L’exposition L’art de James Cameron visible à la Cinémathèque Française jusqu’en janvier 2025, est l’occasion de découvrir le roi du divertissement en dessinateur instinctif capable de figurer ses visions les plus personnelles. Dès la vidéo d’introduction le réalisateur confie même prêter une grande importance aux rêves, parfois à l’origine de ses idées visuelles les plus célèbres. Allons encore plus loin et avançons que la dimension onirique du cinéma de Cameron est peut-être ce qui fait sa véritable singularité et l’une des clés de son succès.
Cauchemar originel
Passé d’amuseur bourrin à auteur adoubé, James Cameron s’est largement épanché sur le fait que ses « rêves ont joué un rôle crucial dans mon processus créatif » (The making of Terminator 2 judgment day by Don Shay and Jody Duncan, 1991). L’exemple le plus célèbre est certainement l’image-clé à l’origine de Terminator (1984) dont le cinéaste aime à raconter la genèse. Au cours d’un rêve fiévreux dans une chambre d’hôtel romaine, Cameron dit avoir vu surgir un squelette robotique d’un mur de flammes. Dessinateur affirmé depuis son plus jeune âge, Il couche rapidement cette vision sur le papier puis développera par la suite le récit d’anticipation culte de robot tueur que l’on connaît aujourd’hui. Si le dessin original a malheureusement été perdu, James Cameron en propose deux itérations visibles à la Cinémathèque, ainsi que dans Tech Noir, livre dantesque qui compile une grande partie des illustrations du réalisateur. Les deux dessins en question sont étonnants tant leur composition induit déjà une sensibilité narrative propre à la bande dessinée et au cinéma. Dans le deuxième, plutôt destiné à vendre le projet aux producteurs, le cyborg est placé à l’arrière-plan tandis qu’au milieu du cadre, un couple à bout de force s’enlace et lui tourne le dos. En jouant avec la profondeur, Cameron oriente notre regard, créant un effet de suspens puisque le couple ne semble pas voir la figure menaçante surgir des flammes pour un ultime affrontement. Les débris enflammés qui parsèment le cadre laissent penser que ce moment, figé sur le papier, n’est qu’une portion d’une séquence d’action plus grande que l’on devine spectaculaire. On pourrait compléter l’analyse en notant une forte influence picturale et symbolique puisque cette image d’un couple aux prises avec une force ténébreuse a tout de la référence biblique : Adam et Eve séduits par le diable et chassés du paradis. L’iconisation est d’autant plus forte que le dessinateur ajoute, en surplomb de la scène, un gigantesque visage robotique mêlé aux flammes. Un effet de style qui rappelle la composition des affiches de films de séries Z, celles-là même que James Cameron avait l’habitude de dessiner pour gagner sa croûte à ses débuts.
Avec de telles images issues de ses visions oniriques comme matériau de départ, Cameron est donc parvenu, dans Terminator, à insuffler une force mystique et surréaliste au sein d’un film certes de science-fiction mais se déroulant au présent, dans un univers profane, et filmé à la manière sèche et sauvage du cinéma d’action des années 80. Comme le confesse le cinéaste : « Je n’ai pas abandonné l’idée de réalisme, d’ambiance poisseuse, mais le ton du film s’est un peu plus rapproché d’un cauchemar » (Les mondes de James Cameron, Mad Movies n°14, 2010). Terminator se déroule, en effet, dans un Los Angeles nocturne et déshumanisé, réduit à un simple décorum, que le cinéaste rend abstrait en évitant les lieux emblématiques et en multipliant, par exemple, les ralentis pour mieux retranscrire la perception subjective du temps. James Cameron ne se contente donc pas de puiser dans ses rêves l’inspiration, il va jusqu’à donner à ses longs-métrages l’aspect étrange des songes.
