Disponible depuis le 30 octobre en exclusivité chez notre partenaire Shadowz, Depraved (Larry Fessenden, 2019) transpose le mythe de Frankenstein à l’époque contemporaine avec de gros défauts, sans pour autant être une énième adaptation ennuyeuse.
Rafistolage à Brooklyn
Larry Fessenden est, le moins qu’on puisse dire, un cinéaste assez prolifique et ce malgré un certain anonymat en France. Réalisateur de films et séries – son dernier long-métrage Beneath remonte à 2013 – mais aussi acteur – on l’a vu notamment dans You’re Next d’Adam Wingard en 2011 pour n’en citer qu’un – et scénariste – il a par exemple œuvré sur le jeu vidéo Until Dawn en 2015 – il est aussi à l’origine du clip Frankenstein Cannot Be Stopped, hommage musical au film réalisé par James Whale en 1931. À l’évidence passionné par l’œuvre originale de Mary Shelley, le cinéaste prolonge son intérêt pour le mythe de Frankenstein qu’il transpose aux temps modernes dans ce Depraved. Le film s’ouvre sur une scène d’amour entre Alex et Lucy avant que le couple ne se dispute et qu’Alex quitte en colère l’appartement. Ce dernier se fait poignarder peu après dans la rue… Un homme se réveille ensuite dans un laboratoire, des cicatrices lui recouvrent le corps, des membres provenant de différentes personnes ont été cousus entre eux. Si on se demande immédiatement quelles parties appartiennent au pauvre Alex, on comprendra bientôt que c’est son cerveau qui a été greffé à cette “créature”. Cette créature rencontre son géniteur, Henry (David Call), vétéran de la guerre au Moyen-Orient reconverti en scientifique fou. Baptisé Adam, – on l’a pas vu venir, celle-là – cet humain composite réapprend à parler, lire et faire des puzzles sous le regard étonnamment bienveillant du docteur. Expérience mégalomaniaque ? Recherche médicale ? Quelle est donc la relation entre la figure du père et son fils monstrueux ? Traumatisé par la guerre, Henry s’est lancé dans le projet de ramener les morts à la vie, soutenu par son meilleur ami Polidori – incarné par Joshua Leonard qui a fait ses débuts dans Le Projet Blair Witch en 1999 – qui espère bien capitaliser sur la réussite de l’expérience dans un but pharmaceutique. Sauf qu’à force de s’attacher à Adam, Henry n’est soudainement plus si sûr de vouloir l’utiliser comme cobaye…
Le roman culte écrit par Mary Shelley et publié en 1818 étant un récit enchâssé à focalisations multiples, on a l’impression que Larry Fessenden a voulu reproduire ce même schéma narratif dans son long-métrage. Déjà compliqué en littérature, le récit enchâssé est encore plus délicat au cinéma car il implique un changement de tonalité qui peut déstabiliser le spectateur : c’est clairement le cas dans Depraved où l’alternance entre les points de vue d’Henry, de Polidori et d’Adam donne véritablement le tournis, si bien qu’on se croirait en présence de trois films différents qu’on aurait rassemblés à la manière de… Frankenstein lui-même ! En réalité, on tombe plutôt dans une psychologie de comptoir, simplifiée à outrance, où les personnages passent de clichés en clichés. Comment être convaincu par Polidori prêt à tout pour l’argent et la gloire, ou par Henry qui se repent soudainement d’avoir découpé des gens en morceaux ? Seul le personnage d’Adam – joué par Alex Breaux et son physique parfait pour le rôle – connaît un développement intéressant en raison de cette greffe de cerveau : au fur et à mesure qu’il réapprend à vivre, il recouvre aussi la mémoire de sa vie passée, celle d’Alex donc, redécouvrant son amour pour Lucy. Dommage que le réalisateur ne se concentre pas davantage sur cet aspect du récit qui aurait certes dérogé à l’histoire originale mais aurait donné un nouveau sens au mythe de la créature rafistolée. On finit inévitablement frustré par le manque de profondeur général malgré les bonnes idées distillées dans ces deux heures d’un long-métrage qui auraient pu laisser le champ libre à une plongée plus conséquente dans l’esprit de son personnage principal.
Esthétiquement parlant, Depraved ne cache pas son ambiance de série B assumant son image granuleuse, ses lumières jaunâtres, et ses références explicites au roman de Mary Shelley et au film initial de James Whale, autant dans l’import des noms des personnages que dans la mise en scène et la trame narrative. Dans un style visuel proche du délire psychédélique, qu’on aime ou qu’on déteste, les effets de superpositions et de fondus imitent les synapses du cerveau d’Adam qui essaient de relier les points les uns avec les autres, au même titre que le spectateur qui essaie de comprendre où le film veut/peut en venir. Avec une démarche et un propos humaniste assez malvenus dans ces circonstances, Larry Fessenden mêle syndrome post-traumatique, ego sur-dimensionné et compassion pour un résultat qui manque malheureusement de cohérence. En comparaison, difficile de ne pas penser à Splice (Vincenzo Natali, 2009) qui assumait jusqu’au bout son propos quitte à en devenir franchement malsain, là où Depraved ne met qu’à moitié les pieds dans le plat. Il n’en reste pas moins une relecture divertissante d’une histoire qu’on croyait usée jusqu’à la corde, vue et revue, mais qui pourrait encore réserver son lot de surprises et de ré-interprétations.