Rock-O-Rico


Grâce à la ressortie Blu-Ray de Rock-O-Rico par Rimini Éditions ce mois-ci, petits et grands ont la possibilité de (re)découvrir ce film trop méconnu de Don Bluth. L’occasion de nous rappeler le talent et l’audace de l’animateur souvent érigé en « anti-Disney ».

Le coq sosie d'Elvis Presley du film Rock-O-Rico sur scène, micro à la main.

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Coq en stock

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Voilà un certain temps que nous réfléchissons à un hommage en bonne et due et forme à Don Bluth, cet animateur et réalisateur de génie dont l’oeuvre, discrète dans la mémoire collective, n’a pour autant pas manqué de marquer toute une génération. Don qui ? Connaît pas. Le réalisateur d’Anastasia ? Le père de Petit-Pied, le brontosaure le plus attachant de tout le cinéma dans Le Petit dinosaure et la vallée des merveilles (Don Bluth, 1988) ? Aaaah… ! Rimini Éditions nous aujourd”hui donne l’occasion de revenir sur le surprenant mais réjouissant Rock-o-Rico (Don Bluth, 1991), sorti en DVD et Blu-Ray le mois dernier. Librement adapté de la pièce Chantecler d’Edmond Rostand, le film narre la fable d’un coq de ferme aussi beau qu’arrogant, convaincu que son seul rock’n’roll à l’aurore permet au soleil de se lever. Mais une nuit, son rival, le Grand Duc, un hibou qui projette de faire régner les ténèbres éternellement, lui envoie un sbire se battre contre lui. Et voici que Chantecler en oublie de chanter le matin…Et que le soleil se lève quand même. Le pauvre Chantecler devient alors la risée de la ferme et part s’exiler en ville laissant au Grand Duc le champ libre pour mener ses projets à bien. Pour éviter ça, il faut que Chantecler revienne mais il est devenu une star de rock oisive et très lucrative en ville… Chantecler est tout d’abord un personnage du Roman de Renart, avant d’être donc une pièce d’E. Rostand, puis un projet de film de Walt Disney finalement abandonné avant de se concrétiser sous la plume et le crayon de Don Bluth. Walt Disney ambitionnait en effet de produire trois séquences d’animations tirées du Roman de Renart. Or devant l’échec du alors récent La Belle au bois dormant (Clyde Geronimi, 1960) – que Disney imputa à « l’emphase esthétique » du projet – et ses doutes quant à réussir à rendre le personnage du coq « attachant », la production est abandonnée. Du travail préparatoire du film de Disney ne nous reste que les éléments repris des années plus tard pour Robin des bois (Wolfgang Reitherman, 1973). Don Bluth, animateur de 1971 à 1978 pour la firme aux grandes oreilles, a forcément vu passer le travail autour de l’adaptation de Chantecler. Il reprendra donc, plus de dix ans après, le projet en s’inspirant très librement de la pièce d’E. Rostand.

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Rock-o-Rico eu donc tout de l’anachronisme quand il sortit au début des années 90 et sans surprise le public boudera internationalement le long-métrage. Il faut dire qu’outre le fait qu’il s’agisse d’un projet sauvé des limbes de l’animation, le film comme son histoire sont marbrés de reflets vintage qui purent rebuter les spectateurs (notamment les enfants) à sa sortie. Chantecler y est en effet érigé en « king » du rock – dans une référence à peine voilée à Elvis Presley, y compris esthétique puisqu’il lui emprunte ses habits et sa mythique coiffure banane – autour de chansons fleurant bon les années 50. De plus, Rock-o-Rico  mêle des séquences en prises de vues réelles – où un jeune enfant se retrouve embarqué dans l’aventure en étant transformé en chat par le Grand Duc – dont les effets d’incrustation ont terriblement mal vieilli. Quand on pense qu’à la même époque, Disney retrouvait sa grâce en sortant coup sur coup La Belle et la Bête (Gary Trousdale & Kirk Wise, 1991) puis Aladdin (John Musker & Ron Clements, 1992), la comparaison est cruelle et participa certainement à la dépréciation du projet. Pourtant, on retrouve dans cette histoire des thèmes chers à Don Bluth et une certaine prouesse d’animation dans la manière dont sont croqués les personnages anthropomorphiques. La souplesse des mouvements et leurs exagérations confèrent un style inimitable aux personnages de Don Bluth, dont l’élasticité et les faciès déformés ont marqué – que dis-je, terrifié ! – toute une génération d’enfants. Voilà quelqu’un qui n’a pas eu peur, justement, d’une quelconque « emphase esthétique »…Cependant, si les thématiques abordées plairont à un public adulte et sensibilisé (l’orgueil, le spleen de l’artiste ou la jalousie), la narration se met constamment au niveau des enfants pour leur offrir des moments tantôt doux tantôt enlevés, une scène d’amitié succédant volontiers avec une course-poursuite au rythme effréné. Les « méchants » sont présentés comme cumulant les défauts et avec un plaisir cathartique de les voir chuter constamment.

Blu-Ray du film Rock-O-Rico édité par Rimini Editions.C’est peut-être, somme toute, le maître-mot de Rock-O-Rico : un plaisir à tous les étages. Plaisir esthétique, avec ses couleurs vives, ses pas de danse magnifiquement animés ou ses travellings véloces de l’espace à la basse-cour ; plaisir cinéphile, se plaisant à mettre en abîme le conte à travers une double narration qui va jusqu’à citer Apocalypse now (Francis Ford Coppola, 1979) dans une escarmouche aérienne menée par des hiboux ; plaisir de mélomane, enfin, en mettant en scène plusieurs séquences de pures comédies musicales. À ce titre, la version française portée par Eddy Mitchell et Tom Novembre vaut franchement le détour. Cette piste audio, comme toutes celles proposées dans cette édition, est d’une grande qualité, de même que le master proposé par Rimini, bien qu’il ne s’agisse pas pour autant d’une « qualité restauration » comme on les connaît le plus souvent dans les éditions récentes. Si la pauvreté des suppléments à de quoi décevoir, reste que la pièce maîtresse de cette édition qu’est le film lui-même mérite suffisamment qu’on y jette un œil. Allez, un dernier rock pour la route, en attendant la ressortie de Charlie mon héros (Don Bluth, 1989) cet été, qui sera un parfait prétexte vous parler plus longuement de Don Bluth !


A propos de Baptiste Salvan

Tombé de la Lune une nuit où elle était pleine, Baptiste ne désespère pas de retourner un jour dans son pays. En attendant, il se lance à corps perdu dans la production de films d'animation, avec son diplôme de la Fémis en poche. Nippophile invétéré, il n’adore pas moins "Les Enfants du Paradis", son film de chevet. Ses spécialités sont le cinéma d'animation et les films japonais. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZQHW

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