Après une saison 1 très ambitieuse, que nous avions jugée formellement solide mais un peu trop gourmande (voir l’article), HBO nous propose une saison 2 dans la pure lignée de ses premières intrigues. Si les qualités sont toujours de la partie, les défauts aussi, et ce n’est pas peu dire. A l’occasion de sa sortie en blu-ray, refaisons un tour dans ce parc d’attractions un peu trop sensationnel.
Le syndrome Memento
Jonathan Nolan, frère de Christopher, a débuté sa carrière de scénariste par l’écriture du culte Memento (Christopher Nolan, 2000), dans lequel il déploie une virtuosité narrative due à un jeu subtil sur la temporalité. Il fera ensuite sa marque de fabrique des scénarii alambiqués remplis de twist, particulièrement adaptés à la série d’ailleurs, domaine dans lequel il rencontrera le succès avec Person of interest (2011) puis Westworld. Avec cette dernière, et grâce aux moyens colossaux dépensés par HBO pour la produire, il avait pu s’en donner à coeur joie pour parsemer son intrigue de mystères, de personnages complexes et surtout de twists. Le principal enjeu était donc de nous révéler qu’à l’instar de Memento, la série décrit deux temporalités différentes, qui se rejoignent par le personnage de l’homme en noir, impeccablement interprété par Ed Harris. Sombrant tour à tour dans des trips philosophiques, méta, du sensationnel, et construisant un labyrinthe narratif (au littéral comme au figuré d’ailleurs), Jonathan Nolan avait eu les yeux très gros, à l’image de ses moyens, au risque de perdre un peu le spectateur en cours de route.
Cette saison 2 démarre donc immédiatement après les derniers évènements de la première. C’est à dire au moment où l’on assiste à un soulèvement des machines après la mort de leur papa, Robert Ford (Anthony Hopkins). Après un bref teasing d’un potentiel monde alternatif se passant au japon Féodal (le fameux SW : Samouraï World), nous étions laissés dans le chaos environnant. Débute dès lors une succession d’intrigues ou le personnage de Bernard est omniprésent. On se rend bien vite compte que l’histoire se déroule une fois de plus sur plusieurs temporalités, mais elles sont cette fois morcelées. L’idée de la première saison était de nous cacher cette double temporalité, un procédé narratif qui était brillamment mené et ne nuisait pas tellement à la compréhension globale. Le spectateur se disait qu’il comprendrait surement plus tard comment les deux histoires se rejoignent. Sauf qu’en assumant le parti pris de cette même double temporalité dans la seconde saison, Nolan rajoute à une intrigue, déjà étroitement ficelée et complexe, un questionnement supplémentaire au spectateur : à quelle époque se passe ce que je suis en train de regarder ? Et c’est par ce simple questionnement ouvert que Nolan perd littéralement le spectateur. Dès lors plusieurs problèmes surgissent : l’empathie envers les personnages s’épuise, car on a du mal à suivre leur cheminement. On apprend que Dolores voue désormais une haine sans bornes à l’humanité, et souhaite la détruire, là où elle nous apparaissait comme innocente dans la saison précédente. Nolan essaie tant bien que mal d’y répondre par l’usage de flashbacks sur le passé douloureux de chacun, mais cela nous paraît bien souvent assez superficiel. Quoi de plus étonnant pour des êtres dont la vie a été littéralement scénarisée…
Au final on a bien de la peine à suivre Nolan dans son labyrinthe temporel de questionnements métaphysiques sur l’avenir de l’espèce humaine, tout autant que dans son discours autour de l’humanité débordante mais artificielle dont font preuve les machines. Même si l’on parvient à saisir le propos général, on ne peut s’empêcher de penser à la fin du dernier épisode “à quoi bon ?”. A force de semer la confusion dans l’esprit du spectateur, le perdre dans des questionnements pour mieux le surprendre par des twists, celui-ci assiste à un spectacle bien froid et distancié. L’émotion laisse place au sensationnel, mais le sensationnel s’épuise assez vite au profit d’un certain agacement. En regardant Westworld – Saison 2 (Jonathan Nolan, Lisa Joy, 2018) on a l’impression d’être dans un avion en proie à de multiples turbulences à destination d’une île paradisiaque. Mais à force d’être ballotté dans tous les sens, on arrive pas à apprécier la vue à travers le hublot, et on en vient à se demander si ce voyage était vraiment une bonne idée… Et c’est vraiment dommage car la série reste formellement sublime. Sa direction artistique en terme d’univers, de décors, et surtout de casting, est irréprochable. Jeffrey Wright se révèle une fois encore véritablement touchant, et c’est vraiment grâce lui que l’on réussira à ne pas quitter le navire en cours de route. C’est également un tragique constat que l’on fait de l’introduction des nouveaux mondes tant attendus, le Samuraï World et le Raj World (l’Inde colonialiste) nous paraissant bien fades, tellement le train effréné de l’intrigue les survole et nous empêche de pleinement les apprécier. Pour rendre hommage et faire suite à la comparaison de la très inspirée Marie Bortolotti dans l’article qu’elle avait consacré à la saison précédente, la saison 2 de Westworld est un plat de spaghettis gastronomique, avec huile de truffe, viande de grison, parmigiano reggiano, safran et caviar Beluga, que l’on engloutirait rapidement, ingrédient par ingrédient, sans vraiment respecter d’ordre. C’est vrai que ça avait l’air plutôt bon, mais on se demande si, au final, on est pas passé à côté du plat.