Les amants d’outre-tombe


La collection dédiée au gothique italien s’étoffe un peu plus chez Artus Films avec leur petit dernier, Les amants d’outre-tombe, premier film d’horreur du réalisateur culte mais méconnu Mario Caiano.

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Les malheurs de la vertu

Mario Caiano est un romain pure souche, enfant de Cinecittà et de Carlo Caiano, lui-même producteur, scénariste et réalisateur. C’est tout naturellement que très tôt, il rentre dans le cinéma en tant qu’assistant réalisateur auprès de Sergio Grieco, avec qui il tournera pendant dix ans pour se lancer dans une carrière de réalisateur – il ne reviendra à son poste d’assistant qu’à une seule reprise par la suite, ce qu’il fera autant par amitié que par amour de l’art, en lui permettant au passage d’empocher une poignée de dollars puisqu’il reprendra ce poste pour le premier western de Sergio Leone. En 1965, Caiano a déjà réalisé pas loin de dix films, la plupart étant des péplums, et alors qu’il commence à se diriger vers le western, il désire réaliser un rêve d’enfant : faire un film d’horreur. Parce qu’enfant, Caiano aimait lire Poe, et puisque l’horreur gothique avait alors le vent en poupe en Italie, l’occasion était rêvée. Il fait produire Les amants d’outre-tombe par son père, qui, avec les quelques lires dont il dispose, loue une villa près de Castel Gandolfo où le film sera intégralement tourné.

Le docteur Stephen Arrowsmith (Paul Muller), sorte de savant fou méchant et sadique, torture sa femme Muriel (Barbara Steele) etlesamantsdoutretombe son amant David (Rik Battaglia) jusqu’à la mort après les avoir surpris en plein flagrant délit de hum hum. Mais sa femme, qui est la riche propriétaire du château où ils vivent, a modifié son testament pour léguer tous ses biens et sa richesse à sa sœur Jenny, détenue dans un asile. Après la mort des deux amants, Arrowsmith fait libérer Jenny et l’épouse pour mener à bien son plan machiavélique, mais c’est sans compter sur le retour de Muriel et de David, revenus d’entre les morts pour l’en empêcher…

Si l’on devait résumer en quelques mots, très simples, ce qu’est Les amants d’outre-tombe, il suffirait de dire qu’il s’agit là de l’un des plus grands gothiques italiens, mais aussi l’un des plus osés. Caiano démontre ses talents d’auteur – au sens noble du terme – dans une œuvre grandiose, oppressante et qui, malgré un budget plus que réduit, n’a rien de cheap. Au contraire, le réalisateur maîtrise d’une main savante cette œuvre qui devient alors puissante, avec une imagerie qui ne puise pas chez ses contemporains Bava ou Freda, mais qui va plutôt chercher du côté de la littérature de la fin XVIIIe/début XIXe (Poe et Sade par-dessus tout) et des peintres et graveurs allemands du XVIe siècle (Jérôme Bosch, Hans Baldung, Matthias Grünewald, dont Caiano utilisera le nom pour le pseudonyme avec lequel il signe ce film). Et si le cinéaste se réfère quand même à certains films de ses contemporains – l’on peut y déceler quelques similarités avec Les yeux sans visage (Georges Franju, 1960) et Le masque du démon (Mario Bava, 1960) –, c’est surtout Sade qui semble marquer cette œuvre, tant Caiano lui fait atteindre des sommets de cruauté encore jamais vus dans l’horreur italienne – nous ne sommes qu’en 1965, précisons-le une seconde fois. Les quinze premières minutes sont un festival de tortures et d’effets en tous genres, exécutés par un Paul Muller dont la présence à l’écran a toujours été un grand plaisir pour le bisseux que je suis ; on n’est pas si éloigné que ça des deux films d’horreur de Paul Morrissey produits par Andy Warhol, Chair pour Frankenstein (1973) et Du sang pour Dracula (1974).

