Initialement prévu pour les salles obscures, le premier film du romancier et scénariste Jérémie Guez, intitulé Bluebird et battant pavillon chez The Jokers, s’offre une sortie directement en VOD. Idéal pour ne pas passer à côté de ce faux revenge movie mais vrai thriller.
L’Heure Bleue
Ce n’est pas la première fois que le nom de Jérémie Guez apparaît sur Fais Pas Genre ! Romancier à succès et scénariste, on lui doit notamment d’avoir co-signé les scripts de Sparring (Samuel Jouy, 2017), La Nuit a dévoré le monde (Dominique Rocher, 2018) ou encore Rebelles (Allan Mauduit, 2019). Voici donc une autre citation, mais cette fois-ci en tant que réalisateur pour son premier long-métrage Bluebird, qui devait sortir sous un titre initial plus éloquent Tu ne tueras point. Jugez par vous-même : Danny, fraîchement sorti de taule, aspire à une vie tranquille. Mais il en est brutalement extrait quand Clara, la fille de sa logeuse, est victime d’un viol. Danny comprend rapidement que la jeune fille est en manque de repères, elle dont le père est absent depuis trop longtemps à cause de son incarcération pour des raisons qu’elle ignore. Alors, lorsqu’il est témoin de l’agression de Clara, ses anciens démons refont surface et il se mettra en tête de « sauver » la jeune fille, quitte à commettre (de nouveau ?) l’irréparable… Cette ligne narrative simple est le fruit de l’adaptation du roman noir L’Homme de la plonge (Dannie M. Martin, 1999), un livre que Jérémie Guez a découvert pendant son adolescence et qu’il rêvait de mettre un jour en images. Le ton est posé, le monde décrit sera violent, tragique et pessimiste. Ce matériau de base est la promesse de personnages complexes et d’une atmosphère lugubre et léchée qui prendrait le pas sur l’intrigue.
De ce côté-là, Bluebird remplit ses engagements. La lumière de Dimitri Karakatsanis, les cadrages choisis, tout autant que l’ambiance entre chien et loup révélatrice de la zone grise dans laquelle se trouve Danny sont particulièrement opérants. Il se dégage un charme simple de cette image flirtant (et c’est un compliment !) avec cette teinte si spécifique entrevue dans la direction de photographie de certaines série B. Les actrices et les acteurs (grâce soit rendue à Roland Møller, l’interprète de Danny, qui porte le film sur ses épaules) sont tous justes dans des registres qui pourraient pourtant très vite tomber dans le pathétique. Et pourtant… Cette histoire qui prend son temps peine à pleinement nous convaincre. Est-ce la volonté de déjouer les codes éculés du revenge movie qui embourbe irrémédiablement le récit dans cet ersatz de (mauvaise) chronique sociale ? Ou alors le mutisme de Danny qui intrigue au début pour finalement exaspérer quand il s’agira de comprendre plus finement la psyché du personnage ? Car le film réduit ses protagonistes à de simples figures, dont les tenants et aboutissants psychologiques se révèlent finalement assez faibles. Bien que l’interprétation sauve la mise, on avoue avoir eu du mal à s’intéresser à Danny, Clara et Laurence (la mère), dont les histoires semblaient pourtant propices à un développement plus poussé.
Ainsi vidé de sa substance, le film enchaine les belles images et les effets de mise en scène qui ne trouvent qu’un faible écho dans les portraits qu’il tente de brosser. Si les films et les genres auxquels se réfère Jérémie Guez nous plaisent et nous parlent (les films de yakusas et leur code de conduite, les vigilante movies, etc.), il manque à Bluebird une certaine emphase et, disons-le, un petit grain de folie qui donnerait une saveur supplémentaire à cette adaptation. À l’heure où le réalisateur finalise son deuxième film, Sons of Philadelphia, avec Matthias Schoenaerts et Ryan Philippe, gageons que ce premier essai lui permettra en tout cas de faire entendre sa voix, et puisse augurer, à l’avenir, de belles choses pour le renouveau du thriller.