Habiter les rêves/la fiction
Presque tous les univers fictionnels de James Cameron sont clos, comme affranchis du réel, et ce malgré leur extrême cohérence interne. En cela, ces mondes sont un peu comme les rêves au sens où ils opèrent en vase clos, dans des espaces aux limites indistinctes et où tout devient possible. Dans le diptyque Terminator, Los Angeles est non seulement une zone urbaine essentialisée, symbole de la civilisation humaine, mais c’est surtout un lieu dont les personnages ne sortent jamais, sinon pour se réfugier dans une zone désertique encore plus abstraite, comme un espace en dehors du flux narratif où l’on se réfugie pour reprendre son souffle avant de replonger dans l’action. Avec la colonie de Aliens (1986) le cinéaste conserve du premier opus de Ridley Scott la dimension claustrophobe des espaces labyrinthiques, symboles du monde intérieur et des chemins qu’emprunte le rêveur en quête de lui-même. Un environnement hybride entre organique et technologique, assez proche de celui d’Abyss (1989) qui accentue encore davantage l’aspect clos des travaux de James Cameron en enfermant les personnages dans une station de forage à plusieurs centaines de mètres au fond de l’océan. Même à la surface, le navire de Titanic (1997) reste un monde en soi, métaphore évidente de la lutte des classes et symbole du crépuscule de la civilisation européenne au début du XXème siècle. Un paquebot luxueux dont le réalisateur aime rappeler, au début du récit, le surnom de “navire des rêves”. Enfin, la planète Pandora de Avatar (2009) est peut-être l’exemple le plus radical de cette propension du cinéaste à s’extraire du réel. Dans ce récit de science-fiction, notre Terre ne sera jamais représentée (pas dans la version cinéma en tout cas), remplacée par sa version idéalisée, rêvée, pourrait-on dire, puisque c’est comme cela qu’elle apparaît au personnage de Jake Sully dans la toute première séquence.
La création cinématographique est un processus fascinant et paradoxal en ce sens qu’elle part de l’idée et se déploie dans le réel à travers une implacable logistique de production, avant de reprendre à nouveau la forme d’une idée cette fois accomplie : la fiction artistique. A ce jeu de va et vient entre le monde des idées et les contraintes du réel, Cameron est peut-être le plus aguerri des réalisateurs : « ce métier, c’est une guerre ! » affirma-t-il en 1991 en parlant du tournage de ses films (L’écran fantastique – Hors-série Terminator 2 : Judgment Day). En effet, ses compétences hybrides entre artiste et ingénieur, ainsi que sa volonté de fer, lui confèrent la possibilité d’accoucher d’univers fictionnels précis et tangibles. Avatar est, en cela, un projet fou de cinéma total tel que fantasmé par René Barjavel, soit la croyance dans la capacité de l’art et de la technologie, combinées à nous immerger presque physiquement dans la fiction. Même si Avatar brasse des thèmes qui sont en lien direct avec notre réalité comme l’écologie ou le transhumanisme, le cœur du long-métrage est ailleurs, dans cette volonté d’utiliser le cinéma comme médium ultime pour littéralement « habiter » la fiction. Dans Avatar, vous êtes Jack Sully, mais votre avatar à vous, c’est le film ! La planète Pandora est, d’ailleurs, le fruit d’un autre rêve originel que Cameron à fait très jeune et qu’il a également dessiné. En opposition totale à la figure infernale du Terminator, on devine déjà dans cette illustration la forêt bioluminescente aux mille couleurs que Jake découvrira avec émoi dans le film. Pour James Cameron, donner corps à ses univers fictionnels et immerger le spectateur à l’intérieur, c’est aussi lui faire effectuer un curieux voyage jusqu’à la source de son imaginaire. C’est l’inviter à venir habiter ses rêves.
Visions Cauchemardesques
De manière plus directe, le cinéaste fait souvent rêver ses personnages, l’occasion pour lui de nous extraire un temps de la cohérence interne de ces univers pour proposer des images chocs et hallucinées. Plus jeune, il arrivait à James Cameron de rêver d’apocalypse nucléaire. Pas étonnant pour un jeune homme ayant grandi aux heures les plus tendues de la Guerre Froide ! Cette obsession de la fin du monde se retrouve dans sa filmographie sous des formes diverses. La plus marquante reste le cauchemar de Sarah Connor qui ouvre Terminator 2 : le jugement dernier (1991) avant de réapparaître au milieu du récit : contrairement au dessin originel du premier opus que nous avons décrit plus haut, la machine n’est plus ici une ombre menaçante, mais un danger concret. Quelques secondes lui suffisent pour réduire l’humanité en cendres. Ces visions destructrices ne sont pas sans rappeler les puissantes peintures à l’huile du peintre romantique John Martin, qui s’inspirait des grands sujets bibliques pour créer des images apocalyptiques spectaculaires dans lesquelles l’homme, minuscule tache dans l’immensité, contemplait, impuissant, la terreur divine. Chez Martin comme chez Cameron, le cadre est inondé d’un feu destructeur, rouge comme la lave. Le rêve de Sarah n’est pas filmé comme une séquence d’action cameronienne, au sens où le cinéaste n’use pas de son style cinétique et immersif pour nous faire vivre l’événement de l’intérieur. Il s’agit plutôt d’une scène de contemplation, composée de plans larges et omniscients épousant tout de même le point de vue de Sarah et son sentiment d’impuissance face à la catastrophe, sentiment auquel les rêves nous soumettent parfois.
