Le nouveau film de Jeff Nichols est sans nul doute l’un de ceux que nous attendions le plus cette année. Annoncé comme un hommage croisé aux films de Steven Spielberg et John Carpenter, Midnight Special tient-il toutes ses promesses ?
Le père présent
Il a beau être encore tout à fait en forme, du haut de ses 70 ans et enchaîner ardemment les tournages les uns après les autres, tout le monde cherche désespérément, et ce, depuis des années, un héritier naturel qui pourrait enterrer Steven Spielberg. Comme si celui qui vient de réaliser coup sur coup Le Pont des Espions (2015) et Le Bon Gros Géant (2016) – dont on attend fermement une première mondiale à Cannes – était à deux doigts de la rupture d’anévrisme, crise cardiaque, sclérosé, titubant, raccroché à la vie par un microscopique fil ténu. Heureusement pour nous, il n’en est rien, l’ami Steven se porte à merveille et les palefreniers, qui courent loin derrière lui, c’est à dire, dans une autre catégorie, peuvent continuer de s’essouffler. C’est à une certaine frange des journaleux que l’on doit cet étonnant jeu, cette quête, pour savoir qui pourrait bien réussir à renverser ce qui est sans doute le plus grand réalisateur américain en activité (beaucoup me rigolent surement au nez, mais on en reparlera en temps voulu, dans quelques années). Successivement, les parieurs ont misé sur des poulains. Il y eut d’abord Joe Dante, enfant terrible élevé dans l’ombre du maître, son petit gremlin à lui, que Spielberg pris sous son aile avant de l’abandonner, tuant le poussin dans l’œuf. Plus tard, certains virent dans les premiers films de M. Night Shyamalan la marque d’un digne successeur avant de se raviser en même temps que les films du bonhomme devinrent fades au mieux, convenus parfois, commerciaux et abscons au pire. La sortie en 2011 du Super 8 de J.J Abrams, film à la parenté spielbergienne assumée, permis aux turfistes de bas-étage de balancer trois ou quatre kopecks sur un nouveau canasson. Depuis, si peu de monde n’oserait nier l’évidente jonction entre les deux cinéastes, certains continuent à chercher et croient avoir trouvé le légataire absolu en la personne de Jeff Nichols.
Il est étonnant de voir en gros sur les affiches de Midnight Special, une phrase extirpée des colonnes d’un des nombreux canards consacrés au cinéma – celui-ci est assez bon, au demeurant – consacrant le réalisateur de Take Shelter (2011) et Mud (2012) « d’héritier de Spielberg ». Étonnant, oui, car si le film réanime, et c’est tant mieux, les saveurs d’un cinéma so-eighties qui nous manque terriblement – un cinéma avec des enfants aux yeux écarquillés, des êtres venus d’ailleurs, de la magie et du merveilleux et, surtout, ce rayon bleu lumineux qui cisaille l’écran – le film n’est pas, dans le fond, aussi proche qu’on le laisse entendre du cinéma de Spielberg. On aime à dire – et il semble évident que c’est l’une des grilles de lecture fondamentales de la filmographie du maître – que le cinéma de Spielberg est celui de l’émerveillement enfantin d’une part, de la grande histoire, et de la thématique du père absent. Là où Nichols se démarque considérablement de son illustre aîné, c’est qu’il tend en réalité à prendre les thématiques sur son contre-pied total, Midnight Special ayant plutôt comme ambition d’appartenir à la galaxie des films traitant du vaste thème de la filiation et des rapports forts que peuvent unir un fils et un père, pour le coup, bien présent. De son propre aveu, Nichols a écrit cette histoire – qu’il a toujours présentée d’avantage comme un hommage au John Carpenter de Darkstar (1974) ou Starman (1984) – à la naissance de son propre enfant. Le personnage incarné par son acteur fétiche – une nouvelle fois incroyable Michael Shannon – est donc la doublure du réalisateur qui avoue avoir développé, lorsqu’il est devenu père, des sentiments nouveaux, dont un instinct de protection inébranlable.
Si Take Shelter (2011) parlait de manière déportée – comme le chef-d’oeuvre de David Cronenberg, La Mouche (1986) en son temps – de la difficulté d’un couple à se maintenir à flot face à la maladie d’un des deux conjoints, Midnight Special, lui, ausculte à nouveau un couple de parents confrontés cette fois à la maladie de leur enfant. Pour protéger son fils Alton – une espèce de X-Men qui peut tirer des rayons lumineux par les yeux, parler des langues sans les avoir apprises, ou encore exploser des satellites par la pensée – face aux fanatiques religieux et policiers à ses trousses, Roy, en bon papa-garde du corps, est capable de tout pour permettre à son cher marmot de voler enfin de ses propres ailes et d’accomplir la mission qui semble lui avoir été confiée par des êtres venus d’un autre monde. Le film débute tambours battants, propulsant le spectateur dans une course-poursuite qui sera le moteur vrombissant du film. La vision, magnifique, de cette Chevrolet grise fendant la nuit, phares éteints pour échapper à ses poursuivants est à l’image du film lui-même. Un chase-movie calme, une course-poursuite discrète, furtive mais prudente. Où l’on s’accorde un arrêt à la station service. Où des personnages jusqu’à la mise-en-scène, absolument tout semble prendre son temps. C’est là aussi l’une des spécificités du cinéma de Jeff Nichols l’une des raisons pour laquelle on lui affublait, un temps, le titre d’héritier de Terrence Malick et non de Steven Spielberg. Cinéaste de la contemplation, ses histoires – qui pour la plupart décortiquent ce qui reste d’aberrations dans son sud natal : l’enracinement sectaire et religieux, les luttes de clans, les dommages causés par une nature menaçante et vengeresse – se déroulent au rythme du fleuve Mississippi. Rien de poussif ou de mollasson, bien au contraire, le film malgré sa lenteur – à des années-lumières de ce que pouvait promettre la bande-annonce épileptique bêtement mensongère – est d’une beauté sidérante et fascine de la première à la dernière image.