Certainement l’un des réalisateurs de films d’animations contemporains les plus intéressants, le nom de Masaaki Yuasa n’est pas forcément très connu du grand public. Une erreur à réparer de toute urgence avec l’un de ses projets les plus accessibles et paradoxalement, les plus parlant quant à son style.
Les jeux de l’amour et du hasard
Il y aurait pléthore d’adjectifs plus ou moins pertinents et triviaux pour qualifier l’esthétique et la narration chez Masaaki Yuasa. Radicale, foutraque, psychotrope, labyrinthique, ou encore décharnée… L’énumération pourrait durer encore longtemps. Et loin d’être un défaut, c’est le signe que le style de Yuasa lui est profondément singulier. Il faut voir alors chacun de ses travaux ou de ses séries comme une porte d’entrée vers son univers. Libre alors au spectateur profane de choisir quel type d’entrée lui conviendrait le mieux. Il y a des entrées timides, plus accessibles, où le style de Yuasa est perceptible sans être total, comme Lou et l’Île aux sirènes (2017), voire très timides comme Ride Your Wave (2019). D’autres entrées plus frontales font l’effet d’uppercuts comme les séries Ping Pong (2014) ou Devilman Crybaby (2018) tandis que certains sont des chocs ésotériques fous et sinueux, comme Mindgame (2004) ou The Tatami Galaxy (2010) – certainement son chef-d’œuvre.
Dans ce tout, riche en expérimentations et symboliques, The Night Is Short, Walk On Girl constitue certainement la meilleure entrée en matière dans le monde farfelue de son réalisateur. Il y a en premier lieu, son scénario certes simple, au cœur d’une narration chaotique. Le temps d’une longue nuit, un étudiant connu sous le nom du « Senpai » cherche par tous les moyens à créer une rencontre fortuite avec « la fille aux cheveux noirs » dont il est amoureux. Une soirée très riche en évènements improbables, entre torrents d’alcools, recherche de livres pour enfants, épreuves amoureuses incongrues, théâtre de guérilla et rhume terrassant. Le spectateur navigue entre « la fille aux cheveux noirs » et le Senpai au gré de leur nuit que tout oppose. Une situation ultra-classique – la rencontre amoureuse préméditée parce que coup de foudre – est ici tournée en ridicule. Les péripéties imprévisibles et les piques de Senpai envoyées au fil du scénario raillent avec humour le genre. Assurément bizarre, mais loin d’être idiot, The Night Is Short, Walk On Girl est avant tout un film sur la rencontre amoureuse et son caractère hasardeux. La coïncidence et le destin sont le moteur inefficace et absurdement alambiqué de Senpai pour séduire, faute d’un immense manque de confiance en soi, tandis que « la fille aux cheveux noirs » poursuit avec insouciance et épanouissement sa nuit.
La connexion avec l’œuvre de Yuasa la plus évidente passe par l’esthétique du long-métrage. Comme dans la majeure partie de ses projets, certains corps sont improbables, les mouvements désarticulés, comme une volonté de faire fit de l’anatomie de ces personnages. Les gorges se gonflent comme des mentons de grenouilles lorsqu’ils boivent avec euphorie, les dos se plient en angle droit pour danser. Ajouté aux effets de perspectives, aux compositions et aux mouvements de caméra, le film a des allures de transes hallucinatoires décomplexées. Une sensation amplifiée par la profusion de couleurs et d’animations différentes qui poursuivent la seule justification à ce ton insouciant vis-à-vis des conventions narratives et visuelles : la recherche de sensations pures, propre à Masaaki Yuasa. Dans ses longs-métrages et ses séries, les règles d’animations sont mélangées, brisées pour nourrir un plaisir constant de la découverte. Les travaux de Yuasa sont imprévisibles, ils poussent à l’émerveillement. Ces caractéristiques de son style, que l’on trouve dans The Night Is Short, Walk On Girl paraissent en revanche pour les connaisseurs des œuvres de Yuasa, plus « légères ». En cela, le film est une excellente introduction au « style Yuasa », mais il y a une indéniable sensation de redite avec The Tatami Galaxy. La filiation entre les deux œuvres est certainement voulue, à tel point que tous les personnages principaux de The Tatami Galaxy se retrouvent plus ou moins inchangés dans The Night Is Short, Walk On Girl. Il en est de même pour sa narration, labyrinthique, étirée, volontairement confuse. The Tatami Galaxy est une transe grandiose de douze épisodes sur la confiance en soi et la recherche amoureuse, se répétant à la manière d’un cartoon. The Night Is Short, Walk On Girl souffre de la comparaison, son rythme et sa durée ne peuvant rivaliser avec ce que propose la série. Malgré cela, ce dernier reste une belle réussite, une superbe porte d’entrée dans la bizarrerie de Masaaki Yuasa et une formidable invitation à découvrir sa « version ultimate » que représente donc, The Tatami Galaxy.