La suite du phénomène vidéoludique de ces derniers années, Cuphead, Don’t deal With the Devil n’ayant pas encore vu le jour, troquons nos manettes sans fils contre une télécommande de télévision. Netflix a de quoi faire patienter nos petits pouces avides de boutons avec cette adaptation en série des aventures du duo de tasses malicieuses dans le monde merveilleux de The Cuphead show ! (Dave Wasson, 2022), plein de légumes qui parlent et de grenouilles qui boxent
Don’t Deal with Netflix
Sorti en 2017, le jeu vidéo indépendant crée par la société MDHR Cuphead a rencontré un succès phénoménal et inattendu. De type shoot’em up, il explore les aventures de Cuphead et Mugman perdant un pari contre le Diable lors d’une partie de dés. Peu désireux de lui céder leurs âmes de petites tasses, ils concluent un pacte avec ce dernier pour récupérer diverses âmes déchues aux quatre coins de l’île. Ce sera l’occasion de se mesurer à une variété de créatures à la fois fantasques et machiavéliques qui feront perdre de réels points de vie à pas mal de joueurs sur la planète. En effet, le gameplay repose sur le die and retry, -,perdre afin d’apprendre les mouvements adéquats pour terminer le niveau – rendant fous la plupart des joueurs qui mourront et ressusciteront sans relâche pour terminer LE jeu le plus dur et le plus addictif du moment. Outre sa difficulté monstrueuse, son succès repose également sur l’originalité des graphismes très années 30, surfant sur une nostalgie rassurante qui rend hommage autant aux tous premiers dessins animés Disney qu’à Max Fleischer. Combiné à une jouabilité très fluide et des règles simples, il n’en fallait pas plus pour en faire la nouvelle coqueluche vidéoludique. Fort de son succès, il était évident que le studio n’allait pas en rester là. Prenant son temps pour peaufiner une suite – on espère – tout aussi renversante, MDHR confie les droits à Netflix qui affirme en 2019 vouloir en faire une série. Un pari plutôt risqué car si l’univers graphique se prête complètement à une adaptation animée, tout reste à inventer coté scénario et caractérisation des personnages principaux et secondaires. Comment transformer les aventures de deux tasses se résumant à combattre des boss à la chaîne en une histoire construite et intéressante ? Et surtout, à quel public se destine la série ? Aux fans hardcore du jeu qui n’ont plus l’âge de regarder des dessins animés ou à un jeune public probablement hilare devant une théière qui parle mais qui ne réussirait jamais à passer le premier niveau ?
Si le fil rouge de la narration reste la confrontation entre le diable et notre duo de tasses facétieuses, chaque épisode raconte sa propre histoire dans laquelle les protagonistes vont faire la rencontre de différents personnages, appartenant au jeu ou non, qui vont les conduire à vivre de petites aventures émancipatrices. Dès le début, le ton semble se conformer à un jeune public. L’écran est bombardé de gags visuels assez basiques qui feront probablement rire les petits mais qui laisseront les plus âgés de marbre. La faute surtout à un dessin trop sage, presque trop propre, plus proche des standards d’aujourd’hui que du charme rétro et des couleurs pastels du jeu. L’animation semble trop en retenue pour illustrer l’histoire farfelue de deux enfants à tête de tasse habitant avec leur papy théière au milieu de grille-pain et d’hippopotames qui parlent. Là ou les dessins animés de Max Fleischer exploraient le plein potentiel d’un imaginaire délirant associé à une animation irréprochable, The Cuphead Show (Dave Wasson, 2022) fait le choix de récréer des situations trop routinières, sapant une animation et des personnages qui devraient être totalement loufoques. L’ambiance enfantine commence à se fissurer petit à petit à partir du quatrième épisode où un humour plus cynique fait son apparition. Le récit bascule soudainement dans des situations plus sombres, comme l’épisode Six pieds sous terre narrant un quiproquo effrayant, à l’ambiance plus proche d’un dessin animé de Tex Avery que d’un Disney. L’humour se fait aussi plus verbal et moins visuel, illustrant des situations absurdes qui largueront par contre complètement les plus jeunes. Ne visant pas un public défini, les différences de ton entre les épisodes crée un trop grand décalage, rendant le spectateur perplexe quant aux enjeux de la série. C’est là toute la difficulté d’adapter un jeu vidéo qui repose uniquement sur ses graphismes et son gameplay : ce qui le rendait attrayant ne peut être répliqué dans un contexte feuilletonesque. La série doit donc se contenter d’un cadre visuel prédéfini et strict tout en inventant une identité propre aux différents personnages, seulement bornés à attaquer nos héros dans le jeu. Toutes ces contraintes et l’absence de position quant au choix du public aboutissent à une narration décousue, reflétant un univers et des personnages pas encore tout à fait au point.
Que les joueurs ne s’attendent donc pas à retrouver l’atmosphère des combats « endiablés » du jeu vidéo, Cuphead et Mugman n’ayant aucun pouvoir particulier, passant plus leur temps à fuir qu’à se battre. Par contre, beaucoup de boss qui ont donné des sueurs froides aux meilleurs joueurs feront leur apparition sur quelques épisodes, tels que les grenouilles boxeuses Ribby et Croaks ou les légumes géants du Root pack. Ces épisodes fan service ne sont souvent qu’une excuse pour permettre une confrontation entre les héros et leurs antagonistes, faisant rarement progresser l’intrigue. Pas très utile pour les non-initiés pointus en animation qui pourront malgré tout briller en société en discernant certaines références directes à de grands classiques, comme avec l’épisode Les fantômes n’existent pas illustrant une chorégraphie endiablée de squelettes digne de The Skeleton Dance (Walt Disney, 1929) tiré de la série de films des Silly Symphony. Ces nombreuses compositions musicales rythmant chaque épisode tentent quant à elles de renouer avec les sublimes musiques du jeu, jazzys et volontairement vieillies qui accompagnaient parfaitement l’action nerveuse des combats. Mais ils n’y parviennent jamais vraiment, les mélodies restant discrètes et les chansons plutôt fades. Mention spéciale tout de même au générique d’introduction, petite chanson joyeuse et entraînante qui donne envie de bouger les hanches à la manière de Mickey Mouse conduisant son bateau dans Steamboat Willie (Walt Disney, Ub Iwerks, 1928). En attendant une saison 2 qui promet une plus grande implication dans l’histoire à la vue du dernier épisode, profitons-en pour redécouvrir les indémodables chefs-d’œuvre qui ont inspiré le jeu. Parce qu’on en a jamais assez de voir Betty Boop nous faire des clins d’œil suggestifs ou Mickey diriger une fanfare complètement foutraque. Ou alors recommencez le jeu vidéo depuis le début. Non ? J’en étais sûre… Petits joueurs.