de ces bodybuilders albinos. Autre point difficile du long-métrage, la réapparition, posthume, de Ian Holm dans le rôle d’un synthétique. C’est probablement ce qui fera le plus jaser et ce pour deux raisons. La première : il s’agit là de fan service dans le sens où c’est purement gratuit. N’y avait-il pas d’autres acteurs – vivants ceux-là – pour incarner une menace ? Alors oui, on reprend ici les acquis du premier film en se méfiant d’emblée de cet androïde qui n’est pas Ash, mais Rook, et cela fait totalement artificiel. Seconde raison, et puisque l’on parle d’artificiel, le visage CGI de cet acteur mythique est sacrément mal fait ! La texture, les mouvements de la bouche et les proportions de la tête par rapport au corps ne fonctionnent pratiquement jamais. C’est là une déception compte tenu de la qualité honnête du reste du film. On peut regretter également quelques petites facilités – encore liées au fan service – quand on fait rejouer la réplique de Sigourney Weaver – « Ne la touche pas, sale pute ! » – par un personnage absolument pas approprié, ou quelques scènes qui auraient gagné à mieux utiliser leurs cadres comme celle de l’acide en apesanteur.

Malgré ces quelques petites facilités, Alien : Romulus arrive à tirer son épingle du jeu notamment grâce à un casting impeccable. On peut citer David Jonsson dans le rôle casse-gueule d’Andy, ou Isabela Merced dont on plaint le personnage du début à la fin. C’est surtout Caillee Spaeny, que l’on a vue dernièrement dans Priscilla (Sofia Coppola, 2024) et Civil War (Alex Garland, 2024), qui épate ! La tradition de la saga qui consiste à avoir une femme en tête d’affiche est respectée et Rain, son personnage, est une alternative bien trouvée à Ripley dans la mesure où elle a d’autres desseins et n’est pas encore construite. Caillee Spaeny, à la faveur de son visage enfantin, apporte une forme d’innocence soulignée par sa relation fraternelle avec son androïde. Là où Shaw et Branson, les héroïnes de Prometheus et Covenant, étaient des pages blanches qui donnaient surtout le change au robot David (Michael Fassbender), Rain permet de ramener de l’humanité dans ce monde de brutes. Globalement, en divisant par trois le nombre de personnages du chapitre précédent, Romulus gagne en lisibilité et en intensité. On peut aussi noter que Fede Alvarez, loin des élans tripesques de son remake d’Evil Dead (2013), fait de son Alien le plus gore des sept films. Côtes explosées, mains brûlées à l’acide ou tête semi arrachée, il ne fait pas dans la dentelle et c’est tant mieux !

David Jonsson debout, les bras le long du corps, circonspect dans le long tunnel du vaisseau spatial,en forme de cylindre ; plan du film Alien : Romulus.

© Disney / 20th Century Studios

En définitive, la proposition ne révolutionnera pas la licence comme l’avait fait les deux premiers opus. Il permet toutefois à Disney d’assurer une continuité et de bâtir autour. Alien : Romulus ne nous fera pas changer notre regard sur la chronologie de la série – ce qui aurait pu être le risque en situant le récit entre deux volets majeurs – tout en s’insérant drôlement bien en son sein, un peu à l’image d’un Rogue One (Gareth Edwards, 2016) pour Star Wars. Fede Alvarez ne prend pas son audience pour plus stupide qu’elle ne l’est, et respecte le matériau de base – ce qui dans cette période de la grosse production hollywoodienne n’est pas rien – en poursuivant sa dimension érotico-horrifique. À ce titre, les métaphores sexuelles n’auront jamais été si claires. Le film ne fera pas l’unanimité – la faute à quelques scories évoquées précédemment – mais il se pourrait que l’intérêt pour Alien reparte de plus belle tant la peur et la tension paraissent être quelque peu de retour, et tant la créature originale n’a jamais paru aussi belle, loin des expérimentations récentes de Ridley Scott. Contrairement à la saga Terminator essorée jusqu’à la moelle jusqu’à l’immonde Dark Fate (Tim Miller, 2019), Alien survit plutôt bien et on attendra la série de Noah Hawley, l’impayable showrunneur de Fargo (depuis 2014), avec impatience !


A propos de Kévin Robic

Kevin a décidé de ne plus se laver la main depuis qu’il lui a serré celle de son idole Martin Scorsese, un beau matin d’août 2010. Spectateur compulsif de nouveautés comme de vieux films, sa vie est rythmée autour de ces sessions de visionnage. Et de ses enfants, accessoirement. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNJuC

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