Présenté à l’Etrange Festival cette année, dans le cadre d’un focus sur l’ensemble de l’oeuvre de Frank Henenlotter, Elmer le remue-méninges (1982) est le second film de ce réalisateur après Frère de sang (Basket case). Auteur d’une œuvre ahurissante bien connue des bisseux, Henenlotter nous gratifie avec Elmer d’une œuvre résolument drôle et délirante.
When the brain is singing in the pain
Potache, délirant, fou, trash; les qualificatifs regorgent pour désigner Elmer le remue-méninges. Tout comme dans Frère de sang, le décor est rapidement planté, nous sommes immergés dans les quartiers les plus mal famés de New York, au milieu de casses de voitures, boîtes de nuit peu recommandables et autres joyeusetés. C’est dans ce véritable enfer urbain que vit Brian, jeune homme qui mène une vie fade, sans réel intérêt, partagé entre sa petite amie et son frère avec qui il vit en collocation. Entre en jeu cette sorte de ver-alien bavard doté de dents acérées répondant au nom d’Elmer. De forme phallique ou fécale – c’est selon – Elmer a la particularité de se nourrir exclusivement de cerveaux humains. Elmer va alors prendre en otage – c’est le cas de le dire – Brian lui délivrant une mystérieuse drogue sous forme de liquide bleuâtre agissant directement sur le cerveau. Il le rend ainsi dépendant à cette substance. Tout au long du film Brian connaitra de nombreuses hallucinations, sous forme de vague bleue aveuglante, ou encore autour d’un plat de boulettes de viandes sous l’apparence de «mini-cerveaux», il va découvrir le plaisir et la jouissance mais aussi la douleur induite par le manque que provoque cette drogue. Elmer est aussi bourré de moments drôlissimes comme cette scène où le ver chante tel un crooner et nargue un Brian en période de sevrage. Ou encore cette mémorable séquence de fellation anthropophage, présente uniquement dans la version censurée diffusée à l’époque uniquement en Europe. Finalement, Elmer serait l’exact inverse d’un Jimini Criket, plutôt que la voix de la raison, il s’agirait ici de la voix du déraisonnable. Il se rapprocherait plus d’une des marionnettes du Muppet Show par sa verve et son côté complètement décalé.
Après avoir connu un véritable succès d’estime avec son premier long-métrage – Basket case (1982), Frank Henenlotter connait de réelles difficultés pour monter ses projets suivants. Après le désistement de bon nombre de partenaires financiers, le réalisateur écrit rapidement Elmer le remue-méninges et parvient à réunir 600 000 dollars par le biais d’investisseurs privés dont André Blay qui n’est autre que l’inventeur de la VHS et qui venait de produire Prince des ténèbres (John Carpenter, 1987) mais également produira plus tard Invasion Los Angeles (John Carpenter, 1988) et Le village des damnés (John Carpenter, 1995). Il s’entoure aussi de Gabe Bartalos, créateur de la créature Elmer, qui deviendra ensuite un artisan renommé du cinéma de genre. Au cours de la fabrication, de nombreux petits Elmer seront à sa disposition pour faciliter l’animation du monstre image par image. Ayant tourné en 35mm dans une ancienne usine désaffectée dans l’ouest de Manhattan, Frank Henenlotter a voulu, comme pour l’ensemble de son œuvre, donner à ce film une apparence artisanale d’autant qu’il le dira de lui-même à l’issue de la séance «dans les années 80, tellement de films d’exploitation sortaient que même si l’on faisait une sombre merde, personne ne s’en apercevait». C’est donc sans réelle pression qu’Henenlotter réalisait ses films. Le film s’est révélé être un échec critique. Le New York Post a même publié «Zéro étoiles, la personne qui a réalisé ce film n’a pas de cerveau». Ironie de l’anecdote, à la sortie de Basket Case 2 (1990), ce même New York Post dira «Henenlotter exprime ici tout son talent mais ce film n’égalera pas son précédent film: Brain Damage (!)»
Le film s’est fait une réputation au fil du temps dès sa sortie en VHS et s’est érigé d’années en années en film culte classique de l’horreur. Elmer le remue-méninges appartient à cette catégorie de films libres, sans concession, mal élevés, qui nous emmènent avec eux dans leur univers si particulier et si typique des 80’s. C’est de cette liberté de ton outrancière si propre à cette époque qu’est né Elmer le remue-méninges, must de vidéo club de l’époque volontairement trash et de mauvais goût. Péché mignon ou plaisir coupable ? Regarder ce phallus Elmer gouailleur et provocateur, c’est la garantie de passer une belle soirée sauvage mais aussi pleine de surprises. A (re)découvrir.
Pingback: Basket Case 2 | Fais pas genre !