Pour mener à bien son projet, Mario Caiano a su s’entourer d’une équipe d’amis, certes, mais d’amis qui excellent tous dans leur lesamantsdoutretombespécialité : à la photo, Enzo Barboni, qui profitait alors d’une solide expérience avec Leone, Risi, De Sica, et surtout le grand Sergio Corbucci, et qui deviendra plus tard lui-même un réalisateur culte grâce à ses films avec Terence Hill et Bud Spencer. La photographie est magnifique, un noir et blanc inquiétant et oppressant, avec de très beaux jeux de lumière – au départ, Caiano voulait réaliser son film en noir et blanc avec des touches de rouge pour le sang, idée géniale qu’il dut oublier pour des contraintes budgétaires. La musique est signée un certain Ennio Morricone, qui rejoint Caiano dans son trip gothico-médiéval en livrant des variations de thèmes religieux, et en faisant alterner une douce partition pour piano seul et inquiétants morceaux joués avec un orgue au son particulier et terrifiant (et enregistrés dans une église). Pas le meilleur soundtrack de son compositeur, mais foutrement efficace.

Et puis il y a Barbara Steele. À croire que sans elle, le gothique italien ne serait rien du tout. Paul Muller est le protagoniste incontesté et le casting est très fort avec peu d’acteurs, mais qui sont tous plus excellents les uns que les autres (Helga Liné, apparemment très prisée par Artus Films en ce moment, Marino Masé, Rik Battaglia et Giuseppe Addobbati), mais Barbara Steele mérite bien que l’on parle d’elle. Avec un double rôle similaire à celui que le maître Bava lui avait offert dans son premier gothique, déjà repris dans La sorcière sanglante (Antonio Margheriti, 1964), l’Anglaise trouve là son dernier grand rôle dans le cinéma d’horreur transalpin. Elle tient ici le rôle de deux sœurs, l’une est Muriel, alcoolique et infidèle aux cheveux noirs, l’autre est Jenny, innocente et angélique petite folle aux cheveux blonds, la couleur des cheveux servant d’éternel signe de distinction entre le bien et le mal, l’ange et le démon. Et lorsque, vers la fin du film, elle apparaît sous les traits du fantôme de Muriel, sa chevelure noire cachant la moitié de son visage pour couvrir une défiguration, stigmate de l’ultime torture administrée par son salopard de mari, on ose penser qu’Hideo Nakata se soit servi de cette image pour son Ring

Les amants d’outre-tombe est disponible depuis le 1er juillet dernier chez Artus Films, dans un DVD qui agrandit leur collection sur le gothique italien. Image à la qualité irréprochable ou presque, le traitement digital de la pellicule laissant quelques légères empreintes – mais bien peu gênantes, on chipote. Si la version originale italienne est merveilleusement restituée sur une très belle piste stéréo, nous allons devoir prévenir les amateurs de VF que celle de ce film est absolument dégueulasse, sans aucun doute l’une des pires qui existent. La vérité est que le film, qui a été distribué en salles à l’époque, a dû être redoublé à l’initiative de Canal+ il y a quelques années car plus aucune copie contenant le premier doublage français n’était trouvable, et encore aujourd’hui, cette version semble avoir totalement disparu. À regarder obligatoirement en version italienne, donc. Et dans les bonus, hormis les habituelles bandes-annonces et galerie photos, l’éditeur nous offre une heure de suppléments de grande qualité avec une intervention d’Alain Petit qui, pendant près de quarante minutes, revient sur le film, ceux qui l’ont fait, et son obscur destin dans les salles comme à la télévision – sans aucun doute la meilleure intervention parmi tout ce que l’on a pu voir chez Artus –, et un autre retour sur le film, par Mario Caiano cette fois, qui se remémore avec plaisir cette œuvre, avec la (trop courte) participation de Paul Muller. Distribué dans un très joli boîtier, l’éditeur se permet même d’y joindre un livret de 64 pages, toujours par Alain Petit, revenant sur vingt années de gothique à l’italienne. Bref, un must du cinéma d’horreur italien et un must du DVD édité par Artus Films qu’il serait urgent de découvrir ou redécouvrir !


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.

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