Après Dragon Inn (chroniqué en nos pages), c’est A Touch of Zen qui a été réédité en DVD et Blu-Ray chez Carlotta Films. Fais Pas Genre vous dit tout ce qu’il pense de ce que d’aucuns considèrent comme le chef-d’œuvre de son metteur en scène, King Hu.
Laisse-moi zoom zoom zen
A force d’entendre partout qu’un film est un chef-d’œuvre, on a bien envie de le penser pour ne pas dire qu’on est tenté de s’y sentir obligé. Après avoir entendu ou vu sur les affiches qui ont trôné sur les murs des salles obscures parisiennes, dans la presse spécialisée, et dans la bouche de mes potes (kassdédi la famille) que A Touch of Zen était le film absolu, pour ainsi dire, de son auteur King Hu, j’étais bien content que Carlotta Films poursuive sa réédition, en DVD et Blu-Ray, ayant manqué l’exploitation en salles (j’aime pas aller au cinéma, je vois pas l’intérêt….Je déconne hein). Je salue par ailleurs Carlotta puisque l’occasion m’en est donnée, qui le vaut bien comme n’importe quelle boîte qui compterait dans son catalogue des réalisateurs aussi indispensables que Michelangelo Antonioni ou Rainer Werner Fassbinder dans son catalogue. Mais revenons à nos moutons sabrés, pour le wu xia pan de King Hu donc, conçu en 1969.
D’une durée de près de 3 heures (172 minutes exactement), A Touch of Zen n’a pourtant pas, sur le papier, une intrigue qui nécessiterait a priori une telle durée. Un peu similaire à celle de Dragon Inn, la trame fédère plusieurs personnages autour de deux exilés, en fonction de leur lutte pour ou de leur lutte contre eux, mais, bien moins resserrée que dans une unique auberge, se déploie sur plusieurs topographies bien différenciées comme la notion de suivre des protagonistes en exil le prévoit, finalement. Ce, sans que la narration ne s’en complique ou, pour rassurer ceux que la durée (et j’étais pas loin d’en faire partie) pourrait refroidir, ne s’appesantisse avec l’ennui. Parvenir à conserver une intrigue aussi « mince » durant trois heures est un exploit ou un coup de maître tel qu’un Akira Kurosawa en a produit, et c’est en partie grâce à la maîtrise formelle de King Hu, tout d’abord. Le cadrage dynamique, éblouissant de gestion d’espace, de précision, d’intelligence autant dans les mouvements des personnages que dans le placement de la caméra et du choix des axes, s’allie avec un sens du montage percutant alliant travellings rapides et amples avec des gros plans qui tranchent comme le sabre. A Touch of Zen, comme les autres films de King Hu, est un opéra, l’œuvre d’un esthète qui n’oublie pas pour autant qu’il filme des scènes d’action dont la visibilité est exemplaire, à l’inverse de ces séquences shaky-camées qui donnent plus l’impression d’avoir bu 17 tit-punchs en after que de comprendre ce qui se passe sous nos yeux.
La réalisation de Hu, aussi remarquable soit-elle, n’est pas toute entière dans la réussite artistique de son bijou, là où pour Dragon Inn, il faut bien dire qu’elle était relativement l’intérêt majeur et quasi-seul (le scénario n’était quand même pas une claque d’introspection réflexive ou de richesse des personnages). Si A Touch of Zen a la place que beaucoup lui accordent aujourd’hui, c’est aussi parce qu’il suit le programme annoncé par son titre, en wu xia pan singulier, comme un de ses héros qui ne sait pas se battre et ne prend pas les armes de toute la durée du film, presque un comble dans le genre. A l’instar de ses protagonistes qui passent de lieux à d’autres, et s’éloignent peu à peu de la civilisation terre-à-terre (la ville, un fort abandonné, puis la foret, entre autres) vers la mère Nature, A Touch of Zen épouse plusieurs visages. Son premier est faussement fantastique : prenant pied dans la société des hommes, il est visuellement très influencé par le cinéma fantastique notamment hollywoodien (brumeux, nocturne) mais ne montre au final, que des énigmes et des pièges jouant sur les superstitions en un côté factice, scoobydesque (les virées nocturnes de au début du film, le stratagème des faux fantômes dans le fort). C’est par la suite qu’on se rend compte que Hu préparait en fait le terrain. Au fur et à mesure du contact avec les paysages où la nature est reine (montagnes ou forêts, c’est inhabité) et où ils semblent être tout d’abord des intrus, ce sont les héros qui deviennent de plus en plus surnaturels, les combats qui désobéissent de plus en plus aux lois élémentaires de la physique. Peu à peu, le long-métrage est pris d’une autre dimension, que les moines personnifient évidemment, en combattants sans épées ouvertement filmés comme des entités divines, et capables de créer de véritables hallucinations mystiques chez leurs adversaires, à l’image de cette scène finale carrément psychédélique. Un gros bad trip pour le méchant, et une énorme surprise métaphysique pour le spectateur qui, pas à pas, a été élevé de terre sans s’en rendre compte en pensant regarder un simple wu xia pan : c’est peut-être ce qui a causé le bide du film à sa première sortie en salles, à Taïwan.
Pierre Rissent dans sa “préface” filmée proposée en bonus ne partage pas cette analyse, puisqu’il n’en a aucune à proprement parler, et place l’intérêt de son intervention dans le récit de sa découverte du film, qui a permis à ce dernier d’atterrir au Festival de Cannes pour lequel Rissent était un dénicheur de talents. L’analyse est plutôt dans le document vidéo Golden Blood, un autre bonus que David Cairns mène toujours avec justesse, mais avec certainement moins de lueur et de second degré que le très bon commentaire disponible sur la galette de Dragon Inn…Une broutille au regard de la possession d’une sublime remasterisation d’un des films asiatiques les plus influents.
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