Downsizing


Au regard de sa bande-annonce, le nouveau film de Alexander Payne, Downsizing (2018) avait tout d’un film qui fait pas genre. Retour sur cette fable écolo qui revisite l’un des motifs les plus éculés du cinéma de science-fiction : la miniaturisation.

Petit Film 

Qu’on se le dise, habitué d’un certain cinéma indépendant américain, Alexander Payne n’a pas tout à fait le profil d’un réalisateur qui fait pas genre. Aussi, l’annonce du projet Downsizing en 2009 – mis de côté par le réalisateur pour tourner The Descendants (2011) puis Nebraska (2013) – avait de quoi nous faire sourciller tant on ne s’attendait pas à voir Payne s’atteler à un sujet qui semblait plus taillé pour un Tim Burton ou un Steven Spielberg. L’histoire se déroule dans un futur très proche, la surpopulation est la cause de tous les maux de notre planète et le réchauffement climatique menace la survie de l’espèce. Pour contrer cette fatalité des scientifiques ont mis au point un processus révolutionnaire, le Downsizing du titre, qui permet de réduire les humains à une taille d’environ douze petits centimètres. En plus de faire une bonne action pour l’écologie et la survie de l’espèce humaine – moins d’émission de CO2, moins de déchets, moins de nécessité énergétique – les candidats au rétrécissement comprennent surtout que c’est là l’occasion d’élever considérablement leur niveau de vie. Car oui, si dans le monde des petits, une bouteille d’eau représente plusieurs milliers de litres, il en est de même pour les dollars. C’est donc biaisé par ce rêve d’une vie meilleure que Paul Safranek – incarné par un Matt Damon, toujours impeccable quand il s’agit de jouer l’américain moyen – et sa femme décident de franchir le pas, pour le meilleur et pour le pire.

Sur le papier, le pitch du film a tout pour nous séduire et au regard de sa bande-annonce, l’univers déployé par Alexander Payne – en premier lieu sa direction artistique – paraît foisonner d’idées visuelles et s’amuser comme un fou du jeu des échelles. Il faut dire que le motif du rétrécissement est une récurrente dans le cinéma de science-fiction américain. Si tout le monde se rappelle bien entendu du culte L’Homme qui rétrécit (Jack Arnolds, 1957) on peut citer aussi d’innombrables films dont Docteur Cyclope (Ernest B. Shoedsack, 1940) dont on vous avait déjà parlé, ou Attack of the Puppet People (Bert Gordon, 1958), Les Aventures de Tom Pouce (George Pal, 1958), Le Voyage Fantastique (Richard Fleischer, 1968) ou d’autres films plus récents tels que L’Aventure Intérieure (Joe Dante, 1987), Chéri j’ai rétréci les gosses (Joe Johnston, 1989), Le Petit Monde des Borrowers (Peter Hewitt, 1996) mais encore la saga Arthur et les Minimoys (Luc Besson, 2006-2010) ou le Marvel Ant-Man (Peyton Reed, 2015). Les quinze premières minutes de Downsizing réveillent avec beaucoup de malice le charme de cette science-fiction à l’ancienne, tout en ré-inventant les codes sous le prisme de problématiques et de techniques scientifiques ré-actualisées. Ravissement, l’univers déployé par Payne opposant le monde des grands à celui des petits – Disneyland nouvelle génération, standardisé, où l’on vous promet l’american way of life en version smaller than life – rappelle de par son esthétique mais aussi le ton employé les meilleurs œuvres de Tim Burton qui harponnaient la standardisation banlieusarde américaine façon Desperate Housewives, à savoir en vrac, Edward aux mains d’argent (1990) ou Big Fish (2003).

Malheureusement, passées ces quinze premières minutes, le film ne tient déjà plus toutes ses promesses et ne sait plus vraiment sur quel pied danser. La faute à un rebondissement arrivant beaucoup trop tôt – la femme de Matt Damon refuse au dernier moment le rétrécissement et laisse le héros seul, désœuvré, dans ce nouveau monde – et dont les répercussions sont trop expéditives (spoiler : ils divorcent dans la foulée et elle ne reviendra plus durant tout le reste du film). Dès lors, Alexander Payne abandonnera l’idée génial de confronter deux mondes l’un avec l’autre, celui des grands et des petits, en refusant de faire se confronter le naïf mari à sa pragmatique femme. Refusant de se coltiner ce qui semblait être son premier sujet – la survie d’un couple quand l’un fait douze centimètres et l’autre un mètre soixante dix – Downsizing se noie dans une narration trop éclatée, qui cherche à traiter de plein de choses sans vraiment y parvenir. Ainsi, son discours se teinte d’un idéalisme parfois malaisant et manichéen, débordant tantôt d’un humanisme surfait et tantôt d’un optimisme de doux rêveur, transformant Matt Damon en héros d’un ersatz de fable à la Capra. La parabole du monde moderne a beau être aiguisée – les puissants se miniaturisent dans le but de faire encore plus de profits dans ce nouveau monde qui leur apparaît être un nouveau terrain de jeu économique – et parfois grinçante – le personnage de Damon découvre vite l’existence de bidonville en périphérie de Leisureland, la ville miniature dans laquelle il vit – le film n’échappe pas aux clichés lorsqu’il s’agit de maltraiter ses personnages secondaires, de Christoph Waltz incarnant un buisnessman ignoble et qui cabotine comme jamais en passant, surtout, par ce personnage vraiment gênant d’une vietnamienne, miniaturisée contre son grès par le gouvernement de son pays parce qu’elle était une opposante farouche au régime. Insupportable, mal-élevée et rustre, le personnage est en grande partie responsable de l’échec du film tant elle est une caricature gênante du personnage asiatique comme on ne devrait plus en voir aujourd’hui. Son histoire d’amour avec le héros peine à toucher et caractérise à elle seule l’échec du film à traiter son véritable sujet, son high concept en or. De divagations en divagations, la fable s’échouera même en Norvège, à tenter de faire voler en éclat l’idéal hippie d’une communauté autarcique de néo-lilliputiens vivant comme des Amishs. Le discours de Downsizing, en toile de fond, n’est pas aussi optimiste que ne le laisse penser la grande majorité de nos confrères, mais bien au contraire assez moraliste et pessimiste sur la faculté de l’humanité à fabriquer des modèles de société justes et équitables. Dans son derniers tiers, le discours de Alexander Payne rappelle donc d’avantage celui de Problemos (Eric Judor, 2017) qui avait quant à lui réussi à transformer ce constat neurasthénique en satire grinçante et rigolarde. A défaut de parvenir à nourrir son récit d’un mordant comique et échouant complètement à réactualiser la fable optimiste façon Preston Sturges ou Frank Capra, Payne condamne Downsizing à n’être rien d’autre qu’un petit film.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

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