Après le rachat de la Fox par Disney, nombreuses étaient les inquiétudes sur le tournant que prendraient des franchises pour adultes telles qu’Alien : Romulus (Fede Alvarez, 2024) est venu rassurer les fans du Xénomorphe – ou en ennuyer certains – et après neuf films, des comics par dizaines et des jeux vidéo en pagaille, la saga investie désormais le petit écran avec Alien : Earth (Noah Hawley, 2025).

© Disney +
La Cité des Enfants perdus
Le projet avait à minima de quoi intriguer ; le créateur des séries Fargo (depuis 2014) et Legion (2017-2019) qui venait se frotter à la mythologie Alien, c’était une sacrée promesse ! Après l’univers des frères Coen et la continuité des X-Men, le voilà donc reparti pour réinterpréter une nouvelle saga. Une saga mise à mal par Ridley Scott himself avec Prometheus (2012) et Alien : Covenant (2017), lui qui l’avait magnifiquement initiée avec Alien, le huitième passager (1979), et dont on ne sait plus vraiment quelle est la direction aujourd’hui. Certes Fede Alvarez, avec Alien : Romulus (2024), a fait un film en forme de compilation qui n’était pas dénué de qualités visuelles et de pistes narratives, mais alors que l’on se prépare de plus en plus à voir débarquer un nouveau crossover avec le Predator, cette nouvelle série Alien : Earth vient brouiller les pistes. Comme Star Wars qui concentre beaucoup trop ses productions autour des Skywalker et la Bataille de Yavin, Alien ne s’éloigne que très peu – hormis Alien : Resurrection (Jean-Pierre Jeunet, 1997) – du XXIIème siècle et de tout ce qui gravite autour de la mission du Nostromo.

© Disney +
Alien : Earth se déroule deux ans avant que Ripley soit confrontée au Xénomorphe, en 2120. Le monde n’est plus régi par des États mais par cinq grandes corporations se disputant les territoires et les technologies. La plus célèbre d’entre elles est bien évidemment la Weyland-Yutani présente depuis le premier film, mais la série introduit la société Prodigy qui a fait de grandes avancées sur le transhumanisme. On connaissait les Cyborgs – des humains augmentés par la technologie – et les Synthétiques – des robots au corps et à la conscience artificiels – mais Prodigy va plus loin en créant les Hybrides, des corps robotiques dans lesquels des consciences d’humains mourants sont téléchargées. La petite Marcy et plusieurs de ses camarades sont ainsi transférés dans des corps synthétiques. La conscience d’enfant de ces Hybrides va devoir faire face au crash de l’USCSS Maginot, cargo de la Weyland-Yutani, sur un territoire Prodigy. Ce dernier va en revendiquer la cargaison : des spécimens extraterrestres parmi lesquels le Xénomorphe et quelques créatures inédites. Marcy va tout faire pour retrouver son frère Joe dans ce bourbier, et va commencer à pouvoir communiquer avec les aliens. Voilà pour la mise en place touffue de ses huit épisodes…
Hawley n’est pas un manche ; quand il s’est attaqué au film Fargo (Joel & Ethan Coen, 1996), il a réussi à inventer une mythologie à un univers autosuffisant sans jamais casser le jouet. Jusqu’à sa dernière saison sortie en 2023, sa série a fait preuve d’une grande finesse d’écriture pour se fondre dans l’univers des Coen tout en autopsiant l’Amérique à travers les âges. Dans le cadre d’Alien, on retrouve cette envie de vouloir se glisser sans faire trop de bruit dans un univers bien établi aux règles sans cesse mouvantes. On le rappelle, jusqu’à Resurrection, chaque film était dirigé par un nouveau cinéaste, offrant différents points de vue et différentes tonalités à la saga. Ridley Scott a rompu cette habitude en revenant pour son diptyque si décrié, mais aujourd’hui, les différents auteurs venant s’approprier Alien semblent revenir à cette tradition. Je dis bien « semble » car, et c’est le premier reproche que l’on peut adresser à Alien : Earth, comme pour Romulus, papy Ridley est à la production, ce qui veut dire que l’œuvre doit rester dans les clous de l’esthétique du cinéaste britannique et des thématiques qu’il avait développé sur Prometheus et Covenant.

