L’Antéchrist 1


Aussi connu en France sous des titres d’exploitation racoleurs mais néanmoins inspirés comme Le Baiser de Satan ou La Semence de Satan, le film Italien L’Antéchrist (1974) est l’un de ces nombreux ersatz produits dans la foulée du succès de L’Exorciste (1973) de William Friedkin. L’éditeur Le Chat qui Fume, toujours présent pour exhumer quelques pépites enterrées à tort dans la litière de l’histoire du cinéma, re-édite ce film méconnu dans une sublime édition vidéo.

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Le Diable l’Habite

Réalisateur un peu sous-classé de la grande veine du cinéma de genre Italien, Alberto de Martino a surtout la particularité de s’être essayé à de multiples genres : le western spaghetti avec Django tire le premier (Django spara per primo, 1966), le péplum avec entre autres Le Triomphe d’Hercule (Il Trionfo di Ercole, 1964) ou Le Gladiateur Invincible (Il Gladiatore invincibile, 1961) , le film d’espionnage avec Opération frère cadet (OK Connery, 1967) – dont la particularité est d’être une parodie de James Bond incarnée par le véritable frère de Sean Connery, le fameux (rires dans la salle) Neil Connery – le film érotique avec Perversion (Femmine Insaziabili, 1969), la science-fiction avec Holocauste 2000 (1977), le film d’aventures bordé de super-héroïsme avec L’Homme Puma (L’uomo puma, 1980), le gangster movie avec des films comme Rome comme Chicago (Roma come Chicago, 1968) ou Le Nouveau Boss de la Mafia (I familiari delle vittime non saranno avvertiti, 1972) et enfin l’horreur avec Le Manoir de la Terreur (Horror, 1963) et le film dont il est question ici, L’Antéchrist (L’Antichristo, 1974), considéré par beaucoup comme l’un des meilleurs rejetons de l’exorcism-exploitation ayant suivi le succès du film culte de William Friedkin. lantechrist-couloirL’histoire est celle d’une femme, qui porte, disons-le, un charmant prénom popularisé par le cousin de Casimir, à savoir : Hippolita. Celle-ci se retrouve paralysée des suites d’un grave accident de voiture qui a coûte la vie de sa pauvre mère. Pour retrouver l’usage de ses jambes, elle décide de tenter le tout pour le tout et de se rendre dans un étrange sanctuaire dont la rumeur dirait qu’on y reçoit des grâces. Une séance d’hypnose avec un étonnant psychanalyste/exorciste révèle qu’elle serait possédée par un esprit malin, une ancêtre condamnée au bûcher pour sorcellerie. Petit à petit, le démon la consume progressivement et la transforme en femme débordante de désir sexuel et de violence, ce qui nous mènera irrémédiablement à une séance d’exorcisme.

Comme beaucoup des productions de l’époque en Italie, L’Antéchrist aborde frontalement plusieurs révolutions sociétales propres aux années 60 et 70 : la libération des mœurs et la découverte du désir féminin d’une part, et autrement, la psychanalyse, science jeune qui cherche, entre autres, à décrypter les moteurs de ce désir.  Le film est caractéristique d’un certain cinéma bis italien qui a fait son beurre sur le ré-emploi de codes et modes dictés par le cinéma américain. La voie ouverte par le film culte de William Friedkin, L’Exorciste (1973) s’est vue très vite bouchonnée par de très nombreuses tentatives de ré-appropriations du film dit d’exorcisme, un genre qu’on continue encore aujourd’hui à presser jusqu’à la lie, à base de Devil Inside (William Brent Bell, 2012) ou d’un Dernier Exorcisme (Daniel Stamm, 2010) qui n’a pas tenu la promesse de son titre en devenant quelques années plus tard, en réalité, l’avant-avant dernier exorcisme. Le malin est aussi dans le marketing. Soit.

L_Antechrist-768x432Si le chef-d’oeuvre de Friedkin est incontestable, l’ersatz – comme on dit – de Alberto de Martino a d’intéressant qu’il confronte les sujets sociétaux cités plus haut au dogme catholique toujours prégnant à l’époque, qui plus est en Italie. L’originalité du scénario est donc de faire de la possédée, non pas une jeune fille comme dans le film de Friedkin – victime pure et innocente, bien qu’il y’avait là quelque chose d’assez aventureux à lui faire dire des insanités aussi graveleuses – mais une femme, tentant d’exalter et libérer une sexualité que la société lui a interdite pendant des siècles et que la morale chrétienne considère comme œuvre du malin. Difficile toutefois de s’aventurer à parler de manifeste, au regard de ces visions de bacchanales sataniques rappelant Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968) où l’héroïne voit Satan l’habiter – mes jeux de mots n’engagent que moi – et doit pratiquer quelques succions à un bouc… Et ce final où l’on retrouve la même séance d’exorcisme que dans l’original – durant laquelle le prêtre reçoit et vomit injures à caractères sexuelles sur sa maman, qui n’a pourtant rien demandé à personne, ou encore meubles dans la gueule – se concluant par la victoire suprême de Jésus Christ, calmant les ardeurs de la demoiselle par contact avec sa croix, bien dressée au milieu du Coliseum de Rome, dans ce qui constitue l’une des séquences les plus belles (visuellement) du film. Difficile donc, au sortir du film, de savoir précisément ce que veut bien pouvoir dire cette morale. Le film est-il un pamphlet réactionnaire, punissant les déviances d’une pécheresse par le triomphe d’une sacro-sainte morale chrétienne ? Ou bien un constat pessimiste et subversif, dénonçant l’oppression de l’institution religieuse (et donc masculine) sur la féminité, lui imposant une morale anti-blasphématoire et chaste ? C’est peut être parce qu’il est profondément ambigu que L’Antéchrist est aussi envoûtant et intriguant.

Capture d’écran 2016-04-05 à 15.18.21Cette re-sortie en DVD éditée par l’un des meilleurs éditeurs actuels, exhumeur d’un certain cinéma de genre que l’histoire du cinéma a injustement momifié, j’ai nommé le Chat qui Fume, propose comme ils en ont l’habitude un écrin très soigné au visuel magnifique, accompagné d’un livret conséquent empli de petites surprises telles que des photos d’exploitations et affiches internationales. Du côté du film lui-même, cette édition permet de voir pour la première fois en vidéo une version intégrale avec six minutes inédites. L’image, proposée dans son format d’origine et dans une copie plus que correcte, rend parfaitement hommage au magnifique travail du chef opérateur, le bien connu Joe d’Amato qui deviendra par la suite réalisateur d’un bis qui tâche et qui fâche. Rien à redire non plus sur les pistes sons proposées, vous aurez le choix entre une version française honorable – seules les séquences inédites ne sont pas doublées – une version anglaise et l’originale en italien. Pour le reste, vous le savez surement car nous avons chroniqué beaucoup des sorties du Chat qui Fume, côté bonus, leurs éditions ont souvent la caractéristique d’être richement éditorialisées et donc assez généreuses. On appréciera donc l’entretien fort enrichissant avec David Didelot de Videotopsie et deux autres avec l’un des spécialistes du cinéma de genre Italien, j’ai bien sûr nommé Christophe Gans qui revient sur le parcours du cinéaste et la place de ce film dans son œuvre ainsi que sur la partition de Ennio Morricone et Bruno Nicolai. Enfin, on ne négligera pas non plus un dernier entretien avec l’assistant de Joe d’Amato, Adolfo Troiani, riche en anecdotes de tournage savoureuses. Une édition immanquable qui s’ajoute à la longue liste des petites merveilles sortie des catacombes par l’équipe montpelliéraine.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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