DreamWorks n’est pas au meilleur de sa forme ces temps-ci : si l’on excepte Le Chat Potté 2 : La Dernière quête (Joel Crawford & Januel P. Mercado, 2022) qui a été une franche réussite, le studio se contente de recycler mécaniquement ses vieilles franchises avec Les Trolls 3 (Walt Dohrn, 2023) ou Kung Fu Panda 4 (Mike Mitchell, 2024). Autant dire qu’on ne s’attendait pas à ce que le salut vienne de Charlie Kaufman…
De l’obscurité plein la tête
L’association de DreamWorks et Netflix a essentiellement engendré des variations sérielles des plus grands succès du studio de Spielberg, Katzenberg et Geffen. Ainsi nous avons eu droit à des séries Dragons (Art Brown, 2012-2018), Spirit (Aury Wallington, depuis 2017) ou Baby Boss (Brandon Sawyer, 2018-2020). Les seules véritables créations originales pour la plateforme au N rouge ont été lancées par des auteurs importants comme Guillermo Del Toro avec sa superbe saga des Contes d’Arcadia comprenant les séries Chasseurs de Trolls (2016-2018), Le Trio venu d’ailleurs (2018) et Mages et Sorciers (2019). Aujourd’hui, c’est encore une fois un auteur marqué qui vient à la rescousse de DreamWorks pour un long-métrage certifié SVOD, Charlie Kaufman. Si le nom est moins populaire que celui de Del Toro, l’homme est tout de même derrière l’écriture de certains des films les plus passionnants de ses trente dernières années. On lui doit les scénarios de Dans la peau de John Malkovich (Spike Jonze, 1999), Adaptation (S. Jonze, 2002) ou Eternal Sunshine of the Spotless Mind (Michel Gondry, 2004), et la réalisation des non moins torturés Synecdoche, New-York (2008) et Je veux juste en finir (2020).
Le style Kaufman est volontairement dépressif, introspectif et de temps en temps décousu, comme une plongée, à chaque fois, dans les méandres de sa psyché tourmentée. Le voir aborder un long-métrage d’animation – ce qui n’est pas tout à fait une première puisqu’on lui doit Anomalisa (2015) – pour les enfants – là c’est une première – a de quoi intriguer. Comment allait-il pouvoir transposer ses thématiques psychanalytiques dans ce spectacle destiné à petits et grands, adapté du livre L’Enfant qui avait peur du noir d’Emma Yarlett ? Les premières minutes de La Nuit d’Orion (Sean Charmatz, 2024) répondent à toutes nos interrogations. Nous suivons le jeune Orion, élève de primaire, qui s’avère être angoissé par tout : la nuit, le contact humain, les bactéries, les clowns tueurs, etc. Un soir où il peine à s’endormir à cause de ses peurs, il reçoit la visite de Noir, l’obscurité incarnée qui lui propose de se confronter à ses angoisses en le suivant le temps de vingt-quatre heures. Par le biais du conte, Charlie Kaufman a donc trouvé la formule pour s’adresser à tous.tes et à rendre une copie moins inaccessible que ses derniers travaux.
La Nuit d’Orion aurait pu tomber dans les écueils du récit initiatique comme l’animation en livre par pelletées. Après tout, il semble à première vue recycler pas mal d’éléments de Monstres et Cie (Pete Docter, David Silvermann & Lee Unkrich, 2001) et Vice-Versa (P. Docter & Ronnie Del Carmen, 2015) du concurrent Pixar. Comme dans ces récits, la peur du monstre dans le placard et les émotions personnifiées sont des enjeux à dépasser pour le jeune héros. Mais tout l’intérêt d’avoir Charlie Kaufman à l’écriture tient au fait qu’il arrive à transcender ce postulat de départ pour arriver à rendre cette aventure originale. Si Orion se confronte aux étapes clés du conte initiatique et que le dénouement ne fait que peu de doutes, Kaufman s’emploie à rendre la narration beaucoup plus sinueuse que prévu. En jouant sur les temporalités et, du même coup, sur la transmission, il assume pleinement le statut d’allégorie de ce qui nous est montré puisque celle-ci peut évoluer au gré des échanges entre père et fille. Le scénariste déplace donc le point de vue pour re-situer les enjeux vers d’autres dimensions.
De même, s’ils sont agrémentés d’humour, les tourments d’Orion rappellent d’autres personnages kaufmaniens comme Joel, Caden, Craig ou Charlie avant lui. Orion n’est pas un simple élève de primaire, il parle comme un adulte et a une conscience aiguë des angoisses qui sont les siennes. Les échanges avec Noir deviennent alors savoureux et ceux qu’il a avec sa fille, dans une autre temporalité, rappellent les meilleurs Woody Allen. Ce point pourrait éventuellement perdre les plus jeunes mais c’est justement ici que La Nuit d’Orion s’éloigne des concurrents suscités pour affirmer son identité propre. Visuellement, le long-métrage assume ne pas vouloir révolutionner l’histoire de l’animation en déroulant un style un peu passe-partout où les characters designs, qui ne cherchent jamais un quelconque photoréalisme, rendent assez mignons et sympathiques nos héros pour faire de La Nuit d’Orion une expérience délicieuse. En s’intéressant moins à l’histoire qu’à l’importance de la raconter, le film de Sean Charmatz fait le pari réussi de s’adresser à la fois à l’enfant présent chez l’adulte et à la part de maturité chez nos chères têtes blondes. Et Charlie Kaufman, qui transpose avec une parfaite maestria ses thèmes de prédilections dans ce scénario, continue de tracer l’une des œuvres les plus fascinantes du cinéma.