À peine 6 mois après la sortie – un peu inaperçue – d’Incroyable mais vrai, Quentin Dupieux revient avec un second film pour cette année 2022 et signe encore un véritable objet visuel non identifié dont lui seul a le secret. Fumer fait tousser attrape les spectateurs.trices par la gorge et les balade entre effroi et hilarité, en prenant tout de même le temps de leur laisser contempler la trivialité de l’existence.
Ceci n’est pas un film de super-héros
Dès ses débuts, Quentin Dupieux nous a transporté.es au cœur de l’absurde. Avec Rubber (2010) et son histoire de pneu tueur, il a posé les bases de son futur univers cinématographique : singulier, surréaliste et déjanté, où la réalité est déformée mais garde sa propre logique insensée. Ses premiers films, tournés aux États-Unis, s’inspirent des séries B et reflètent une volonté de parodier la société américaine. Les paysages sont désertiques, les maisons sont identiques, les personnages se préoccupent de leur travail, les forces de l’ordre sont omniprésentes, exactement comme l’imaginaire collectif se représente le quotidien des étatsunien.nes, mais le tout est évidemment empreint d’une profonde absurdité. En 2018, Dupieux tourne Au Poste !, tourne pour la première fois en France, et cela marque le début d’un certain renouveau, une européanisation de son univers. Les paysages deviennent plus verdoyants, les maisons adoptent un charme rustique, les protagonistes se reposent, prennent des vacances. En d’autres mots, le réalisateur se permet d’explorer de nouveaux univers (parallèles).
La trame de base, telle qu’on nous la présente dans les teasers de Fumer fait tousser est la suivante : un groupe de cinq justiciers, les Tabac Force – une version Eurovision des Power Rangers – combattent des ennemis grâce au pouvoir néfaste de la cigarette. Après une mission réussie contre un reptile géant, ils sont félicités par leur chef – un rat à taille humaine, sans doute en référence à un autre classique d’enfance, les Tortues Ninja et leur maître Splinter – mais ce dernier décide de les envoyer en retraite dans un endroit reculé pour qu’ils et elles puissent consolider leur esprit de cohésion. En effet, il est annoncé que leur prochain opposant va leur donner du fil à retordre… Jusque-là, tout va bien, et on a envie d’en savoir plus sur ce qui attend nos protagonistes et comment ils et elles vont gérer leur prochaine mission. Sauf que… Fumer fait tousser nous montre tout sauf ça ! Comme à chaque fois, Dupieux nous emmène là où l’on n’aurait jamais pensé aller en entrant dans une salle de cinéma et on en sort ravi.es ! Pour ne pas gâcher le plaisir de celles et ceux qui ne l’auront pas encore vu, je vais rester plutôt vague quant au contenu exact du film, mais je dirai ceci : il s’agit en réalité d’un film à sketches. On se retrouve donc face à une succession de courts-métrages tous plus gores et absurdes les uns que les autres, ce qui permet de conférer un rythme bien dynamique à ce long-métrage pas si long que ça – il dure 1h20 seulement. Pour vous faire une idée plus précise, imaginez que les Contes de la Crypte (William M. Gaines, 1989-1996) rencontrent La Cité de la Peur (Alain Berbérian, 1994) et Monty Python : Le Sens de la vie (Terry Jones, 1983). Cela ne ressemble effectivement pas à grand-chose de préexistant, et ça a de quoi attirer notre curiosité.
Autre point fort de Fumer fait tousser, son casting extrêmement bien fourni. Quentin Dupieux a toujours su bien s’entourer, ayant pour habitude de faire confiance à un petit groupe de fidèles. Ainsi, dans ses films tournés aux États-Unis, on a pu voir des visages connus tels que Éric Judor et Ramzy Bedia, ainsi que Jonathan Lambert – mais aussi des acteurs et actrices moins connus ici mais néanmoins talentueux.ses comme, par exemple, Eric Wareheim. Puis, dans ses projets tournés en France, les comédiens et comédiennes que l’on retrouve fréquemment sont Grégoire Ludig, David Marsais, et Anaïs Demoustier. Ces dernier.ères sont bien présent.es dans Fumer fait tousser, accompagnés, entre autres, de Gilles Lellouche, Vincent Lacoste, Jean-Pascal Zadi, Oulaya Amamra, et Adèle Exarchopoulos. En ce qui concerne le casting des cinq membres des Tabac Force – à savoir Lellouche, Lacoste, Demoustier, Zadi, et Amamra – clairement pas besoin de retraite pour renforcer la cohésion car la dynamique du groupe fonctionne très bien ! Du reste, on a aussi droit à de belles surprises, comme Blanche Gardin – qui réussit à garder son sang-froid face à l’horreur à laquelle elle doit faire face – et Doria Tillier – qui garde très bien son sang-froid face aux horreurs qu’elle commet. Impossible de ne pas mentionner la présence d’Alain Chabat et de Benoît Poelvoorde, qu’on ne peut pas ne pas apprécier voir/entendre à l’écran – surtout ici dans des rôles qui mettent en valeur leur pouvoir comique naturel.
Si le film brille par son inventivité et son casting, sa réalisation n’est pas à négliger. Dupieux nous offre, comme à l’habitude, une ambiance particulière, avec des visuels épurés aux couleurs pastellisées – similaires à celles de Mandibules (2020) – qui traduisent le caractère apaisant des passages plus narratifs, et qui contrastent bien avec le chaos qui se produit dans les différents courts-métrages, où l’on retrouve beaucoup – vraiment beaucoup – de sang. Les mouvements de caméra sont aussi au service de l’action, notamment dans la scène de combat entre les Tabac Force et leur premier ennemi, où l’utilisation de zooms un peu nerveux rend hommage au sentai japonais et aux Power Rangers (Bryan Spicer, 1993). On le constate, Quentin Dupieux s’amuse avec la réalisation de Fumer fait tousser, et c’est précisément ce que les spectateur.trices devraient faire aussi en le regardant ! Pas besoin de chercher de grand message caché entre les lignes, prenons simplement le film pour ce qu’il est : une création absurde et délirante. Réjouissons-nous de savoir qu’avec Quentin Dupieux, l’absurde à la française a encore de beaux jours devant lui.