Quand on parle de « bandes originales de films », le tout un chacun vaguement cinéphile cite en vrac : Hans Zimmer, John Williams et autres James Horner, accompagnés de leur cortège de superlatifs. Mais les plus connus ne sont pas toujours les défricheurs. Selon Ludovic Villard, auteur de Bandes Originales & cinéma de genre aux éditions Le Mot et le Reste, la collaboration entre les compositeurs et les réalisateurs, ce qu’il appelle « l’unification entre l’image et le son », trouve ses fondements entre Psychose (Alfred Hitchcock, 1960, musique de Bernard Herrmann) et Blade Runner (Ridley Scott, 1982, musique de Vangelis). Au travers de 100 bandes originales appartenant au cinéma de genre, l’auteur défend son propos, sortant au passage de l’oubli quelques partitions qui en leur temps ont participé à l’aspect novateur ou marquant des films dont elles sont issues. Avec subjectivité, comme tout ouvrage touchant à l’art qui se respecte.
L’évolution du score
Une copieuse introduction d’une centaine de pages dégrossit le sujet pour le novice, ou fait office de piqûre de rappel pour l’initié. Bien qu’assez décousu, ce tour d’horizon est plutôt complet. Ludovic Villard remonte aux origines du cinéma de genre jusqu’aux systèmes de projection d’images animés des dix-septième et dix-huitième siècles pour ensuite aborder l’illustration sonore des premiers films muets. Les solistes ou orchestres qui accompagnent la pellicule à cette époque jouent alors généralement des œuvres existantes ou des improvisations stéréotypées. Ce n’est que dans les années 20 que la « bande originale » proprement dite apparaît, même si un symphonisme classique semble être la règle (Villard cite entre autres Max Steine, Erich Wolfgang Korngold et Franz Waxma). Il faut attendre les années 40 pour entendre d’autres éléments musicaux comme le jazz et le folklore américain intégrer la musique de films, sous l’impulsion notamment de Elmer Berstein et Bernard Herrmann.
Au début des années 50, selon l’auteur, la science-fiction va donner une impulsion déterminante à la créativité musicale mise en œuvre dans les films. Le jour où la terre s’arrêta (1951) et l’utilisation que Bernard Herrmann fait du thérémine, et plus encore Planète Interdite (1956), avec sa partition entièrement électronique créée par le couple Bebe et Louis Barron, en sont de pertinents exemples. Lorsque Villard aborde les grands changements des années soixante, son propos se fait plus confus car il décrit à la fois la multiplication des sous-genres (giallo, blaxploitation, érotisme…) et l’arrivée à Hollywood d’influences européennes (via le néoréalisme italien et la Nouvelle Vague française) en choisissant de traiter chronologiquement chaque question. Ainsi, il se perd un peu en un va-et-vient constants dans l’histoire du cinéma, bien qu’il finisse toujours par retomber plus ou moins sur ses pieds.
La sélection de cent films qui suit ce préambule ménage le consensuel et l’audacieux. Le cinéma occidental est majoritairement représenté, mais le Japon et les pays de l’Est ne sont pas oubliés. On trouve dans ces fiches des classiques absolus des productions de genre dans toute leur variété musicale comme Les Sept Mercenaires (dont la partition a été écrite par Elmer Berstein), Le bon, la brute et le truand (Ennio Morricone), La planète des singes (Jerry Goldsmith), Bullitt (Lalo Schifrin), Shaft (Isaac Hayes), Phantom of The Paradise (Paul Williams), Les dents de la mer (John Williams), Midnight Express (Giorgio Moroder), Conan le barbare (Basil Poledouris), pour n’en citer que quelques-uns. Par ailleurs, on y redécouvre aussi des œuvres moins populaires, à la musique toute aussi singulière : Suspiria (Goblin), Les yeux sans visage (Maurice Jarre), L’année dernière à Marienbad (Francis Seytig), La planète sauvage (Alain Goraguer), Les Inassouvies (Bruno Nicolai), De sang froid (Quincy Jones), Silent Running (Peter Schiekele)… Et enfin des films beaucoup plus confidentiels sauf peut-être pour les initiés tels La jetée (Trevor Duncan), La grand-mère cybernétique (Jan Novák), Ikarie XB 1 (Zdeněk Liška), ou encore Santo et le trésor de Dracula (Sergio Guerrero) ! Certains choix peuvent s’avérer surprenant (les longs-métrages sélectionnés sont parfois loin d’être des pierres angulaires dans leurs genres respectifs) mais ils sont toujours justifiés par l’auteur, comme cette fiche entièrement consacrée aux films pornographiques de Claude Bernard-Aubert, alias Burd Tranbaree, mis en musique par Alain Goraguer sous le nom d’emprunt de Paul Vernon.
Il est toujours difficile d’écrire sur le sujet en se mettant à la place du lecteur et sans utiliser un jargon musicologique. Le Mot et le Reste s’est depuis longtemps fait une spécialité dans cet exercice en publiant des livres le plus souvent accessibles, écrits par des passionnés. Bandes originales & cinéma de genre confirme cette vocation. Pour chaque film, l’auteur commence par remettre l’œuvre dans son contexte en présentant le réalisateur et le compositeur. Quelques scènes marquantes, représentatives du film et de sa musique, sont ensuite passées à la moulinette de l’analyse, souvent en des termes éloquents, telle l’accroche d’un roman, mais qui ne peut évidemment se passer de l’écoute. Et c’est bien là le but de l’ouvrage : attiser la curiosité. Naturellement, il y a à boire et à manger dans cette sélection. Mais pour le mélomane cinéphile et curieux, cet ouvrage est une véritable caverne d’Ali Baba, car au-delà de son thème majeur – la bande son comme élément à part entière du cinéma – il corrobore que dans le septième art, on peut conjuguer « musique » avec n’importe quel terme : symphonique, électronique, concrète, expérimentale, progressive, rock, jazz, folk, world, pop… Et que le cinéma reste une terre d’accueil pour tous ces genres musicaux.