On retrouvera ce mode de filmage dans la fameuse scène de la vague de Abyss, hélas absente de la version cinéma. Même si l’évènement se veut bien réel dans la cadre de la fiction, Cameron le filme comme un moment halluciné. La vague monumentale est représentée à travers le prisme des écrans de télévision, ce qui rend les héros totalement impuissants face au drame. La mise en scène, très économe, se limite presque à un unique plan large en contre-plongée de la vague menaçante qui convoque les références picturales et apocalyptiques citées plus haut. Enfin, la vague disparait dans un mouvement physiquement impossible, comme si elle n’avait jamais été là : ces séquences nous permettent de rentrer immédiatement en empathie avec le(s) personnage tout en faisant écho aux peurs profondes du cinéaste qui ancre ici le spectacle à hauteur d’homme… A la différence du premier Terminator, la figure du cauchemar est en revanche, pour y revenir, plus explicite dans Terminator 2 : le jugement dernier. Pour autant, le cinéaste se plaît à fondre cette séquence de cauchemar dans le flux du montage, sans effet de transition, pour mieux dérouter le spectateur. Dans Aliens, il nous fait ressentir le traumatisme vécu par Ripley dans le premier épisode en proposant, dès l’introduction, une séquence de body horror cauchemardesque durant laquelle un jeune alien tente de sortir du ventre de l’héroïne. On devine la forme de la créature sous la peau de Ripley, terrorisée, qui hurle avant de se réveiller en sursaut. La séquence onirique autorise ici la présence d’images dérangeantes, symbole de l’insondable psyché humaine, que James Cameron s’autorise moins dans l’univers plus rationnel de ses films. Dans la séquence du cauchemar de Terminator 2 : le jugement dernier, la peau de Sarah est littéralement arrachée à son squelette. La dimension prémonitoire du rêve est également intéressante puisque Ripley endossera le rôle de mère plus tard, mais sous une forme plus positive !
Rêves Prémonitoires
Avatar, dans sa version cinéma, débute par un travelling avant aérien survolant une jungle luxuriante. Puis, la voix de Jake Sully se superpose aux images et instaure un dialogue avec le spectateur : « Quand j’étais allongé sur mon lit d’hôpital, avec un gros trou noir au milieu de ma vie, j’ai commencé à rêver que je volais. J’étais libre. Mais tôt ou tard, il faut se réveiller.». L’image rêvée de cette jungle annonce déjà celle de Pandora. Or le plan est trompeur, car Jake n’a encore jamais visité cette planète : le rêve revêt ici un caractère prémonitoire et donne le sentiment que Jake est comme appelé par Pandora. Cameron aime jouer avec le rôle ambigu des rêves qui brouille notre perception rationnelle du réel. C’est également le cas avec le premier Terminator, dans lequel on oublie souvent l’étrange séquence dans laquelle Sarah et Kyle s’endorment sous un pont pour fuir le robot tueur. La jeune femme demande alors à Reese de lui raconter son futur. Pendant qu’il parle, le visage de Sarah est cadré de profil tandis qu’elle s’endort. Un fondu enchaîné nous propulse alors dans une vision du futur fidèle à l’introduction du film et nous dévoile le quotidien de Kyle, soldat de la résistance, caché dans les bas-fonds d’une ville en ruines. Kyle sort de sa poche une photo de Sarah et la caresse avec tendresse avant d’être stoppé net par les aboiements de chiens annonçant l’arrivée imminente d’un Terminator. La machine surgit par surprise et attaque la base rebelle, forçant Kyle à fuir en abandonnant sa précieuse photo qui disparaît dans les flammes. On revient alors sur le visage de Sarah qui se réveille brusquement. Elle dit avoir été réveillée par des aboiements…