© Disney +
Dans ses deux préquelles, on se souvient que Scott interrogeait les origines même de l’humanité et notre rapport à la foi. Les Ingénieurs se révélaient être à la source de notre création sur Terre, tandis que David jouait à Dieu en manipulant la vie. Earth va également sur ce terrain-là puisque la nature des Hybrides perpétue le questionnement sur notre humanité, en creusant un sillon vers le transhumanisme. En soi, pourquoi pas ? Depuis Ash dans le premier Alien, la saga joue de cette idée qu’un être synthétique puisse nous renvoyer à notre propre condition d’être de chair et de sang. De fait, la série embrasse complètement le point de vue des Hybrides et l’on voit quelles sont leurs problématiques et leurs places dans ce monde, à plus forte raison qu’il s’agit là d’enfants dans de faux corps d’adultes. L’analogie que dresse Hawley entre ses gamins et le classique Disney Peter Pan (Clyde Geronimi, Wilfred Jackson & Hamilton Luske, 1953) est à ce titre pertinente ; voici des enfants à qui l’on demande de grandir trop vite et qui seront confrontés à l’horreur pure et débridée du Xénomorphe. C’est la première fois depuis Newt d’Aliens (James Cameron, 1986) qu’un enfant est au centre des enjeux dans la saga.
Oui mais voilà… Si jusque-là je m’efforçais de mettre en avant les qualités de la série – son génial créateur, son esthétique globale et les pistes lancées – on ne peut pas broder longtemps avant d’en arriver aux nombreux défauts qu’elle renferme. Pour deux premiers épisodes plutôt prometteurs de par leur changement de décors, d’enjeux et de points de vue, le reste de la série est étrangement articulé. Noah Hawley adopte, alors qu’on le croyait plus intelligent que ça, une posture de petit malin souhaitant déjouer nos attentes, mais est finalement contraint de retomber sur des rails plus convenus comme dans cet épisode central dédié aux évènements pré-crash du Maginot. Un remake à peine déguisé d’Alien qui sonne comme un aveu d’échec tant la promesse initiale de la série est piétinée. À côté de ça, le showrunneur passe le plus clair de son temps à ouvrir des pistes qui ne seront jamais refermées : les autres créatures, les « pouvoirs » de Wendy, la topographie sociale de ce monde, etc. Beaucoup de setup, quasi aucun payoff. C’est d’autant plus regrettable que Romulus, avec une approche plus modeste – entendre par là : qui ne souhaitait pas révolutionner quoique ce soit – arrivait d’autant plus à renouveler notre intérêt pour la franchise.

© Disney+
Mais le pire d’Alien : Earth réside dans ses personnages. C’est bien simple, à part le Synthétique Kirsh, le Cyborg Morrow et l’humain Joe, la vingtaine de personnages venant garnir le show est tout bonnement insupportable. Wendy mise à part car nous y reviendrons plus en détails, les Hybrides ne sont définis que par des éléments grossiers – jalousie, violence, naïveté, etc. – alors que leur condition même offrait un boulevard pour des réflexions métaphysique poussées. On comprend que Hawley ait souhaité jouer là-dessus pour créer le trouble, mais voir des quasis trentenaires jouer des enfants a quelque chose de profondément malaisant, et pas dans le bon sens du terme. De même, Kavalier, le patron de Prodigy, est tellement un cliché d’écriture et mal interprété que cela en devient de plus en plus pénible. Quant à Wendy, voici une héroïne souffrant du même syndrome d’écriture que Rey dans Star Wars : Le Réveil de la Force (J.J. Abrams, 2015), soit un personnage dont on nous force à épouser le point de vue dans un monde que l’on est censé connaitre, et qui maitrise en peu de temps des capacités que l’on n’aurait pas pu croire possible, sans que ce ne soit jamais justifié.
Contrôler les ordinateurs ou autres caméras à distance est déjà un exploit en soit, mais le fait de pouvoir discuter avec les Xénomorphes est une étape que l’on n’aurait jamais pensé franchir. Les très nombreux inserts bouche de plus en plus cringe deviennent autant de raisons de détester un personnage qui, en trois épisodes, a plus de skills qu’Ellen Ripley en quatre films. Les Xénos deviennent donc le bras armé de Wendy – dont la révolte n’est pas inintéressante en soit – et rejoignent les vélociraptors au rayon des monstres de cinéma désormais dressés par l’homme – ou par l’hybride. D’ailleurs, la série passe son temps à démystifier le fameux antagoniste de la saga. D’abord en rendant les autres créatures capturées dans le Maginot presque plus fascinantes. L’œil-araignée est totalement sous-exploité, mais les possibilités offertes sont alléchantes. Surtout, le Xénomorphe est tour à tour montré comme un petit chat que l’on caresse, ou comme un vulgaire prédateur capable d’être arrêté par un de ses fameux inserts bouche. Hawley le filme même de jour dans une forêt, finissant le désacraliser complètement. Alien : Earth, alors qu’il avait des possibilités infimes pour se démarquer de tout ce qui a pu être réalisé jusque-là dans la saga, choisi donc de piétiner sa figure-même.

© Disney+
Dans son épisode final, la série laisse entrevoir ce qu’auraient pu être ses réussites avec plus de simplicité et moins d’égo de la part de son créateur – dont, encore une fois, j’apprécie énormément le travail d’ordinaire. Les thématiques de classes, d’enfances brisées ou de ce que veut dire être humain ou être un monstre, tout ceci ressort, oui, mais tout a été déjà été dit ou fait en mieux dans la saga Alien ou ailleurs. Au final, cela fait pshit et c’est bien dommage. N’ayant pas voulu tuer qui que ce soit d’important – oui la série est très chiche sur ce point également – la porte est grande ouverte pour une saison 2 qui devrait se raccrocher au départ du Nostromo. Mais, d’une part, a-t-on vraiment envie de continuer à s’infliger ça ? Et d’autre part, est-ce que toutes ses élucubrations de préquels ne finissent pas de régler son compte à la pureté magnétique du film original de 1979 ? Prometheus et Covenant avaient soulevés la question, Earth vient d’y répondre magistralement.



