Auréolé d’un prestigieux Prix de la Mise en scène au Festival de Cannes 2015, The Assassin est vendu comme le nouveau film de sabres asiatique, à ne rater sous aucun prétexte et sur l’ordonnance d’une critique quasi-unanime….Tandis que nous, nous penchons plutôt pour le somnifère audiovisuel.
Tué par l’ennui ?
Le cinéma asiatique est en Europe (et peut-être dans tous les autres continents hormis le sien) réduit publicitairement à des types dont on nous abreuve à intervalles réguliers. Le métrage d’horreur nippone, le polar coréen sekos, et le chinois/taïwanais/hong-kongais médiéval de l’année, sur lesquels on évoque soit une nouvelle claque venant d’un pays lointain, ou un énième ersatz d ‘un genre dont les spectateurs ont déjà assez bouffé… Quoi que puisse nous en dire un marketing trompeur (quand on repense à la bande-annonce après avoir vu le film, on se marre…A moins qu’on ait l’impression de bien avoir été pris pour un con, une fois de plus), The Assassin n’entre, hélas serait-on tenté de dire, ni dans une catégorie ni dans l’autre. Retour sur les plateaux après huit ans d’absence d’un réalisateur qui signe là sa première incursion dans le film d’époque (il a déjà mis en image des récits historiques, mais jamais dans une temporalité si éloignée) et qui est un chouchou des festivals et du cinéma mondial (voir la littérature à son sujet, les documentaires, les récompenses etc etc), le dernier Hou Hsiao-Hsien se frottant au wu xia pan avait de quoi susciter un vaillant intérêt.
Adapté d’un texte traditionnel et très ancien d’un dénommé Pei Xing, The Assassin prend place au IXème siècle et auprès de Nie Yinniang (la très cinégénique Shu Qi, muse du cinéaste) dans sa mission vengeresse visant à assassiner le gouverneur de la province de Weibo, pour une raison que je vous cache afin de préserver le peu de suspense que vous pourrez avoir lors de votre visionnage…Pour ce qui est de l’œil, purement, il y a de quoi être rassasié, le Prix de la Mise en Scène à Cannes (où Hsiao-hsien a déjà été sélectionné six fois !) n’est pas démérité. La construction des plans est picturale, théâtrale, les mouvements de caméra ont la gracieuse précision d’une danseuse, et le travail sur les lumières et les couleurs est saisissant bien que l’image manque cruellement de texture et d’aspérité, à cause certainement du rendu numérique de la caméra Arri mais surtout à une évidente intention de conception.
Je lis ça et là que la narration est complexe : chacun choisit ses adjectifs… Ce que j’ai constaté, moi avec mes petits yeux modestes, c’est qu’elle est plutôt épurée, terriblement épurée, silencieuse, et flottante, changeante en termes de point de vue, se permettant des parenthèses pas forcément toujours claire, au point qu’on ne finit par ne plus trop savoir de quoi ça parle, et même qui est qui. Les enjeux dramatiques sont là, mais sont tout au long du film de plus en plus dilatés par une lenteur contemplative. L’immersion historique dans la Chine de la Dynastie Tang semble être réussie dans ce rythme figé, cette maîtrise oppressante des gestes, des décors, et des mœurs, une oppression renforcée, poussée à l’étouffement par le ratio de l’image. Toutefois, cette rigidité distante, beaucoup trop en plus d’être factice car trop esthétisée, ne sied pas à un récit de vengeance… Car elle nous éloigne des personnages, et ce qui fait la force d’une narration basée sur la loi du talion, c’est quand notre cœur penche du côté de celui qui se venge, ou de celui qui doit se défendre. A partir du moment où vous vous moquez du personnage qui cherche à se venger, et que vous ne détestez ni n’aimez celui qui doit mourir, la quête vengeresse n’a rien de prenant, et rien, ni même un beau plan, ne vous sauve de l’ennui.
Hou Hsiao-hsien a, semble-t-il, voulu se mesurer à un genre mythique du cinéma asiatique ayant connu son heure de gloire dans les 70’s et les Show Brothers et ressuscité par Tigre et Dragon (2000). Cependant, dépourvu de la vitalité spectaculaire des premiers (Hsiao-hsien ne sait pas filmer ni monter des combats, cadrés toujours trop près, ou trop loin, coupés trop tôt) ni de la légèreté et la poésie émotionnelle du film d’Ang Lee, le cinéaste chouchou des critiques a juste réussi à donner sa vision dispensable, en celle d’un wu xia pan d’auteur dénué de chaleur.
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