La séquence est étrange pour bien des raisons. D’abord la perception du temps. Dans Terminator, Cameron brouille les pistes entre passé, présent et futur, si bien que dans cette séquence, un flash-back devient, en quelque sorte, un flash-forward ! Mais le plus étrange est l’utilisation des codes formels propre à la grammaire hollywoodienne. Dans cette séquence, il s’agit bien d’un souvenir que Kyle Reese raconte, sa voix en voice-over en atteste et pourtant, c’est bien sur le visage de Sarah endormie que le fondu enchaîné se fait. Le réalisateur crée donc par le découpage une incertitude entre le rêve de Sarah et le souvenir de Reese, mêlant poétiquement la psyché des deux personnages. Une idée survenue au montage, certainement, car le scénario original indique plutôt une autre intention du cinéaste : « Durant son monologue, nous effectuons un panoramique jusque dans l’obscurité du dehors, on entend un hélicoptère en hors-champ puis noir total. Le rugissement des rotors permet d’effectuer un fondu sonore ». Initialement, Cameron avait l’intention de reproduire l’effet de transition qu’il avait mis en place lors du deuxième flash-back du film dans lequel Reese regarde les chenilles d’un engin de construction. Les chenilles deviennent alors celles d’une machine du futur, dans un hommage avoué à la célèbre transition entre l’os et le vaisseau de 2001 l’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, 1967). Cette fois, la transition temporelle ne devait pas se faire via l’image, mais via le son. Le bruit des hélices de l’hélicoptère devait peu à peu devenir le bruit d’un vaisseau cyborg du futur. Cette séquence semble brouiller volontairement la compréhension et sa mécanique apparente, comme si James Cameron nous rappelait qu’il ne fallait pas trop tenter de donner un sens rigoureux à ces paradoxes temporels. Cette histoire n’est possible que par le biais du cinéma, capable de faire comprendre au spectateur qu’un souvenir peut devenir un rêve et se transmettre d’une personne à une autre. Cameron glisse d’ailleurs dans cette séquence onirique plusieurs motifs-clé comme la présence des chiens ou la photographie de Sarah que l’on retrouvera plus tard dans la dernière séquence, présents comme autant de symboles du destin en marche.
Par-delà l’espace et le temps
Dans Titanic (James Cameron, 1997), Cameron porte à son paroxysme cette grammaire formelle qui fait se mêler passé et présent, rêve et réalité avec, là encore, un usage sublime du fondu enchaîné, figure pourtant rebattue du style classique hollywoodien. Alors âgée de 103 ans, Rose introduit son récit de la tragédie en clamant que le Titanic était « le navire des rêves ». Au même moment, la caméra quitte son visage pour aller chercher l’image de l’épave retransmise par un moniteur vidéo en arrière-plan. La puissance cinétique du travelling avant conjugué à la magie des effets numériques fait alors ressusciter le paquebot sous nos yeux ébahis. Comme dans Terminator, il s’agit là encore d’un voyage temporel, mais également d’un voyage intérieur, nous pénétrons dans la subjectivité et dans les souvenirs du personnage. Si l’on devait tenter de justifier le succès mondial du cinéma de Cameron, on avancerait sûrement comme argument fondamental cette volonté du cinéaste de toujours maintenir le récit à hauteur d’homme et de l’exprimer avec les moyens purement formels du cinéma… Cameron utilise également cette figure stylistique du fondu enchaîné pour conclure avec grâce la séquence du baiser entre Rose et Jack sur la proue du navire. Dans cette séquence, le cinéaste exprime sans retenue la sensibilité romantique de son cinéma. Le couple et le cosmos s’accordent dans une harmonie de formes et de couleurs tandis que la caméra balaie la scène d’un mouvement majestueux. L’instant est comme suspendu, figé à la croisée des mondes et des éléments. Une célébration puissante mais éphémère car bientôt, un fondu enchaîné efface lentement l’image idyllique du couple sur la proue pour mieux la remplacer par celle de l’épave fantôme, quatre-vingt-cinq ans plus tard. L’espace de quelques secondes, passé et présent se superposent et figent le couple enlacé sur la proue de l’épave, projection prémonitoire du destin tragique qui les attend. Existe-t-il un plan plus beau que celui-là dans le cinéma hollywoodien ? Oui, peut-être celui qui clôt le film !
