En adaptant librement le roman de Laurent Gaudé paru en 2022, Cédric Jimenez signe avec Chien 51 peut-être l’apogée de ses récits de policiers face au système qui les emploie, explorant ici le film de genre et d’anticipation.

© Cédric Bertrand – Chi-Fou-Mi Productions- Studiocanal – FR2 Cinéma – Jim Films
La Belle et le Flicard
Si l’on connaît Cédric Jimenez pour ses scènes d’action convaincantes et soignées − comme dans Bac Nord (2021) et Novembre (2022), qui mettaient déjà en scène des forces de l’ordre parfois malmenées − celles des courses-poursuites et des raids de police ne manquent pas d’efficacité dans Chien 51. Mais ce qui fait la force du réalisateur révèle aussi sa plus grande faiblesse : une tendance à privilégier la forme au détriment du fond. Dans un futur plus ou moins proche, la ville de Paris se divise en trois secteurs reliés par des checkpoints, séparant l’élite, la classe moyenne et les plus défavorisés. Soumise à une haute surveillance, la population est contrainte de porter un bracelet dont ALMA, une intelligence artificielle au service de la police, conserve les données. Quand le créateur de cette même intelligence tombe sous les balles, le ministre de l’Intérieur (Romain Duris) accuse Jon Mafram (Louis Garrel), chef du groupe anarchiste Breakwalls, d’en avoir commandité l’assassinat. Zem (Gilles Lellouche), flicard désabusé de la zone 3, doit alors collaborer avec Salia (Adèle Exarchopoulos), inspectrice de la zone 2, pour remonter jusqu’au coupable. Malgré une enquête musclée et périlleuse, un lien se tisse contre toute attente entre Zem et Salia, qui ne tardent pas à lever le voile sur le système qu’ils servent tous les deux.

© Cédric Bertrand – Chi-Fou-Mi Productions- Studiocanal – FR2 Cinéma – Jim Films
Avec son high concept très prometteur, ce récit dystopique français portait la promesse d’une parabole des maux de son époque contemporaine et de son pays, tout en alertant sur les dérives possibles d’un monde toujours plus connecté. Jimenez, peut-être plus habile dans un registre réaliste, semble davantage préoccupé par une intrigue policière assez convenue − qui débouche, hélas, sur une romance aussi inutile que peu crédible entre Zem et Salia − qu’à développer les éléments qui composent son univers orwellien. À commencer par son intelligence artificielle, ALMA, une sorte de gros ChatGPT émettant les scénarios les plus probables pour résoudre les missions de la police mais dont l’usage et la personnalité sont ici assez peu exploités. Il faudra attendre le dénouement pour que ALMA révèle ses véritables intentions, c’est-à-dire se détourner des hommes pour prendre un contrôle total. Voici une résolution assez prévisible qui aurait sans doute gagné à servir de point de départ plutôt que de conclusion.
Quel regard Cédric Jimenez pose-t-il sur l’IA, si ce n’est pour lui réserver un futur fataliste ? À vrai dire, nous nous posons encore la question. Le même reproche pourrait être fait quant à la place de la police dans ce récit. Si Zem et Salia sont exposés comme des citoyens ayant grandi en zone 3 − le bas de l’échelle sociale − leur vocation à faire régner l’ordre et d’appartenir à un système totalitaire trahirait-elle un besoin de gravir cette même échelle, et donc un besoin de conformité ? Avec Novembre, Jimenez racontait des agents de police priés de laisser leurs émotions au vestiaire. L’ambition de Chien 51 serait-elle de raconter des personnages imparfaits et foncièrement humains malgré leur fonction et face à une intelligence infaillible − ce qui pourrait peut-être expliquer cette tentative maladroite d’y insuffler une romance ?

© Cédric Bertrand – Chi-Fou-Mi Productions- Studiocanal – FR2 Cinéma – Jim Films
Néanmoins, le film laisse peu de place à un discours véritablement politique et évacue certaines questions relatives aux inégalités sociales, préférant emprunter çà et là des éléments visuels et narratifs à d’autres œuvres − sans oublier les incontournables drones − pour les injecter dans son récit. Côté image, on peut regretter un Paris étonnamment peu mis en valeur − la Tour Eiffel servant presque d’unique repère − sans doute à cause d’une esthétique nocturne et d’une caméra à l’épaule qui se resserre sans cesse sur les acteurs et actrices. S’il ne fait aucun doute que Cédric Jimenez aime ses interprètes, certains, comme Romain Duris ou Louis Garrel, semblent peu convaincus par leur partition. D’autres, tels Gilles Lellouche et Adèle Exarchopoulos (encore réunis depuis Fumer fait tousser de Quentin Dupieux), jurent quelque peu avec le ton dystopique du long-métrage − au point qu’on en vient à se demander s’il existe d’autres acteurs en France.
Malgré ces limites, le montage serré confère au film un rythme nerveux, qui soutient la tension de bout en bout. Chien 51 peut somme toute rivaliser avec les productions Netflix en matière de prouesses techniques − pour les amateurs du genre − mais il y perd un peu de son identité. La production dystopique française tant promise, soutenue par un budget conséquent, tombe déjà en désuétude et aurait mérité de refléter davantage les problématiques qui nous traversent aujourd’hui afin d’esquisser une réflexion plus fournie sur l’avenir de l’Hexagone dans un monde toujours plus incertain et critique face à l’ordre établi. En cherchant à prolonger son exploration des figures de policiers, Cédric Jimenez livre un film ambitieux mais inégal, dans lequel le poids du dispositif finit par étouffer la réflexion qu’il semblait vouloir ouvrir. Quant aux robots, on ne les attend déjà plus.




Merci Mr Gauthier d’avoir écrit cet article qui arrive à mettre en forme, decrire et analyser mon sentiment de frustration.
Je conseille à tous les fans de SF d’aller voir chien 51 sur grand écran pour profiter du spectacle musclé et punchy mais attendez-vous à rester sur votre fin si vous espérez (1) une réflexion philosophique sur ce que le futur de l’IA nous réserve.
(1) comme c’était le cas dans « Ghost in the shell »