Dragon Inn 3


Honoré post-mortem par de récentes restaurations en salles, King Hu est un cinéaste majeur du wux xia pan que, lecteurs de Fais pas Genre, Carlotta Films édite en Blu-Ray et DVD en cette dernière partie d’année. Avant de vous parler de l’édition de A Touch of Zen dans un prochain article, penchons-nous sur Dragon Inn, élaboré un peu plus tôt dans la filmographie du pékinois.

dragon-inn

Dragon Saloon

En Occident c’est une redondance (et vous conviendrez que c’est pas bien de redonder) de dire que le wu xia pan était plutôt tombé en disgrâce depuis au moins les salles double-programme qui font la nostalgie des petits jeunes qui n’ont pas connu les 70’s. Hormis quelques petits bisseux, ma génération (née à la fin des années 80, au début des 90, bref dans un espace-temps moins éloigné que celui du décpucelage d’Elton John) a en fait découvert le fameux film de sabre chinois grâce au succès public et critique miraculeux de Tigre et Dragon (Ang Lee, 2000), et c’est en soi une originalité. Car il n’est pas donné à tout le monde, dans l’histoire du cinéma, de découvrir un sous-genre par le haut du panier, à grande échelle : c’est comme si 2001 l’odyssée de l’espace vous faisait complètement découvrir la science-fiction, dur après de prendre conscience de la masse de merdes qu’on va devoir se coltiner en comparaison. Heureusement, le wu xia pan n’est donc à nos yeux pas réduit, dragoninn-1600x900-c-defaultbien au contraire, aux navets d’exploitation d’il y a quarante ans (aux titres tels que J’irai cracher du nuoc-mam sur vos tombes), mais bien présenté sur un piédestal. Après avoir bien dormi devant The Assassin, je profite de l’occasion permise par Carlotta Films pour me pencher sur LE cinéaste du genre, King Hu, et, aujourd’hui, sur Dragon Inn, qu’il a tourné en 1967, l’année de naissance de mon papa.

Ce n’est pas étonnant en fait, malgré ce qu’en dit Pierre Rissient en introduction du film, que King Hu ait cité de son vivant (donc avant qu’il ne meure) la série des James Bond en influence de Dragon Inn. L’intrigue est ténue, simple, mais donne lieu à des situations compliquées : pour résumer, deux groupes d’individus se retrouvent dans la même auberge mais avec, à propos d’une famille d’un ancien condamné à escorter, des ambitions différentes. Y a le groupe qui veut tuer cette famille et ne pas les laisser arriver à bon port, il y a le groupe qui doit la protéger composé notamment de nos deux personnages principaux, interprétés avec charisme par Ling-Fen Shang Kuan et Chun Shih. Du coup, avant qu’un des combats arrivent parce que le but de la présence de tout un chacun finit par être révélé, tout le monde vit ensemble dans l’auberge, boit ensemble, mange ensemble, et se livre à une véritable compétition de mascarade, de sourire faux, et mêmes d’empoisonnements miskine dans du vin. Pleine d’humour et d’attrait, cette première partie stasiesque correspond tout à fait au second degré qui caractérise les épisodes de Bond, du moins des années 60, dans son traitement de l’espionnage.  L’auberge avec ses résidents aux regards lourds, de la sueur, de la323867 méfiance, de surcroît perdue au milieu du désert, l’auberge, donne également violemment l’impression d’être en fait dans un western égaré dans la Chine médiévale, mais qui obéit à la même tension, aridité d’ambiance, et machisme combatif pour bien impressionner l’autre.

Ce n’est pas la chorégraphie des combats qui a permis à Dragon Inn de traverser qualitativement les décennies, manquant quand même de spectacularité (ça c’est pour le mot universitaire) et trichant largement grâce au montage, ni même pas la richesse du scénario ou des personnages, mais bien son réalisateur. King Hu qui filme un wu wia pan avec ce script, c’est un peu comme demander à un architecte de meubler votre cagibi tant la maîtrise formelle est éblouissante. Cadrage à la composition picturale, mouvements et axes de caméra d’une précision et d’une pertinence dramaturgique exemplaires (voir par exemple l’utilisation des oppositions travellings-plans fixes), Hu livre une œuvre dont la richesse cinématographique pure (faire bouger des comédiens, filmer, monter) dépasse de très loin le simple cadre de son récit et dont le potentiel d’analyse est profond. A ce titre, en plus de la préface de Pierre Rissient, figure en bonus (avec un film d’actualité d’époque sur la sortie et le succès du long-métrage) une featurette bien sentie de l’essayiste, qui analyse Dragon Inn avec humour mais surtout une pertinence étonnante pour une vidéo d’un quart d’heure à peine. Privilégiant la qualité à la quantité, Carlotta Films a rendu justice à un film qui le méritait.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM


Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

8 − deux =

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

3 commentaires sur “Dragon Inn