Une fois n’est pas coutume, Fais Pas Genre zyeute l’édition DVD d’un téléfilm qui a, d’après la légende, traumatisé toute une génération de jeunes spectateurs des 70’s : Le triangle du diable, avec Kim Novak.
Pince-mi tombe à l’eau
Le dimanche 4 février 1979, à 18h10, les bambins de la France giscardienne cessent de faire jouer leurs voitures sur la moquette du salon pour regarder en famille le traditionnel téléfilm de la fin de journée. Ce moment de communion dominical aurait dû être un parmi tant d’autres qui n’ont laissé qu’un vague souvenir, surtout après le repas de famille toujours trop lourd du dimanche midi. C’était sans compter sur la propension des programmateurs de TF1 à s’en battre les couilles à cette époque-là, ou alors de leur problème d’addiction au LSD lorsqu’il ont bel et bien programmé Le triangle du diable à une telle heure édité pour la première fois aujourd’hui par Showshank Films. Mindfuck total pour la télévision de diffuser à une heure de grande écoute, dans un créneau familial, un long-métrage fantastique dont les thématiques et la noirceur (si, si) ont pu en effet secouer les gosses d’alors. Réalisé avec de bonnes idées ponctuelles, d’autres vieillottes, sérieusement mais sans coup d’éclat par Sutton Roley, téléaste avant tout, il n’y a pourtant pas vraiment grand monde dedans qui peut exciter le chaland, si ce n’est la relative présence d’un Doug McClure…Que vous ne connaissez pas puisque vous confondez avec Troy McCulre des Simpsons, mais surtout celle de Kim Novak, la Madeleine du chef-d’œuvre absolu Sueurs froides (Alfred Hitchcock, 1958).
Pour le spectateur qui met la galette dans son lecteur DVD en 2016, une longue incompréhension peut s’installer durant la très grande majorité du film. Indéniablement, Le triangle du diable ne présente pendant 1h5 (sur 70 minutes à peu près) rien qui justifie sa réputation traumatisante, même en se replaçant à l’époque de sa réalisation/diffusion. L’intrigue est certes assez digne d’intérêt, jouant sur le mythe du triangle des Bermudes (à la mode dans les 70’s) et nous présentant la découverte par deux secouristes en mer d’un bateau jonché de cadavres, avec seulement une survivante, Eva, jouée par Kim Novak. L’un des deux secouristes passe une nuit avec Eva pendant que l’autre va chercher des renforts, et c’est donc à lui qu’elle fait son récit, par la forme de flash-back : en gros, c’est une pute, qui était sur le bateau avec un de ses vieux clients, lorsqu’ils ont vu un pauvre prêtre égaré dans les flots, puis après y a eu une galère, des éclairs, une tempête, et tout le monde est mort, sauf elle. Ce serait très simple, quoi qu’un peu pas de chance que tout un équipage soit décimé, si le fait d’être dans ce triangle maudit et avec un prêtre à bord n’était pas le terreau idéal pour discuter du vrai sujet du film : la foi et par conséquent l’existence de Dieu et du Diable, liés. Le conflit entre le rationalisme et la croyance est poussé à son illustration scénaristique lorsque le secouriste, pour parer aux angoisses métaphysiques d’Eva qui pense qu’une malédiction a causé la mort de ses compères, trouve une raison rationnelle à chacun des décès survenus sur le bateau. Et en effet, à nous spectateurs, tout nous paraît plausible après son explication, sans avoir à faire appel à des esprits maléfiques ou le Diable en personne…Jusqu’à une conclusion très noire et ouvertement fantastique qui renverse tout le système de croyance du film, quasi-jumelle de l’immense et beaucoup plus récent The Strangers (Na Hong-jin, 2016). Pas trop mal écrit mais mal équilibré voire redondant parfois, Le triangle du diable repose tout entier surtout sur l’audace narrative de ce twist final auquel il ne manque qu’une vraie séquence d’effet spéciaux pour égaler son homologue coréen dans un nihilisme vraiment désespéré, et ainsi donne une toute autre dimension à ce qu’on imagine n’être qu’un simple téléfilm.
Jouant volontiers sur la carte de la nostalgie, l’éditeur propose en bonus le générique de l’époque, c’est à dire exactement le même que celui que nous pouvons visionner sur le DVD mais en français, et, surtout, une présentation du sieur Jérôme Wybon, plume que vous avez pu lire dans Mad Movies notamment, et qui nous explique le pourquoi du comment et du téléfilm et de sa surprenante diffusion à 18h10 en France. Un comparatif technique avant/après restauration attestera en point final du bon boulot de remasterisation tiré d’un master TV à la qualité déplorable, passé ad patres.