Tandis que Rose s’endort dans sa cabine, la caméra se perd dans l’obscurité et fond dans les profondeurs de l’océan jusqu’à rejoindre l’épave. Une dernière fois, James Cameron use du travelling avant pour activer la résurrection du paquebot mythique… Tout est là comme au premier jour. Le mobilier, les passagers qui nous accueillent le sourire aux lèvres, et même Jack en haut du majestueux escalier. Car ce travelling est bien un plan subjectif, qui bientôt se désolidarise de son porteur et dévoile la jeune Rose dans une robe blanche. Un mouvement en contre-plongée nous éloigne alors du couple et bascule vers la coupole illuminée du navire avant de fondre au blanc… Fin. Le public est en larmes. Mais une question se pose : Rose est-elle en train de rêver, ou bien est-elle morte ? En réalité, les deux interprétations sont possibles et le cinéaste laisse intentionnellement planer le doute. La métaphore de la mort est tentante. Le lent travelling sur les photos posées près du lit qui retrace la vie de Rose fait figure d’élégie, bien appuyée par le thème mélancolique de Horner. Le plan mobile semble imiter le mouvement d’une âme errante qui quitte le bateau et s’en va rejoindre les autres fantômes du Titanic au fond de l’océan. Et que dire du fondu au blanc qui clôture le long-métrage ? En baignant nos yeux d’une clarté divine, on est tenté d’y voir la représentation esthétique du passage vers un au-delà. Une séquence métaphysique donc, qui rappelle les tentatives expérimentales de Kubrick dans 2001, L’odyssée de l’espace (1967), tout comme celles de Martin Scorsese à la fin de La dernière tentation du Christ (1988) qui conclut son film par un effet abstrait de rupture de bobine, montrant ainsi l’incapacité du cinéma figuratif à représenter le divin. Cameron n’est pas croyant, mais, là encore, il ne s’agit pas tant de questionner la foi que de repousser notre croyance dans la fiction et dans ce que peut le cinéma, c’est-à-dire embaumer le temps et tendre à l’éternité. C’est pourquoi la séquence en question prend également la forme aqueuse du rêve qui, on l’aura compris, est la matière originelle de la fiction chez James Cameron.
Avatar joue également avec cet entrecroisement symbolique du rêve, de la fiction et de l’au-delà. Après tout, le film entier ne serait-il pas un rêve comateux de Jake Sully, endormie dans son cercueil cryogénique, comme le laisse entendre l’introduction qui le présente endormi ? Ou carrément un voyage après la mort où Pandora ferait figure d’Eden puisque que la mise en scène nous montre le « jumeau » de Jake » se faire incinérer dans son cercueil cartonné avant d’enchainer sur une vue aérienne de la planète. « Une vie se termine, une autre commence » dit Jake en voix-off. Le cercueil est d’ailleurs un motif central, réutilisé plus tard par les scientifiques pour faire voyager l’esprit du héros dans le corps de son avatar, et lui redonner, au passage une seconde vie. Une résurrection qui ne prendra véritablement forme que grâce à l’ultime plan du long-métrage, encore et toujours un travelling avant plongeant sur le visage de Jake ouvrant les yeux. Comme pour Titanic, difficile, là encore, de dire où s’arrête et ou commence le rêve, la vie, la fiction. Il importe peu à Cameron que le spectateur intellectualise ses jeux symboliques. Au contraire, son génie consiste à fondre cette complexité dans un récit limpide, quitte à ce qu’on le taxe de simplisme. Les grands récits mythologiques se forgent à ce prix. Cameron confirmera ses rêves d’éternité en plaçant au cœur d’ Avatar 2 : la voie de l’eau (2022) l’adage suivant : La voie de l’eau n’a pas de début et pas de fin. L’historien du cinéma hollywoodien Pierre Berthomieu n’hésite d’ailleurs pas à relier les expérimentations formelles de James Cameron à celle de Stanley Kubrick en avançant que « Le voyage kubrickien est un voyage dans l’espace et dans le temps, où les deux dimensions s’échangent. [ …l La fascination cameronienne pour le liquide se nourrit aussi de ce fantasme, de ce rêve d’un passage palpable où le déplacement se fait dans un espace-temps plastique » (Positif n° 464, Oct.1999). James Cameron n’a jamais fait d’études artistiques, mais il est tout de même particulièrement marqué par les peintres surréalistes dont il aime adopter la démarche en se faisant le médium d’inspirations instinctives, qu’il traduit, par la suite, en images : « J’ai étudié en profondeur les surréalistes. Ils préféraient produire d’abord une image et ensuite l’interpréter » (Cahier du cinéma n° 484, Oct 1994). Un peu comme Rose dans Titanic qui, en examinant une peinture de Picasso, se lance à elle-même : « C’est fascinant, comme si nous étions à l’intérieur d’un rêve ou quelque chose comme cela. Il y a une forme de vérité, mais pas de logique ».